Par Benjamin Boscher.
Un article du site Trop Libre
Alors que l’examen du projet de loi Pour une République numérique d’Axelle Lemaire débute actuellement à l’Assemblée nationale, il semble utile de s’intéresser aux perspectives que 2016 va offrir aux grands secteurs culturels français, à l’heure où la révolution digitale ne cesse d’impacter leurs évolutions.
État des lieux : une ébullition permanente
Comme l’année 2015 a pu le démontrer une nouvelle fois, la vitalité des grands secteurs culturels demeure en France une réalité incontestable. La France dispose d’atouts absolument uniques et d’une place à part dans un certain nombre d’activités. Elle est une figure de proue du marché mondial de la musique, comme l’illustrent la deuxième place qu’elle occupe pour l’importance de son répertoire et la troisième position en termes d’élaboration d’instruments de musique. De même, le cinéma français est l’un des fleurons de l’activité culturelle en France et à l’étranger, nous sommes le troisième producteur de films au monde et le deuxième exportateur mondial.
En dépit de ces positionnements, connus, des forces vives et traditionnelles du monde culturel français, la révolution numérique ne cesse de changer la donne dans de nombreux secteurs clés. La révolution des usages, des pratiques, des contenus, des acteurs impacte l’ensemble des industries culturelles aussi bien dans la nature de leurs activités et de leurs financements que dans les structures et les emplois. Source d’inquiétudes autant que d’opportunités, la révolution numérique oblige l’ensemble des professionnels du monde de la culture à repenser la nature de leur modèle économique et à rechercher ce qui permettra à leur secteur de demeurer demain financé, diffusé et leader sur le marché français et international.
Le numérique challenge les paradigmes hérités d’hier et met en ébullition permanente l’ensemble des grands secteurs culturels. Cette révolution se caractérise notamment par la démultiplication des canaux de diffusion, le phénomène de délinéarisation et de convergence numérique-télécom-audiovisuel, par l’émergence de grands groupes transfrontaliers (les fameux GAFA) et par la modification même des modes de consommation et de diffusion. Comme a souvent pu le décrire Bernard Stigler, nous assistons à un phénomène de disruption, c’est à dire d’accélération de l’innovation qui est à la base de la stratégie développée dans la Silicon Valley et qui a pour spécificité d’aller plus vite que les sociétés et de leur imposer des modèles qui remettent en cause des schémas préexistants.
Bouleversement des structures et réinvention des business models
Ce phénomène de bouleversements s’incarne particulièrement au sein des grands groupes de médias audiovisuels et de presse écrite qui s’unissent pour pouvoir investir davantage. L’environnement médiatique est de plus en divisé et concurrencé par la montée en puissance des mastodontes américaines de l’internet et demeure marqué par la montée des difficultés liées à la persistance de la crise économique. Ainsi des modifications majeures ont eu lieu en 2015 avec de grandes manœuvres de rachat et de regroupement. Des investisseurs comme Vincent Bolloré, Xavier Niel ou Patrick Drahi, cherchent à bâtir des groupes de médias, de télécommunication pour mieux asseoir une stratégie de convergence des réseaux, afin de concurrencer les grands groupes internationaux. Dans le secteur audiovisuel il est ainsi possible de citer la prise de contrôle progressive d’ici à 2019 de NextRadioTV (BFMTV, BFM Business, RMC) par le groupe Altice. Dans celui de la presse écrite, on peut évoquer le récent rachat de CCM Benchmark par Le Figaro qui donne naissance au premier groupe média français dans le numérique. De même, d’autres initiatives de concentration ont été menées en 2015, à l’image de la constitution de Media One par Mathieu Pigasse et Pierre-Antoine Capton, un fonds doté de 300 à 500 millions d’euros et destiné à racheter un certain nombre de médias.
Par ailleurs, le numérique se décline au sein même des activités culturelles avec la numérisation des contenus, la digitalisation des supports ou la personnalisation algorithmique des goûts de chacun. De nombreuses entreprises sont dès lors obligées de revoir leur modèle économique afin de mettre en œuvre cette numérisation de leurs activités et de trouver de nouvelles sources de revenu. Cela est notamment un enjeu majeur pour la nouvelle équipe récemment installée à France Télévisions qui va devoir opérer une transformation importante pour devenir un moteur d’innovation numérique performant – à l’image de ce que semble proposer le projet Molotov.tv – à même d’exporter davantage ses contenus et de s’adapter plus vite à un environnement en mutation.
Une République numérique à déployer
Comme les entreprises, les pouvoirs publics (État et collectivités) tâchent d’accompagner ces bouleversements culturels, en dépit des restrictions budgétaires. Certaines initiatives sont prises (les aides de soutien aux activités culturelles) et d’autres, plus structurelles, pourraient être adoptées. La fusion du CSA et de l’ARCEP a, par exemple, été régulièrement évoquée comme une réforme à mener. Elle permettrait, selon certains experts, de concilier la rencontre de deux mondes : celui construit dans les années 1980, dans un cadre d’offre de services de télévisions limité et celui des années 2000, mondial et dérégulé avec l’émergence de nouveaux acteurs très puissants évoluant au sein de multiples canaux.
L’essentiel reste pour l’État de faire en sorte de maintenir un écosystème où le soutien à la création française et européenne existe ainsi qu’à l’export, même si certaines voix souhaiteraient voir l’État réclamer une domiciliation juridique de certains acteurs étrangers, et un meilleur partage du risque entre opérateurs afin de préserver un écosystème performant de producteurs, clé de voûte du fonctionnement de la plupart des secteurs culturels.
Ainsi, l’année 2016 laisse présager une année riche en innovations et en évolutions pour les industries culturelles. Qu’elles concernent la musique, les arts graphiques, l’audiovisuel ou le spectacle vivant, celles-ci risquent sans doute de correspondre aux solutions qui permettront de valoriser encore plus le contenu joué et diffusé. Face aux difficultés présentes de financement et face aux concurrences de plus en plus globales et nouvelles, il ne s’agit pas tant de mettre en cause la richesse des contenus culturels produits en France mais leur mode de distribution et d’accessibilité.
Dès lors, la richesse des contenus concurrents, les contraintes de financement, les modifications permanentes des usages promettent de nouvelles synergies et de nombreuses transformations, axées notamment sur l’optimisation du potentiel data, la mobilité et l’accélération de la convergence numérique. La veille attentive des évolutions prochaines des grands secteurs culturels promet d’être passionnante.
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Quelqu’un pourrait-il m’expliquer le sens du mot « culture » en novlangue ?