Par Didier Vanderbiest1, depuis la Belgique.
De nos jours, de très nombreux producteurs laitiers travaillent à perte.
En effet, avec un prix de base de 25 cents le litre (qui devrait encore descendre à 22 cents, voire même plus bas dans les prochains mois), le producteur de lait peut espérer obtenir 30 cents le litre si les teneurs en protéines et en matières grasses sont excellentes. Les coûts de production, eux, s’élèvent au strict minimum à 25 cents et peuvent grimper jusqu’à 35 cents si des investissements importants ont été réalisés dans l’outil de production laitière. Je précise bien « laitière » car il existe aujourd’hui un autre outil de production associé qui, s’il demande aussi un investissement important, est par contre très rentable grâce aux subventions. Je parle de la méthanisation des effluents de production.
Nombre de producteurs européens l’ont bien compris. La situation est telle que Laurent Leroy, secrétaire national chargé de l’élevage à la Confédération paysanne en France, déclare : « Le risque, c’est que l’élevage laitier devienne un sous-produit de la méthanisation. »
Vendre l’énergie est plus rentable
Ce sont les propos d’un chauffeur flamand venu chercher le troupeau entier d’un client qui arrête de traire qui m’ont interpellé. « Chez nous, on ne dit plus ferme laitière mais usine à lait. » À Tirlemont, il possède 1400 vaches mais il n’élève plus les génisses. Juste produire du lait ! Et c’est en effet par dizaines que se comptent les usines à lait en Flandres.
La production industrielle de cochons les a sans doute inspirés. Avant de calculer la rentabilité de la production laitière, on calcule celle de l’investissement en biométhanisation, sans oublier les panneaux photovoltaïques que l’on pourra poser sur le toit de l’étable. Marc Benninghoff, producteur allemand, possédait 75 vaches laitières en 2005. Suite à une législation extrêmement incitative par la loi sur les énergies renouvelables baptisée EEG, il a investi dans la biométhanisation. En 2013, sa ferme ne comptait pas moins de 1200 vaches et il estimait son coût de production laitière à 29 cents le litre. Son quota s’élevait alors à 6,1 millions de litres de lait. Grâce à son gigantisme, il a pu négocier un prix minimum sur les 4 années à venir résultant d’une moyenne de cinq laiteries allemandes dont 3 choisies par lui-même, et produire 8,5 millions de litres sans pénalités.
Il estime sa rentabilité à 10 % sur son « investissement lait ». Mais vendre de l’énergie est encore plus rentable : la méthanisation représente en effet 15 % de son chiffre d’affaires et le solaire 5 %. L’électricité issue du biogaz est vendue 0,22 euro le KW et celle provenant des panneaux solaires est payée à 0,268 euro le KW, très largement au-dessus du prix du marché.
Selon la fédération allemande des agriculteurs DBV, la production d’énergie a assuré, en 2013/2014, un revenu supplémentaire de 6,1 milliards d’euros aux producteurs, le biogaz se taillant la part du lion avec 4,3 milliards. Éoliennes et panneaux solaires assurent le reste de cette manne.
En Wallonie, notre ministre compétent a annoncé qu’il prolongeait de 10 à 15 ans l’attribution des certificats verts pour la biométhanisation agricole. En France, un objectif de 1000 unités de méthanisation agricole est fixé pour 2020.
Le système pervers promu par nos politiques
Revenons-en au prix du lait qui, comme celui du pétrole, est particulièrement bas suite à un excès de production. Beaucoup de producteurs, militants et syndicalistes agricoles évoquent la suppression des quotas et la libéralisation de la production. Toutefois, nous avons vu que Marc Benninghoff a pu produire en toute impunité 30 % de plus que ce que son quota lui permettait grâce à son gigantisme fortement lié à sa production d’électricité verte hypersubventionnée.
Il est donc fort à parier que la suppression des quotas entraîne une hausse de la taille des fermes laitières et donc une augmentation de la production de lait. La génération d’énergie verte rapportant autant que la spéculation laitière, comme le déclarait dès 2013 Didier Forget, producteur français, avec un prix du lait à 25 cents comme c’est le cas actuellement, les revenus provenant des subventions à cette énergie sont les seuls qui permettent d’éviter la faillite. Et c’est bien là qu’est le problème.
En effet, afin de diminuer l’offre et donc de faire remonter le prix de ce noble produit qu’est le lait, il faudrait au contraire réduire considérablement sa production, l’inverse du système pervers qui a été mis en place et qui est actuellement promu par nos politiques. Il apparaît donc que nos dirigeants, adeptes du réchauffement climatique, sont responsables du développement de très grosses unités de production laitières hyper subventionnées au niveau énergétique, au détriment de nos petits producteurs qui eux, n’étant pas subventionnés, font tragiquement faillite les uns après les autres.
Organiser la faillite
Il est donc extrêmement souhaitable que ces unités de production méthanisation-dépendantes fassent faillite le plus rapidement possible afin d’obtenir un prix plus rémunérateur du lait et sauver nos petits producteurs locaux. Le problème, c’est qu’étant donné les revenus garantis par les énergies vertes, il faudra que le prix du lait chute fortement afin que les investissements dans sa production ne puissent être couverts par les subsides énergétiques étatiques. Mais alors, je crains terriblement pour tous nos producteurs laitiers.
Signalons pour terminer et pour mettre une fois encore en exergue la futilité de cette fuite en avant de la génération d’énergie verte hyper-subventionnée, que si tous les déchets méthanisables du monde l’étaient, on pourrait produire l’équivalent énergétique de 9 à 10 centrales nucléaires alors qu’il y a 350 réacteurs en activité aujourd’hui et que plus d’une centaine de nouvelles centrales seront construites d’ici 2030.
Lire sur Contrepoints notre dossier spécial agriculture
- Didier Vanderbiest est vétérinaire et membre du Parti libertarien de Belgique. ↩
Si on ne mange pas de viande, on meurt
http://www.francetvinfo.fr/replay-magazine/france-2/complement-d-enquete/video-complement-d-enquete-les-anti-viande-voient-rouge_1287429.html#xtor=EPR-2-%5Bnewsletterquotidienne%5D-20160130-%5Blesimages/image3%5D
Mais rares sont les gens capables de faire d’un seul coq ou d’un seul lapin ou d’un seul canard un animal de compagnie et de le manger ensuite après l’avoir tué soi-même.
@Sprikritik: Multipliez par 5 ou 10 votre nombre « d’animal de compagnie », et je peux vous dire que très rapidement, vous serez capable de les manger sinon de les tuer vous même !
Effectivement, les subventions sur la méthanisation en Allemagne faussent la comparaison avec les prix de revient en France. Mais il ne faut pas en oublier les contre parties ( contrôle de l’état, paperasserie, perte de liberté etc…). Il est faux de dire que l’on produit trop . La demande mondiale en lait et produits laitiers est très dynamique ( en particulier en Asie, qui n’arrive plus à subvenir à ses besoins). Mais l’impossibilité en France de grossir ( voir le délire sur la ferme des 1000 vaches) a laissé la place à la Nouvelle zélande, l’allemagne ….De plus on a eu l’embargo russe.En France il est interdit de rendre la production herbe intensive ( interdiction de retourner les millions d’hectares de prairies permanentes). c’est la politique francaise ( droite comme gauche) qui est en cause. Les petits élevages sont romantiques pour nos bureaucrates mais c’est l’enfer pour les éleveurs ( 70 H de travail/ semaine, pas de congés etc…) . Le seul moyen d’assurer une vie décente à des jeunes est d’avoir de travailler sur des grandes exploitations ( avec les 3 *8 comme en usine). De plus, la France pourrait créer de la valeur ajoutée et vendre plus de fromage!! ( L’allemagne en vend plus que nous, et ce n’est pas à cause du solaire!) .L’article ne parle pas de l’inefficacité des coopératives laitières qui ne se sont pas restructurées comme partout ailleurs. Il faut en supprimer plus de la moitié et investir en matériel dans ce qui reste. Tant que la France refusera de sortir de la crise par le haut ( compétitivité, marketing international etc…) on bricolera et on s’enfoncera .
Que comptent faire nos Etats abscons de l’U.E. (et ceux qui les gouvernent à tous niveaux) lorsqu’il faudra se résoudre un jour prochain à abattre cette myriade de productrices laitières… en induisant alors une BULLE de surabondance en viandes que l’on trouvera sur le marché ?
Ira t-on les expédier vers les pays en voie de développement (avec un bis repetita de subsides), comme les mêmes « gouvernants » le firent avec les surplus de beurre il y a quelques années ?
L’imbécilité se rencontre vraiment à tous les étages de la société, en ce compris dans les élus et leurs apparatchiks !
@TheWolf
Sur quoi se base votre crainte d’avoir à abattre le cheptel??
La France réalise un excédent de près de 4 milliards € dans ce domaine et ce chiffre est en constante augmentation car la France dispose d’un savoir faire et la demande mondiale progresse ( la Chine ne peut plus subvenir à ses besoins). De plus nous sommes un des pays où l’on peut garantir la sécurité des produits. Nous avons des géants ( Lactalis, Danone, Sodial..). La productivité / vache de certains pays est à son maximum ( USA: 10Kl par an vs moins de 7Kl en France). Vu l’excellence de nos fromages ( 40% de notre production de lait) nous pourrions satisfaire des centaines de millions de connaisseurs … si nous investissons dans la production et le commerce. Arrêtons d’avoir peur quand ce n’est pas justifié et investissons dans la production.
A vos yeux, tout cheptel serait donc éternel ?
La durée de vie d’une vache « productive » c’est combien avant l’envoi à l’abattoir ?
Multipliez par la croissance du volume du cheptel en question et reparlez-en, voulez-vous ?
Sorry, je soutiens les agriculteurs, pas les méga-usines à viande et/ou à lait, subsidiées à outrance !
Si vous respectez les agriculteurs il faut leur permettre de vivre dignement de leur travail et leur donner plus de liberté ( y compris celle de produire et de se développer! ) Trouvez vous normal qu’en France il faille parfois 5 ou 6 ans pour obtenir l’autorisation de fonctionner et qu’il peut y avoir un contre ordre une fois que vous avez commencé? ( en Allemagne il faut 6 mois). Il est là l’irrespect et non dans le fait que des agriculteurs seraient poussés à s’agrandir à cause de la compétition.Aucun jeune n’a envie de se lancer avec un tel niveau de contraintes administratives pour travailler 60 ou 70 / h par semaine pour le smic! Si vous respectez les agriculteurs vous devriez trouver normal qu’ils travaillent 40 à 50 H /semaine mais avec des week ends, des congés et des nuits! Tout cela n’est possible qu’avec les grandes exploitations.Tant que vous y êtes il serait préférable de traire à la main et de supprimer les tracteurs.Vous semblez critiquer les subventions , moi aussi . mais la solution passe par la compétitivité .
C’est là que l’on voit l’extrême vision ou perfidie ou lâcheté de nos supers décideurs ou politiques.
Selon un vieux cadre supérieur du ministère de l’agriculture mis au placard (le cadre, pas l’opuscule), la PAC avait été et était encore (au moment où il écrivait), pour la France, un système conservateur pour figer la rente agricole et maintenir une sous-productivité soi-disant propice à l’emploi, et pour l’étranger y compris l’Allemagne (mais aussi l’Espagne, l’Italie du nord, etc.), un outil de financement de sa modernisation. La France était donc en train de créer sa propre concurrence, plutôt que suivre la voie de l’industrialisation.
On comprends pourquoi ce monsieur était dans un placard …
La philosophie agricole est la même que celle des taxis : le marché est captif et fixé, dans ces conditions ça ne sert à rien de se battre entre agriculteurs, il vaut mieux se le partager ; celui qui se modernise chasse un collègue pour prendre sa place, mais après on sera moins nombreux, on pèsera moins et pourra moins bien se défendre, la course à la productivité est donc une trahison. Sauf que … à l’étranger ils ont bien compris que le marché n’était pas fixé et qu’il avaient le droit, et la possibilité, de tailler des croupières à ces français assez stupides pour croire que tout leur était du et que leur part de marché était définitive. Certains autres français moins stupides ont d’ailleurs participé eux-mêmes à la curée, en s’installant à l’étranger.
Et pour couronner le tout, on a rajouté des couches délirantes de protection environnementales (dans toute l’Europe) et de droit social (spécificité française) que les fermes industrielles supportent bien mieux que les petites et moyennes. Une ferme géante de mille vaches est moins gênante pour les voisins que son ancêtre traditionnel 20 fois plus petite.
Bref : « plutôt crever que se moderniser ». 50 ans après la PAC, 15 ans après l’opuscule, le résultat est là : on crève. L’agriculteur nouveau doit miser 300 000 € pour avoir le droit de gagner un SMIC en bossant 70 h par semaine, si tout va bien (et « tout va bien », ce n’est pas tout le temps, n’est-ce pas …). tout ça pour quoi ? pour que maintenant en France le lait premier prix dans les supermarchés vienne d’Allemagne, ce qui aurait été inconcevable.
Et quand les matières premières de base foutent le camp, les filières « de qualité » meurent aussi. Il n’est pas difficile de faire aussi bon que le roquefort ou le camembert en Silésie ou en Prusse.
bottom line : c’est à la France de se réformer, pas aux autres de lui faire plaisir.
quelques articles intéressants à lire: http://www.lefigaro.fr/vox/societe/2015/07/10/31003-20150710ARTFIG00132-liberaliser-l-agriculture-le-seul-moyen-de-la-sauver.php
http://www.ifrap.org/agriculture-et-energie/crise-de-lagriculture-quand-les-mesures-structurelles
http://www.ifrap.org/agriculture-et-energie/eleveurs-francais-la-politique-publique-paralysee-par-les-denis-et-les-tabous
http://www.slate.fr/story/105661/elevage-le-mur-est-dans-le-pre
http://www.ifrap.org/agriculture-et-energie/agriculture-les-degats-du-faux-long-termisme-politique
Sur RMC, un éleveur expliquait que la FNSEA avait laissé ses adhérents surproduire ce qui avait engendré un effondrement du prix. Les syndicats agricoles et leurs annexes – chambres d’agriculture (8 000 salariés), SAFER (1 000 salariés) – gèrent l’économie agricole du pays à la place des agriculteurs et décident de qui a le droit de s’installer pour exploiter une propriété agricole ou en acquérir une. Ils étouffent les agriculteurs sous les réglementations. Il faut simplifier ces règlements, supprimer les organismes qui en vivent et traiter par des aides sociales directes la situation des agriculteurs en difficulté.