Par Farid Gueham
Un article de Trop Libre
Nos usages de l’internet connaissent un véritable basculement, de l’ordinateur au Smartphone. La domination des applications mobiles est incontestable et l’essentiel du trafic se fait sur les « apps ». Chacun d’entre nous possède en moyenne 27 applications sur son mobile et n’en utilise réellement que 5, qui représentent à elles seules 70% du trafic ! Parmi celles-ci, il y a des réseaux sociaux et presque toujours facebook ou twitter. Les réseaux sociaux font donc partie des applications les plus utilisées. En France, 30 millions de Français possèdent au moins un compte actif sur facebook. Les réseaux les plus utilisés en France sont Facebook, 32%, Google + 10%, Twitter 9%, Facebook via messenger 7%, Instagram 5%, viadeo 4% ; enfin il faut noter la montée en puissance des messageries instantanées que ce soit messenger et facebook, mais aussi whatsapp, snapchat, ou encore vine.
À ces nouveaux médias, nouveau règne : c’est l’avènement des animateurs-modérateurs, ces « community managers » qui s’efforcent de déployer de nouvelles stratégies, pour tirer le meilleur de réseaux sociaux en évolution permanente. Pour Marie-Amélie Putallaz, responsable des médias sociaux pour Le Figaro, le rôle d’un « CM » c’est « d’aller chercher la matière éditoriale qui peut sortir des réseaux sociaux, que ce soit la bonne photo, ou l’information qui va faire la différence. C’est également de veiller au trafic en provenance des réseaux sociaux, l’audience c’est aussi le nerf de la guerre et enfin d’accompagner les journalistes dans une bonne utilisation des médias sociaux ». Du côté des agences de communication, comme Spinktank, on gère la communication un peu différemment, comme le rappelle Cécile Chalancon, directrice éditoriale « nous travaillons pour des marques, des médias et des institutions, de grandes entreprises ou des ministères puisque l’agence est spécialisé dans la communication corporate et institutionnelle ». Accompagner les marques sur le terrain éditorial, dans leurs stratégies sur les médias sociaux, jusqu’à tweeter ou poster des messages pour leurs comptes, ou simplement mettre en place des chartes et des bonnes pratiques, c’est aussi cela le métier de community manager.
Pour certaines marques, la communication sur les réseaux sociaux représente un budget colossal : c’est le cas d’Oasis. La marque se veut précurseur dans la communication sur les réseaux sociaux, en y consacrant 80% de son budget de communication global. « Toucher un large public, mais aussi s’approprier les nouveaux langages du digital pour faire d’Oasis une des marque les plus suivies sur les réseaux sociaux », c’est un pari gagné pour Raphaël Catherin, membre de l’agence Marcel Agency, chargé du projet. Les réseaux sociaux sont une vitrine pour les particuliers, mais aussi pour les marques. Les enseignes ont tout intérêt à être présentes sur les médias sociaux. Initialement, les réseaux sociaux étaient le lieu privilégié pour écouter les consommateurs. Les écouter et répondre à leurs remarques, positives ou négatives. Nouveauté : la nécessité de positionner la marque dans un rapport empathique avec sa communauté afin de lui proposer de nouveaux produits et services, plus en adéquation avec ses attentes.
Au développement de l’internet et des réseaux sociaux coïncide un besoin de réguler et modérer les échanges.
Avec le développement concomitant des sites web, des réseaux sociaux et le raz de marée de commentaires qui les accompagne, tous les médias se sont retrouvés très rapidement débordés. À la fin des années 2000, la gestion de la modération des sites était pour l’essentiel externalisée. L’activité de modération s’est peu à peu professionnalisée avec des profils toujours plus pointus : au geek improvisé modérateur, on préférait un profil de rédacteur ou journaliste, capable de saisir toutes les évolutions, de sponsoriser des tweets. Les compétences marketing et communication se sont rapidement greffées sur la fonction de modérateur qui devenait un job à part entière. Plus qu’un vecteur de communication, les réseaux sociaux sont une source de revenus et une opportunité de croissance : 86% du chiffre d’affaire de Twitter sur le dernier trimestre 2015 provient de la publicité sur mobile. C’est à peu prêt 895 millions de visiteurs sur l’ipad et smartphone. Une manne offerte par une génération adepte de la communication continue, du matin jusqu’au soir. Il n’y a plus de temps mort dans la communication entre le lecteur, l’auditeur, le téléspectateur.
Instantané : à quoi ressemblent les réseaux sociaux aujourd’hui ?
En perpétuelle évolution et renouvellement, la liste des principaux réseaux sociaux n’est jamais complètement arrêtée, du succès fulgurant au feu de paille. « Google + » a fait ses débuts comme réseau social, mais faute d’avoir tenu tête à Facebook, la plateforme se limite rapidement à agréger des cercles de contacts. Quant à Youtube, c’est une chaîne mais aussi un moteur de recherche, et un réseau social vidéo. Les stars françaises de Youtube comme Norman ou Cyprien agrègent des communautés très courtisées par les annonceurs. Certains groupes possèdent leurs propres chaînes Youtube mais elles s’avèrent moins lucratives que les annonces placées chez les youtubeurs les plus suivis, grâce à la rémunération au clic lors de la publicité. Facebook a, quant à lui, le mérite de se renouveler : la plateforme pourrait même prendre le dessus sur Youtube pour la diffusion du contenu vidéo grâce à l’ « autoplay », qui permet de regarder ses vidéos via l’application Facebook, qui est, par définition toujours ouverte sur un smartphone. LinkedIn, c’est avant tout le réseau professionnel, celui de la représentation, de la mise en scène pour son prochain ou potentiel futur patron. Il génère beaucoup moins de trafic que les autres réseaux, moins formels. Twitter a vraiment marqué une étape majeure. Un nouveau média pour les politiques, artistes, institutions ou marques désireuses d’accroitre leur influence et leur rayonnement. Pour les journalistes, twitter est aussi un fabuleux carnet d’adresses « c’est une bonne façon d’identifier des gens qui parlent du même sujet, que l’on va pouvoir contacter, et qui ne sont peut-être pas des gens qui ne passent pas tous les jours dans les médias classiques. C’est intéressant du point de vue de la veille, car très réactif. Et cela se passe vraiment sur le côté réactivité » précise Marie Amélie Putallaz. Et après le « tout-ludique » des Snapchat, Vine, Pinterest, on assiste au retour des médias qui privilégient le fond avec Médium. Medium permet aux hommes politiques et aux artistes de court-circuiter la presse et les médias. Barack Obama a posté son discours sur l’état de l’Union sur le site avant même qu’il ne soit prononcé. Un design épuré, une ergonomie simplifiée à l’extrême, tout le monde peut y écrire son « instant article ». Une façon de ringardiser encore plus les Reddit, Tumblr ou Blogger déjà sur le déclin.
L’obsession de l’image et la course à la viralité.
Google a longtemps été indispensable pour rendre un article viral. Ce n’est plus le cas. Parmi la multitude d’articles sur internet, il faut réussir à sortir du lot, à être sinon identifié, visible. Et dans 89% des cas, lorsqu’un  internaute cherche, il passe par Google. Les sites d’informations où les entreprises travaillent, misent sur le « SEO », le Search Engine Optimization, c’est-à -dire la façon dont les mots, les titres, seront référencés par Google, avec un algorithme qui référence les contenus. Risques de dérapages : pendant très longtemps, les médias ont essentiellement écrit pour Google, qui devenait presque le « rédacteur en chef des médias ». Car Google n’est pas le génie que l’on imagine. Pour trouver, il faut nommer les choses, utiliser des mots clés, précis. Le style journalistique s’en est considérablement appauvri. « Ce qui est étonnant c’est que notre manière de travailler sur les réseaux et notre manière de travailler sur Google se rejoint sur certain point. Google va mieux placer un article si énormément de liens pointent sur un article. Donc, si on crée un post facebook et dix tweets, l’article sera mieux référencé. Les réseaux sociaux et Google fonctionnent main dans la main » souligne Marie-Amélie Putallaz. Écriture journalistique contre écriture algorithmique. On arrive déjà au stade où un seul et même article se présentera sur trois formes différentes : une version pour le journal papier, une version pour le site internet et une autre version pour les médias sociaux. Voici un exemple : pour parler de l’acteur français le mieux payé, Google va titrer« Dany Boon est l’acteur le mieux payé de France » alors que Facebook mettra une photo floutée de l’acteur et titrera  « Devinez qui est l’acteur le mieux payé de France ? ». En somme, Google ne donne pas dans la finesse. Il est le premier lecteur d’un article. Mais il reste un robot. Celui-là même qui indexe les mots clés. Il demande du « premier degré », donc exit les jeux de mots et les figures de style.
Dérive de l’instrumentalisation des réseaux sociaux : le news jacking.
La tentation du meilleur référencement possible pousse à un certain excès. Facebook a d’ailleurs décidé de prendre des mesures contre des marques qui allaient trop loin dans l’affichage de contenu publicitaire « dissimulé ». Certaines marques ont franchi les limites avec le « News Jacking » : afin de générer du trafic sur leurs sites, des community managers s’appuient sur des faits d’actualité qu’ils détournent. À l’époque de la coupe du monde, lors de l’élimination du Mexique, le groupe KLM a fait la promotion de ses vols en utilisant des pancartes #adiosamigos et « retour vers le pays », peu appréciées par les supporters mexicains. La communication via les réseaux sociaux est plus fluide, moins formalisée mais elle doit néanmoins respecter un certain nombre de règles également valables pour les annonceurs classiques.
Quelles limites devons-nous imposer à nos réseaux pour protéger notre vie privée ?
Le risque majeur est celui de la faille juridique pour Cécile Chalancon : « les réseaux sociaux posent un problème : les hébergeurs sont maîtres de ce que l’on peut dire ou non, avec des variables qui sont le plus souvent assez dures à comprendre. Pas de nudité sur Facebook, lorsque Twitter met deux jours pour supprimer des images de décapitation… Le tout sous une législation américaine, sur le sol français, un vrai casse-tête ». Pour d’autres, c’est notre capacité à donner des droits, à concéder, à signer des chartes d’engagement sans même les lire qui nous met en danger. Une initiative française, « diaspora-fr » tente d’apporter une réponse à cette perte de confiance, « un réseau social respectueux de ses utilisateurs qui accorde la plus grande importance à la protection de la vie privée : il ne revend aucune information, n’affiche pas de pub, chiffre les données échangées et permet l’utilisation de pseudonymes ». Mais pour l’heure, sécurité et confidentialité ne font pas recette, exhibitionnisme symptomatique d’une génération prête à tous les sacrifices pour maintenir un lien virtuel, ultime palliatif à la fragilisation des rapports humains et du tissu social.
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