Par Ferghane Azihari et Guillaume Thomas.
« Tous les monopoles sont détestables, mais le pire de tous c’est celui de l’enseignement »
On ne peut s’empêcher de sourire et de désespérer en même temps lorsque l’on entame la lecture de l’ouvrage Baccalauréat et Socialisme (1850) de Frédéric Bastiat.
Sourire, car l’économiste cerne brillamment les impasses du système éducatif français. En fonctionnant selon la logique de monopole, l’éducation nationale uniformise les esprits. Elle neutralise les singularités individuelles. Sa structure entrave l’expression des multiples aspirations qui cherchent à coexister dans le corps social et ne parvient pas à faire coïncider les formations avec les besoins des populations. Selon l’économiste et député des Landes, le monopole éducatif ne régénère pas les esprits comme le voudrait la tradition jacobine, mais ne fait que renforcer la mainmise du gouvernement sur l’accès aux carrières et aux professions quand sa légitimité à désigner les méritants est parfaitement discutable pour ne pas dire nulle.
Centralisation de l’enseignement et inefficacité
Cette concentration entre les mains du pouvoir de cette noble mission de l’enseignement entraîne nécessairement sa politisation et des luttes de pouvoir permanentes pour la conquête des esprits afin d’imprimer dans les masses les vues des personnes en charge des questions éducatives.
Indépendamment des étiquettes politiques, est-il prudent de concentrer autant d’influence autour de ceux qui détiennent le monopole de la violence légale ? Certes, l’Éducation nationale s’est officiellement toujours donnée l’ambition de former de « bons citoyens » dotés d’un esprit critique. Mais derrière cette formule se cache une réalité moins séduisante et inhérente au centralisme. La politisation de l’éducation sacrifie systématiquement l’objectif de l’autonomie à l’imposition d’une vision du monde qui fait l’objet d’un affrontement constant.
Ce monopole éducatif frappe les populations d’une inertie d’autant plus insidieuse que le discours officiel tenu par l’Éducation nationale, bastille du conservatisme, entretient l’illusion que seul un système centralisé garantit un bon apprentissage et l’égalité des chances. Or, les rapports de la Commission européenne pointent une faible attractivité du métier d’enseignant en France en raison notamment de sa faible rémunération, tandis que le dernier rapport PISA fait ressortir le caractère à la fois inefficace et injuste du système éducatif français : la tendance est à la baisse du résultat des élèves tant en compréhension écrite et qu’en mathématiques, tandis que la France est nettement en dessous de la moyenne en matière d’égalité des chances.
Hormis l’augmentation des moyens et la (fausse) idée qu’on manquerait de personnel, aucune réflexion globale est menée en France autour d’une refonte globale du système qui donnerait plus d’autonomie aux établissements, de liberté pédagogique aux enseignants et de choix aux parents et aux étudiants.
Face à ce constat, la plupart des revendications syndicales ou des propositions politiques se contentent de demander « plus de moyens » à l’Éducation nationale. Or, on constate que la France se situe dans la moyenne européenne pour les dépenses d’éducation, et que depuis 20 ans, le nombre d’élèves a baissé de 560 000 dans les écoles tandis que, sur la même période, le nombre d’enseignants a augmenté de 35 0001.
Éducation et enjeux de pouvoir
Bien que les rapports PISA de l’OCDE prônent une décentralisation plus grande des systèmes éducatifs et une plus grande autonomie des enseignants, cette question n’est pas à l’agenda du gouvernement français pour des raisons évidentes que l’école des Choix Publics, et parmi eux le prix Nobel James Buchanan avaient bien comprises. Alors que les résultats d’une réforme sont diffus pour l’ensemble de la population qui a peu d’intérêt à se mobiliser en sa faveur, si celle-ci remet en cause des intérêts corporatistes, elle suscitera une mobilisation immédiate de groupes organisés dépendant d’argent public qui obligeront les acteurs politiques, soit de renoncer à la réforme, soit de consoler très largement les perdants avec davantage de subventions.
C’est ainsi que l’Éducation nationale nous semble irréformable aujourd’hui, car entre les mains de syndicats au pouvoir de nuisance considérable, et dont la base sociologique (les enseignants, les fonctionnaires d’administration) constituent une clientèle électorale importante. La société civile a perdu son contre-pouvoir le plus précieux à l’égard de la puissance gouvernementale : son indépendance intellectuelle. Elle ne peut qu’être perplexe sur la possibilité d’une prise de conscience des autorités hélas peu disposées à remettre en question l’édifice qu’elles se plaisent à choyer en vantant les vertus prétendument émancipatrices d’un environnement en réalité aliénant et qui profite à une minorité.
Dès lors, les voies politiques et électorales semblent sans issues. Il convient d’envisager une plus grande implication de la société civile dans l’élaboration d’un nouveau modèle en phase avec les réalités du monde contemporain, et avec la liberté de choix des acteurs éducatifs. C’est tout l’intérêt du projet que nous portons : l’École de la Liberté.
Proposer des alternatives décentralisées
Puisque le changement ne viendra pas d’en haut, mais par en bas, nous proposons de mobiliser les forces vives de la société civile pour pallier l’immobilisme qui caractérise les milieux de l’Éducation nationale et de l’enseignement supérieur.
Cette alternative passe par l’élaboration d’une pédagogie libre et interactive émancipée des intérêts politiques ; une pédagogie qui s’affranchit des rigidités administratives à l’aide des technologies numériques ; une pédagogie plus horizontale et donc plus respectueuse des parcours et aspirations de chacun. L’École de la Liberté se fixe comme objectif de refonder les bases de l’éducation dans le monde francophone. Elle aspire, avec d’autres associations respectueuses des libertés individuelles à se doter d’une plateforme numérique de référence sur les sciences politiques, économiques et sociales.
En plus de produire des cours en ligne, elle s’efforce de mener un travail de référencement pour mettre à disposition du public tous les contenus multimédias (livres, podcasts audios ou vidéos) pour susciter chez chacun, de l’étudiant, au retraité en passant par le jeune actif, la passion des sciences sociales dans une perspective radicalement nouvelle, c’est-à-dire respectueuse de l’individu et de ses aspirations. Elle fait le pari de rompre avec le biais idéologique qui caractérise l’enseignement secondaire et supérieur et qui peut se résumer à l’idée que le comportement individuel devrait faire l’objet d’un contrôle social, tandis que les individus et leurs représentations sont systématiquement balayés dans les études des phénomènes sociaux
La nécessité de décentraliser les reconnaissances académiques et professionnelles implique de développer à moyen terme un système de certification qui sanctionne le mérite et le talent indépendamment des barrières gouvernementales.
Ce projet doit s’inscrire dans une tendance globale afin de renforcer le pluralisme et la concurrence académiques et pédagogiques à tous les niveaux de la société. Ce n’est que par l’émulation qui en résultera qu’il sera possible d’innover afin de tendre de plus en plus vers des offres performantes qui répondent véritablement aux besoins des individus dans un monde qui évolue vite et dans lequel apparaissent de nouvelles carrières et de nouveaux métiers que l’on ne pouvait entrevoir quelques années plus tôt. Un tel chantier étant impossible à réaliser seul, l’École de la Liberté aura besoin de toutes les solidarités possibles pour se développer indépendamment de tout soutien institutionnel.
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Lire sur Contrepoints notre dossier spécial école et éducation
- Ferghane Azihari est étudiant en droit et chargé de mission de l’école de la liberté. Guillaume Thomas est doctorant, enseignant en sciences sociales, et coordinateur de l’école de la liberté.
- Lecaussin N., L’obsession antilibérale française. Ses causes et ses conséquences, Libre Échange, 2014. ↩
Comme c’est étrange, une éducation nationale centralisée serait opposée aux libertés individuelles.
N’est-ce pas le contraire que nous raconte Gaspard Koenig prétendument libéral et philosophe, qui nous propose une administration encore plus centralisée des écoles, et la suppression des écoles privées?
Il est dommage d’ailleurs de voir qu’il fait partie des intervenants pédagogiques, cet homme n’a donc aucune cohérence. Je me demande ce qu’il attend pour faire de la politique, il a toutes les qualités requises.
Il en a fait mais a arrêté.
Palier l’immobilisme (enlever à) palier est un verbe transitif direct
Quand j’étais au lycée il y a quelques années il y avait notre prof d’économie qui nous avait dit qu’aucune culture n’était inférieure aux autres, que toutes se valent, pour ensuite nous affirmer le lendemain que la culture américaine était une sous-culture. Je l’avais trouvée ridicule et c’est ce jour-là que j’ai compris à quel point notre éducation nationale était idéologique.
Peut-être « sous-culture » au sens de partie d’un tout, un sous-ensemble, la culture américaine comme une « sous-culture » européenne.
Même si ça peut aussi être entendu péjorativement.
ça aurait pu mais elle était profondément anti-Americaine et très à gauche donc je pense pas :/
La famille est la pierre angulaire de l’éducation et dans les conditions usuelles, l’Etat n’a pas à se subsistuer à la famille. Non!, mille fois non à l’Education nationa
La famille est la pierre angulaire de l’éducation et l’Etat n’a pas à se substituer à la famille. Reste l’enseignement qui n’est pas une fonction régalienne. Que faire ? La réponse est le transfert de compétences.
Régions
Les universités deviennent autonomes, privées et régionales. Les Régions gèrent l’enseignement supérieur non universitaire. L’enseignement professionnel est géré conjointement par les entreprises, par les associations rassemblant les petites et moyennes entreprises et par la Région. Les Régions supervisent et appuient l’enseignement communal.
Communes
Les Communes gèrent les enseignements de base et secondaire.
Divers
Les transferts des bâtiments de l’Etat, du mobilier et du matériel se font à titre gracieux.
Les Communes et Régions encouragent l’éclosion des écoles novatrices en leur permettant d’occuper certains bâtiments scolaires.
On sait très bien que faire.
Ce qu’on ne sait pas, c’est comment le faire.
Le nombreux personnel du Mammouth est très attaché à son statut de fonctionnaire d’état et refusera violemment tout transfert vers un statut de fonctionnaire territorial, dont ils ont le plus profond mépris. Aucun politicien, aucune haut fonctionnaire ne prendra le risque d’un conflit avec 1 million de personne dont la capacité de nuisance électorale est considérable. Autant démissionner tout de suite de toute fonction politique ou abdiquer toute prétention à une carrière ne serait-ce que moyenne, se serait le placard à vie …
La seule voie, éventuellement, serait l’introduction de bacs définit par chaque université ou (groupe de) grande école. Pour satisfaire les conservateurs et leur ôter tout argument, on garde les bac actuels … mais évidement, on sait tous ce qui va arriver, si vous avez un bac S classique et un nouveau bac « polytechnique », un bac ES et un bac « science po », un bac pro et un bac « compagnons du Devoir » etc.
La vous avez automatiquement de la diversité, de la vraie (à la place des quantités délirantes d’options exotiques genre « randonnée »), et donc de la concurrence, et le système retrouve de la souplesse et de l’efficacité au niveau lycée.
Restera le niveau primaire , qui est le vrai maillon faible du dispositif
Le paquebot EducNat étant ce qu’il est, je propose de manœuvrer en douceur sur 2 axes :
– redonner aux formations dispensées leur but réel : apprendre un métier pour les unes (et in fine pour toutes) et donner les bases nécessaires à des études supérieures pour les autres; ceci passera par l’élagage des matières exotiques que vous signalez, nobles certes, mais assez éloignées des objectifs prioritaires. Il faut impérativement que des personnes extérieures à la grande maison participent à ce travail de fond, parents, entreprises et professionnels. Sinon on tournera en rond avec les pédagos fous du ministère.
– redonner de la souplesse au système en laissant les initiatives se développer à la base, quitte à oublier les sacrosaints programmes scolaires et autres directives pédagogiques impératives qui tombent depuis Grenelle comme les obus sur Douaumont. Il faut laisser du mou aux établissements et à l’intérieur de ceux-ci aux profs pour s’organiser. S’il y a des gauchistes patentés, il y a aussi beaucoup de bonnes volontés et de bonnes idées étouffées par la lourdeur du système.
Pour la révolution (chèque formation, privatisation et autres épouvantails), on verra plus tard. La réclamer est le meilleur moyen de braquer le mammouth. Et il est costaud le bestiau. Il faut faire comme le vieil adage, « y penser toujours, n’en parler jamais ». Tant pis pour les libéraux de salon.
Il n’y a pas lieu d’aborder un million d’enseignants de front. Commençons par la régionalisation de l’enseignement professionnel, autre »maillon faible » si je ne me trompe en cogestion avec les associations professionnelles. Quant au bac, pour toutes les bonnes raisons que nous connaissons, sa suppression s’impose dès que l’enseignement supérieur pourra mettre en place un examen d’entrée généralisé.
Une très belle initiative. L’Education dite nationale ne se réformera pas d’en haut, mais d’en bas, par la liberté laissée aux parents de confier leurs enfants à l’école de leur choix financée par le bon scolaire dans un cadre légal à minima.
Excellent projet, mis en oeuvre dans les pays de l’OCDE qui ont salutairement réagi à la « gifle Pisa » en libéralisant, autonomisant et pluralisant leur offre éducative. C’est notamment le cas de la Suède, de l’Allemagne, des Charter schools et vouchers (USA), des Free schools et Académies ( R.U.)
Deux observations sur:
1)« le monopole éducatif ne régénère pas les esprits comme le voudrait la tradition jacobine »
2)« éducation nationale, bastille du conservatisme »
1) La tradition jacobine (dirigiste, centralisatrice, égalitariste et anti-libérale) ne veut pas tant régénérer les esprits, une démarche qui respecterait l’autonomie de la pensée, que formater le citoyen dans un moule unique, une démarche collectivement liberticide. Ce consensus mou asphyxie la raison critique, ingrédient essentiel de la démocratie, toutes deux exigeant le dissensus (Chantal Delsol).
2) La gauche jacobine se veut progressiste, un paradigme qui interdit de penser valablement une éducation qui est ontologiquement conservatrice : l’école ne peut jamais introduire l’élève que dans un monde déjà existant. (Hannah Arendt) Cf. »La Crise de l’Education », célèbre réquisitoire contre la Progressive Education, qui est la matrice du pédagauchisme grenellien. La traductrice française a malencontreusement traduit ces mots par « les progrès de l’Education », et ce contresens dénature l’ensemble du texte. Donc à lire de préférence en anglais
Le « conservatisme » de l’Education nationale est un conformisme idéologique, imposé par le catéchisme séculier de la Nomenklatura qui en a le contrôle. Et c’est bien pour cela qu’elle est irréformable par le haut. Même à gauche (Jacques Julliard dans Marianne, 25 juin 2015) le constat est désormais sans appel: « Il faut raser la Rue de Grenelle. »