Par Albin Hourder et Johan Honnet.
« C’est une régression comme nous n’en avons jamais vu en 60 ans, un véritable retour au XIXe siècle ».
Ces derniers jours, une hystérie considérable agite les réseaux sociaux et les discussions des militants engagés causée, semble-t-il, par un énième avant-projet de loi. Hystérie d’autant plus remarquable que l’apathie la plus complète semble avoir caractérisé le débat public ces derniers mois.
Partant de ce constat, nous avons pris la décision d’évaluer l’avant-projet de loi aussi objectivement que possible, c’est-à -dire sans y adhérer ni s’en indigner avant même de l’avoir lu.
Comme vous le verrez, les nombreuses critiques n’ont pu toutes être reprises. Elles n’en restent pas moins, pour l’écrasante majorité d’entre elles, fausses : en effet, le volet temps de travail de la loi est, pour une très large part, à droit constant comme vous en verrez l’illustration ci-dessous.
Douze heures par jour par simple accord d’entreprise
Une critique courante consiste à dire : « avec cette loi, la durée du travail quotidienne pourra passer à 12 heures par simple accord d’entreprise »
Face à une telle critique, il convient de préciser que la durée quotidienne maximale de travail est actuellement fixée à 10 heures1 bien que certaines dérogations au dépassement de cette durée soient possibles. Celles-ci nécessitent cependant soit l’autorisation de l’inspecteur du travail, soit de conclure un accord collectif prévoyant ce dépassement sans que ce dernier ne puisse dépasser 12 heures !
L’avant-projet de loi s’articule en trois points.
Le premier rappelle la règle d’ordre public : « La durée quotidienne du travail effectif par salarié ne peut excéder dix heures ».
Le deuxième rappelle le champ de la négociation collective : « Une convention ou un accord d’entreprise ou d’établissement, ou, à défaut, un accord de branche peut prévoir le dépassement de la durée maximale quotidienne de travail, en cas d’activité accrue ou pour des motifs liés à l’organisation de l’entreprise, à condition que ce dépassement n’ait pas pour effet de porter cette durée à plus de douze heures ».
Le dernier précise qu’à défaut d’accord, les dérogations à la durée maximale quotidienne seront accordées par l’autorité administrative, dans la limite de douze heures par jour.
De toute évidence, la réforme ne change rien sur ce point. La critique est donc infondée.
Soixante heures de travail par semaine
Une autre critique très courante, sans doute parce que le chiffre invoqué marque l’esprit de l’auditeur non informé, consiste à affirmer qu’« avec cette loi, il sera possible de faire travailler les salariés jusque 60 heures par semaine. »
Ici encore, la critique fait fi du contenu actuel du Code du travail puisque ce dernier prévoit qu’ »en cas de circonstances exceptionnelles, certaines entreprises peuvent être autorisées à dépasser pendant une période limitée le plafond de 48 heures, sans toutefois que ce dépassement puisse avoir pour effet de porter la durée du travail à plus de 60 heures par semaine. »2
Il convient de préciser que ce « super-plafond » de 60 heures existe depuis 1979 et nécessite de toute manière une autorisation administrative.
Or, que propose la réforme ?
L’avant-projet de loi crée un article L.3121-21 du Code du travail rédigé dans les termes suivants :
« En cas de circonstances exceptionnelles et pour la durée de celles-ci, le dépassement de la durée maximale définie à l’article L. 3121-20 peut être autorisé par l’autorité administrative dans des conditions déterminées par décret en Conseil d’État, dans la limite de 60 heures ».
Au vu de la référence aux « conditions déterminées par décret », il apparaît probable que le principe de l’autorisation administrative sera maintenu.
De ce fait, la réforme sur ce point apparaît être à droit constant. La critique sur ce point est donc là encore mal fondée.
Une diminution des temps de repos ?
Certains justifient leur opposition par le fractionnement des temps de repos créé par cette « loi scélérate ».
Or, les dispositions actuelles3 prévoient déjà qu’un accord d’entreprise ou d’établissement peut déroger à la durée minimale de repos quotidien de 11 heures, notamment pour assurer une continuité du service en cas de surcroît d’activité ou de travaux urgents sans réduire la durée du repos en deçà de neuf heures.
L’avant-projet de réforme ne modifie pas la substance de cette dérogation mais réorganise cette dérogation à la durée de repos quotidien en fonction du nouvel agencement du code vu supra : ordre public – champs ouverts à négociation – dispositions supplétives. Le fond reste ici inchangé si le décret à paraitre conformément à la rédaction du nouvel article L.3131-3 dispose des mêmes dérogations qu’actuellement
Il ressort de la réforme que la possibilité de déroger au repos quotidien par accord est à droit constant, tandis que la possibilité d’y déroger à défaut d’accord n’est possible que pour certains événements.
En conséquence, la critique est ici particulièrement mal fondée.
Les temps d’astreintes, déjà considérés comme du temps de repos
Afin de comprendre l’étonnement des professionnels du droit du travail quant à cette critique, une simple comparaison suffit :
L’article L.3121-6 actuel considère que « exception faite de la durée d’intervention, la période d’astreinte est prise en compte pour le calcul des durées minimales de repos quotidien et de repos hebdomadaire »
Le nouvel article L.3121-9 du Code du travail considère désormais que « exception faite de la durée d’intervention, la période d’astreinte est prise en compte pour le calcul de la durée minimale de repos quotidien […] et des durées de repos hebdomadaire… »
Dénoncer l’avant-projet de loi sur ce point n’a donc strictement aucun sens puisqu’il reprend exactement le droit existant.
La baisse de majoration des heures supplémentaires
Une des critiques les plus virulentes contre ce projet de loi serait le fait, d’après ses détracteurs, qu’ « un simple accord d’entreprise pourra abaisser la majoration de rémunération des heures supplémentaires de 25 % à 10 % »
Or, le droit actuel permet déjà à un accord d’entreprise de réviser le taux de majoration des heures supplémentaires sans qu’il puisse être inférieur à 10 %4, et ce depuis la loi 2004-391 du 4 mai 2004.
La chose est à comparer avec ce que propose l’avant-projet de loi : un nouvel article L.3121-32 prévoit qu’une convention ou un accord collectif d’entreprise peut fixer le taux de majoration des heures supplémentaires, taux ne pouvant être inférieur à 10 %.
L’avant-projet de loi ne constitue donc en rien une révolution mais ne fait que reprendre pour l’essentiel le droit actuel, qui permettait déjà à un accord d’entreprise de réviser le taux de majoration des heures supplémentaires. La critique est donc, ici encore, infondée.
La limitation du nombre de congés pour événements familiaux
Comme vous le voyez, de nombreuses critiques sont formulées à l’égard de cet avant-projet de loi. Une dernière sera retenue dans le cadre du présent article : selon de nombreux détracteurs, la durée des congés en cas de décès d’un proche sera réduite.
Est-ce vraiment le cas ?
Au vu du nombre d’erreurs déjà constaté, une vérification s’impose : quatre jours d’autorisation d’absence pour un mariage ou un PACS, trois jours pour une naissance, deux jours pour le décès d’un enfant, du conjoint ou du partenaire lié par un PACS, un jour pour le décès du père, de la mère, du beau-père, de la belle-mère, d’un frère ou d’une sœur et un pour le mariage d’un enfant5.
Ici encore, l’avant-projet de loi prévoit encore une architecture en trois niveaux sur ce point. C’est sur la troisième partie relative aux dispositions supplétives qu’il faut s’attarder : le salarié aura droit à quatre jours pour un mariage ou un PACS, trois jours pour une naissance, deux jours pour le décès d’un enfant ou pour le décès du conjoint, ou pour celui du partenaire lié par un pacte civil de solidarité, ou pour le décès du père, ou de la mère, ou du beau-père, ou de la belle-mère, ou d’un frère ou d’une sÅ“ur et un jour pour le mariage d’un enfant.
Si vous avez suivi attentivement, vous réalisez qu’à défaut d’accord, le salarié a droit, grâce à ce projet de loi, à un jour de congé supplémentaire pour le décès d’un proche (hors enfants et conjoints) par rapport au droit antérieur. Le reste demeure inchangé.
La critique n’aurait de sens que si, et uniquement si, les syndicats acceptaient d’aller en-deçà du minimum prévu par les dispositions supplétives. Qui peut sérieusement penser qu’une telle chose pourrait advenir ?
C’est à ce point précis de sa vérification que le spécialiste du droit du travail réalise que l’opposition de la « société civile » à cet avant-projet est une opposition à un contenu largement fantasmé, et non à son contenu réel.
- Albin Hourder est juriste en droit social, Johan Honnet est avocat.
Â
Je partage ce point de vu depuis le début, avec la certitude que cette loi ne favoriserait en rien l’embauche.
Ce qui est balot.
Mais votre analyse n’évoque pas un point important : en absence de syndicat le patron fera ce qu’il veut… En particulier sur des dispositifs de baisse du cout horaire. Louable pour sortir une entreprise d’une passe difficile… Louable pour les salariés eux meme qui conservent leurs emplois … Avec un gros defaut : la spirale vers la moins disance salariale.
Le syndicat, gardien et juge suprême autoproclamé du Bien ! En l’absence de syndicat, en tout cas des syndicats tels qu’ils sont aujourd’hui en France, le marché du travail serait tel que le salarié pourrait très fréquemment choisir son employeur…
Bof, Wal-Mart n’a pas de syndicats et pourtant elle a augmenté ses salaires de 16% en 2 ans non seulement pour garder son personnel le plus qualifié qui partait ailleurs mais aussi pour améliorer son image d’enseigne à bas salaires qui favorise la pauvreté.
Un marché du travail ouvert, libre et où les consommateurs peuvent avoir leur mot à dire peut avoir de bons résultats en la matière.
y a des Wal MArt en france? non?
Cap2006: « en absence de syndicat le patron fera ce qu’il veut… »
Dans un contexte de liberté c’est plutôt l’inverse, sans emmerdeurs, avec beaucoup moins de risques la création d’entreprise serait extrèmement dynamique et le chômage réduit. Le patron « qui ferait ce qu’il veut » verrait tous ses employés ou les meilleurs partir à la concurrence. Problème réglé.
Et tous les patrons ne fument pas un cigare en ricanant de joie devant les flots de haine qu’il suscite.
Merci pour cette mise au point mais alors il me viens une question : que font dans la loi nouvelle des choses qui ne font que reprendre le droit actuel ???
Merci pour cette analyse précise sur les dispositions temps de travail. J’attends la suite avec impatience.
Faute de casser la baraque, cet avant-projet fracasse la gauche sur du rien, c’est merveilleux !
Bonjour,
Je remarque que cette article est approximatif .
On ne commente pas des projets de lois en employant des mots : probable,
Bien coridalment
Bonjour,
Il est intéressant qu’apparemment un texte de loi nouveau reprenne à l’identique l’ancien !
Si vous souhaitez sortir du chomage, je vous invite à réfléchir sur le revenu de base inconditionnel.
Bien cordialement
Ce piège ? http://www.contrepoints.org/2016/03/11/242472-le-piege-du-revenu-universel
Bonjour,
Puisque le titre comporte un (1), c’est qu’après avoir présenté « les fantasmes », j’espère que vous présenterez les dispositions qui modifient le code du travail.
Si ce n’est pas le cas, dire que « l’opposition de la « société civile » à cet avant-projet est une opposition à un contenu largement fantasmé, et non à son contenu réel » sera mensonger parce que de nombreuses dispositions modifient le code du travail en défaveur des salariés.
Bref, effectivement nous ne devrions pas être pour ou contre TOUTES les dispositions d’un pavé de 130 pages. Il faudrait pouvoir lister le pour/contre/à modifier.
Mais comme on nous oblige à un raisonnement binaire, ce sera CONTRE notamment le plafonnement des indemnités des licenciement abusifs :
http://antimanuel-de-droit-du-travail.fr/WordPress/salauds-de-pauvres-chronique-de-leviction-des-pauvres-du-contentieux-du-travail/
Antimanuel
C’est prévu, d’où le « à suivre » 😉
Bonjour,
Oui, je viens de lire le (2), mais au vu du ton employé je m’y attendais : c’est une analyse qui feint d’être objective et prends ouvertement parti pour cette loi.
C’est le jeu, je comprends que le parti du contre à beaucoup oeuvré donc un peu au tour du parti pour.
Mais je répète, c’est bien parce qu’on nous enferme dans un raisonnement binaire.
D’ailleurs, même dans la partie (2), les auteurs n’analysent pas le plafonnement des indemnités des licenciement abusifs :
http://antimanuel-de-droit-du-travail.fr/WordPress/salauds-de-pauvres-chronique-de-leviction-des-pauvres-du-contentieux-du-travail/
Antimanuel
Le parti de ces articles est de contextualiser les critiques, soit en indiquant qu’elles sont infondées (notre premier article), soit en relativisant la critique.
Pour le plafonnement des indemnités pour licenciement abusif, il eût été possible de relativiser (en précisant notamment les exceptions à ce principe). Mais nous avons préféré nous concentrer sur d’autres points, notamment la hiérarchie des normes.
En effet, et là je parle en mon nom seul, ce plafonnement est matière à débat. Un débat de philosophie juridique (notamment au regard du principe de réparation intégrale du préjudice) et économique. Ce débat, je n’ai pas la prétention de le trancher en deux paragraphes. Il m’a paru plus sage de me concentrer sur d’autres points, peut-être à tort. Faites-moi du moins le crédit de la bonne foi.
Antimanuel de droit du travail: « les auteurs n’analysent pas le plafonnement des indemnités des licenciement abusifs : »
Un employé devrais avoir le droit de demander 4 fois la valeur de l’entreprise pour ce qu’il considère *lui* comme une licenciement abusif alors même que les juges sont très loin d’être neutre ?
Vous trouveriez juste qu’il n’y aie pas de plafonnement pour les crimes de droits commun ?
Pourquoi ne pas laisser le choix aux juge de mettre 100 ou 200 ans de prison pour un feu rouge grillé ?
votre article: « il est donc à prévoir que cette mesure dissuade une grande majorité des salariés de faire valoir leurs droits »
Leur droit à être invirable quand l’entreprise ne veut plus d’eux pour plein de raisons ? Quand le consentement mutuel n’est plus là pour une coopération, c’est absurde de vouloir le forcer ou le transformer en contrainte dissymétrique.
Le droit pour chaque employé d’être un risque mortel pour des entreprises qui en font vivre des dizaines d’autres ?
Pour une PME un employé a virtuellement un potentiel droit de vie et de mort sur l’entreprise et donc un autre individu qui a souvent sué sang et eau pour la monter. Quid de la réciproque ?
A lire les commentaires sur chacun des articles contestés de cette proposition de loi on reste pantois: alors que rien ne change par comparaison avec le code du travail actuel, à part donner un jour de congés sup pour le décés de membre de sa famille au second degré, pourquoi se donner la peine de pondre ce document, vite, tras vite avant les prochaines élections. Quel est l’arbre qui se cache au mlieu de la forêt?
L’objet de l’article est d’insister sur les rumeurs infondées.
L’objet du second article est de relativiser les apports proposés, quand il y a matière à relativiser.
Il ne s’agit ni d’un exposé exhaustif, ni d’une analyse politique sur les raisons ayant poussé le Gouvernement à envisager une telle loi.