Par Albin Hourder et Johan Honnet (*).
Un licenciement économique précisé
La procédure de licenciement économique est un domaine du droit du travail parmi les plus complexes. Cela est dû notamment à l’excessive protection accordée aux salariés licenciés pour des causes autres que le motif inhérent à leur personne.
Hélas, l’idéologie a parfois du mal à s’articuler avec la réalité. D’effets de seuil en formalisme idiot, l’employeur se retrouve empêtré dans un marécage réglementaire sans que cela aboutisse à une amélioration tangible du marché du travail français.
L’avant-projet de loi, de ce point de vue, n’apporte que des évolutions mesurées.
D’abord, il vient préciser le motif économique de licenciement relatif aux difficultés économiques de l’entreprise, ces dernières étant
« caractérisées soit par une baisse des commandes ou du chiffre d’affaires pendant plusieurs trimestres consécutifs en comparaison avec la même période de l’année précédente, soit par des pertes d’exploitation pendant plusieurs mois, soit par une importante dégradation de la trésorerie, soit par tout élément de nature à justifier de ces difficultés. »
Se faisant, l’avant-projet de loi reprend certaines solutions jurisprudentielles. À supposer que le texte reste inchangé sur ce point, il apparaît fort improbable que la jurisprudence s’infléchisse sur ce point : une baisse dérisoire des commandes ou du chiffre d’affaires ne justifiera pas plus demain qu’aujourd’hui un licenciement économique.
Ensuite, il incorpore dans la loi les motifs économiques créés par la jurisprudence ces vingt dernières années, à savoir la réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité et la cessation d’activité de l’entreprise. Sur ce point, il s’agit davantage d’une codification à droit constant que d’une réelle évolution.
Enfin, l’avant-projet de loi apporte un réel changement : l’appréciation des difficultés économiques, des mutations technologiques ou de la nécessité d’assurer la sauvegarde de sa compétitivité s’effectue au niveau de l’entreprise si cette dernière n’appartient pas à un groupe et, dans le cas contraire, au niveau du secteur d’activité commun aux entreprises implantées sur le territoire national du groupe auquel elle appartient. Actuellement, une entreprise appartenant à un groupe voit les difficultés économiques appréciées au niveau du secteur d’activité du groupe auquel elle appartient, c’est-à -dire à un niveau mondial. Une telle solution avait pour effet de priver de cause un licenciement justifié par la situation catastrophique du marché en France au motif que le secteur d’activité en cause se portait fort bien en Chine, au Royaume-Uni ou en Afrique du Sud. Une appréciation du motif économique au niveau du territoire national permettra d’éviter que ce genre d’absurdités ne prospère à l’avenir.
Des ruptures pour inaptitude enfin facilitées
L’inaptitude au travail du salarié est à la fois un casse-tête administratif et un gouffre financier pour l’employeur. Nécessitant une procédure de reclassement avant tout licenciement, la loi telle que rédigée actuellement oblige l’employeur à rechercher un emploi – dans son entreprise ou dans son groupe – pour un salarié inapte à tout emploi dans l’entreprise (sic).
S’ajoute l’obligation de reprendre le paiement du salaire un mois après le prononcé de l’inaptitude et les contentieux riches en la matière, l’inaptitude au travail est un sujet onéreux dans les professions à risques.
La réforme envisagée avance une nouvelle possibilité de licencier le salarié inapte en écartant cette obligation aberrante dès lors que l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans l’entreprise.
Autrement dit, enfin, « à l’impossible, nul n’est tenu ».
Une modulation allongée
Notre droit du travail prévoit que la période de référence maximale de calcul du temps de travail est l’année. Avec la réforme, cette période pourra s’étaler jusqu’à trois ans.
Le marché du travail soumis à divers aléas se doit d’être souple : la loi permet donc par divers moyens de faire varier la durée du travail sur certaines périodes, en prévoyant des périodes hautes et des périodes basses d’activité tout en respectant sur cette période la durée légale du travail. Cependant, cette modulation du temps de travail ne peut actuellement s’effectuer que dans le cadre de l’année.
La réforme vient donner de la souplesse au cadre rigide de la modulation en augmentant cette période de modulation :
- sur maximum 3 ans en cas d’accord collectif ;
- sur maximum 16 semaines par décision unilatérale de l’employeur.
Même si la période est augmentée, il faut savoir que les protections actuelles sont reprises dans l’avant-projet de loi et permettent de garantir au salarié une juste rémunération :
- toute heure effectuée au-delà de la limite haute d’activité est payée en heures supplémentaires ;
- toute heure supérieure à la durée légale de travail à la fin de la période de référence sont également des heures supplémentaires.
La fin des avantages individuels acquis
Les avantages individuels acquis font partie des éléments les plus sibyllins en droit du travail.
Défini par la jurisprudence, il s’agit de l’avantage qui,
« au jour de la dénonciation de la convention ou de l’accord collectif, procurait au salarié une rémunération ou un droit dont il bénéficiait à titre personnel et qui correspondait à un droit déjà ouvert et non simplement éventuel »1.
Source d’erreur et d’imprécision depuis des années, faute de pouvoir déterminer avec exactitude ce qui constitue un « avantage individuel acquis », la réforme El-Khomri propose de les supprimer purement et simplement et d’y substituer un principe du maintien de la rémunération perçue lors des douze derniers mois.
Un renforcement de la négociation collective
Une hiérarchie des normes déjà en souffrance
Une des critiques diffusée sur la toile depuis la publication de l’avant-projet de loi concerne l’irrespect du projet pour le principe de hiérarchie des normes :
« Cette loi permet une inversion de la hiérarchique des normes. Jusqu’à présent, le droit du travail était basé sur la hiérarchie des normes. Avec cette loi, les accords d’entreprise pourront prévoir des dispositifs moins favorables aux salariés que les dispositions générales et que les accords de branche.»
Or, la possibilité pour un accord collectif d’entreprise de déroger à la loi ou aux conventions de branche n’est pas nouveau.
Ce mouvement a été amorcé dès 19822 et a abouti en matière de temps de travail à la loi 2008-789 du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail. Cette dernière redéfinit les rôles respectifs de la loi et de la négociation collective en matière de temps de travail.
Si la loi encadre l’organisation du temps de travail (instauration d’une durée légale du temps de travail, de durées maximales de travail et de repos obligatoires), c’est la négociation collective qui vient ensuite préciser les modalités de mise en œuvre du temps de travail dans l’entreprise ; les décrets complètent l’édifice en venant préciser les modalités de mise en œuvre, à défaut de conclusion d’accords collectifs…
L’avant-projet de loi El Khomri reprend cette distinction entre ce qui relève de l’ordre public, ce qui relève de la négociation collective et ce qui est supplétif de volonté (c’est-à -dire devant s’appliquer à défaut d’accord). La structure proposée n’a donc, en soi, rien de révolutionnaire. Toutefois, il est vrai que cet avant-projet amplifie encore le mouvement amorcé en 1982 et renforcé en 2008.
Un renforcement de la légitimité des conventions et accords collectifs
Afin de renforcer la légitimité des accords collectifs (appelés à prendre une place plus importante encore), la condition d’audience électorale déterminant la validité des accords est portée de 30 % à 50%. Autrement dit, pour qu’un accord soit valable, les syndicats signataires doivent représenter au moins la moitié des suffrages exprimés lors des dernières élections professionnelles, et non plus seulement 30 %. Le seuil étant plus élevé pour avoir un accord valable, la valeur de la signature des syndicats augmente, et par là , leur pouvoir de négociation. Gardez ceci à l’esprit quand vous entendrez un de vos concitoyens déclamer que cette loi est une menace sans précédent pour les syndicats.
L’accord signé par des organisations ayant recueilli au moins 30 % des suffrages, mais moins de 50 %, pourra être approuvé par référendum d’entreprise. Parallèlement, le droit d’opposition syndical est supprimé (L. 2232-13 Code du travail).
S’agissant des niveaux de négociation, le texte prévoit que l’accord d’entreprise pourra se substituer à l’accord d’établissement (L. 2253-6 Code du travail). Il généralise la faculté de conclure des accords de groupe (L. 2232-33 Code du travail), dont les stipulations pourront se substituer à celles des accords d’entreprises ou d’établissements compris dans son périmètre (L. 2253-5 Code du travail).
L’avant-projet de loi vient aussi préciser les règles relatives à la représentativité patronale et prévoit un calendrier relatif à la restructuration des branches professionnelles afin de diminuer leur nombre.
Cette longue litanie de mesures n’est pas exhaustive. Nous n’avions pas la prétention d’être complet. Notre objectif est simplement de fournir au lecteur des éléments lui permettant de mesurer le degré de contre-vérités et d’erreurs entourant les débats autour de cet avant-projet de loi. Loin d’être une régression abominable, ce texte est en réalité à droit constant pour la partie « temps de travail » -celle qui cristallise les appréhensions les plus fortes. Cet avant-projet de loi n’est pas non plus révolutionnaire : contenant des évolutions réelles, il n’a toutefois pas la portée démesurée que certains essaient de lui prêter.
Des quelques éléments exposés ci-dessus, osons tirer quelques conclusions :
- le plus gros de l’opposition au sein de la société civile repose sur deux piliers : l’ignorance et le réflexe pavlovien de haine du patron.
- la motivation des syndicats semble tout à fait différente : comprenant bien que la partie sur le temps de travail est à droit constant, leur opposition vise avant tout d’autres points du texte, relatifs notamment au licenciement économique ou à l’encadrement des indemnités versées dans le cadre d’un litige prud’homal.
- la motivation de certains politiciens de la « Vraie Gauche » relève du calcul politique. Le contenu du texte leur importe peu : il s’agit de créer un casus belli en utilisant l’ignorance des uns et les intérêts bien compris des autres pour obtenir une primaire en vue de 2017.
* Albin Hourder est juriste en droit social, et Johan Honnet est avocat.
Tout ça et bien beau, vous nous expliquez que il n’y a pas vraiment de changement, que l’on a pas bien compris. soit.
Quel est le but alors ? petit rappel.
Ce (les) gouvernement fait des choses pour
1, avoir plus de voies à la prochaine élection .
2. étendre son pouvoir (retour aux choix 1)
3.Avoir plus d’argent (retour aux choix 1 )
Moi je vois une chose c’est que parmi les trois acteurs d’un emploi patron, salarié et état (charges à 50%), le seul qui doit au choix
1 travailler plus
2 gagner moins (retour au choix 1)
3 être moins protégé (retour au choix 1 pour garder son emploi)
Les autres acteurs ne sont pas impactés.
Même si cette reforme va dans le bon sens pour l’emploi, je trouve que l’état devrai l’accompagner d’une baise des charges de 10%, ça ferai taire les patrons et salariés avec un gain net.
Ce serai beaucoup plus efficace pour l’emploi, et donnerai un signal fort à nos prêteurs.
Et j’aurais moins l’impression d’être du bétail que l’on va traire.
Regardez une feuille de salaire, vous prenez la somme de la colonne de droite, vous l’ajoutez à la colonne de gauche et vous verrez que le plus urgent n’est pas le code du travail.
Cette loi, pour moi, est un stratagème, en vue des prochaines élections, afin de pouvoir contrer les libéraux dans leur argumentation. Car en l’état elle n’apportera pas grand chose , sinon un grand brouhaha, des gesticulations et peu de résultats…. »mais nous , les socialistes, nous avons fait évolué le droit du travail comme le réclamait le patronat !!! »
Ce que je ne comprends pas, c’est qu’au lieu de liberer les employeurs des couts, du risque et de la charge de la collecte des cotisations pour les assurances sociales concernant les salariés… Une mesure simple permettant à l’employeur de se concentrer sur l’essentiel : trouver des clients….
Et bien, pendant ce temps là …. On décourage un peu plus l’embauche des jeunes autours de la trentaine ( renforcement des contraintes) et on demande aux employeurs de collecter les impots sur le revenus.
Trouver des clients sans passer par un Cerfa ? Vous n’y pensez pas, ce serait la porte ouverte à l’ultra-hyper-libéralisme.
Un socialiste, fût-il politicien ou fonctionnaire, se doit de contrôler, diriger et pourrir la vie des autres.
Et dans vos commentaires, encore une fois vous oubliez l’essentiel qui n’est pas dans l’énumération fastidieuse et inuitile des « changements » apportés à notre code du travail pa ce projet de loi … vous oubliez son préambule et l’ouverture de la pratique religieuse au sein de l’entreprise. Car s »il ne reste que cela dans l’aventure entreprise par ce gouvernement, cela sera l’ouverture du monde du travail au communautarisme religieux au mépris de la laïcité si « ardemment » défendue par ce dernier.
Effectivement c’est un point qui n’est jamais évoqué et qui me dérange aussi. Que cette loi soit loin d’être parfaite, soit, mais je ne vois pas ce que vient faire la religion là dedans. Mélanger travail et religion, je ne vois pas ou est l’avancée au contraire. Cette loi mélange tout, mais c’était l’occasion d’y refourguer entre 2 lignes une petite dose de vivreensemble dans le respect des religions et patati et patata. Le principe de laicité se réduit comme peau de chagrin.
Bonjour MatinB et Libellule,
Désolé, sur ce sujet, l’article 6 ne reprend que le droit existant : voir l’article L. 1121-1 du code du travail et cet arrêt http://bit.ly/1M6Ni8m
Cordialement,
Antimanuel
tout ça n’a vraiment aucune importance ni pour le patron ni pour le salarié du moment que l’entreprise marche , pour les autres, bah , on fait avec , de toute façon , quand c’est foutu , c’est foutu pour tout le monde!
Bonjour,
La première partie et celle-ci sont bien gentilles et bien que je ne sois pas juriste ou avocat, simple technicien seulement, je suis quand même surpris que personne ne relève un élément qui pour moi est clé: la liberté religieuse imposée à l’entreprise. In fine, cela signifie le communautarisme et on fait entrer la religion dans l’entreprise.
c’et à mon sens inadmissible ! la religion est du domaine privé et n’a rien à faire dans l’entreprise.
La seule chose que cet article va apporter , c’est du « bordel » et du communautarisme. Il est donc à supprimer de toute urgence.. Qui a entendu parler de la nouvelle loi promulguée de mémoire le 8 mars 2016 sur l’immigration et qui régit la naturalisation. Elle est du même acabit. C’est la porte ouverte à du communautarisme pur qui se défendra aux cris d’orfraies de racisme.
Est-ce le bordel dans les écoles chrétiennes où le personnel est recruté sur ses compétences et très souvent sur ses convictions religieuses ?
Que dire des fonctionnaires recrutés sur leur allégeance à la religion socialiste ?
Mais durant les cours, les élèves ne s’arrêtent pas pour prier ou ne refusent pas de serrer la main à une femme.
Quant aux fonctionnaires, je présume que vous parlez de ceux de la fonction publique territoriale. S’il vous plait, ne les mélangez pas avec ceux d’État qui sont dévoués et ne sont pas tous, et de moins en moins, de religion socialiste.
Vous citez en réalité l’article 1er de l’avant-projet de loi, qui créé un préambule dans lequel se trouve un article 6. C’est ce dernier que vous évoquez dans votre commentaire.
Or, ce préambule reprend des grands principes déjà existants.
Ainsi, l’article L.1121-1 du code du travail actuel dispose « Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché. »
Parmi ces libertés individuelles, il y a la liberté d’expression, la liberté d’opinion et, bien sûr, la liberté religieuse. Rien de nouveau sous le soleil, donc.
NB : cet article L.1121-1 du code du travail a plus de 20 ans.
NB bis : Je suppose que vous avez la même conception de la liberté politique que de la liberté religieuse : « chacun pense ce qu’il veut, mais en privé ».
Il ne s’agit pas de dénigrer, en soi, les opposants que de critiquer certaines rumeurs infondées (qui consistent, en substance, à dire que les salariés travailleront 60 heures avec des heures supplémentaires majorées à 10%).
Il s’agit également de rendre sa réelle portée à cette loi, par exemple quant à la hiérarchie des normes qui avait déjà connu de nombreuses évolutions (en 2004, en 2008…).
Hélas, faute de place, il n’a pu être fait un tour exhaustif des changements (révision des accords collectifs, représentativité patronale…).
Faute de place, nous n’avons pas non plus expliquer que rien ne changeait vis-à -vis de la liberté religieuse (article L.1121-1 du code du travail, notamment). Comme vous avez pu le constater vous-même, sans démenti, la rumeur infondée selon laquelle cette loi consacre le communautarisme religieux en entreprise prospère. Rappeler l’existence de l’article L.1121-1 du code du travail vous paraît-il être un parti pris?
En bref, ce n’est pas tant l’opposition en elle-même qui est critiqué que les arguments déployés à cet effet.