Loi Travail : qui gagne ou qui perd quoi ?

Derrière la communication des organisations syndicales, qui a vraiment gagné quoi ?

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Manuel Valls en juin 2014 (Crédits : Parti Socialiste, licence CC-BY-NC-ND 2.0), via Flickr.

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Loi Travail : qui gagne ou qui perd quoi ?

Publié le 22 mars 2016
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Par Éric Verhaeghe

Manuel Valls en juin 2014 (Crédits : Parti Socialiste, licence CC-BY-NC-ND 2.0), via Flickr.
Manuel Valls en juin 2014 (Crédits : Parti Socialiste, licence CC-BY-NC-ND 2.0), via Flickr.

La loi Travail qui sera officiellement présentée mercredi donne lieu à une amusante guerre de postures entre adversaires et partisans du texte, qui n’en sont arithmétiquement pas les bénéficiaires ou les perdants. Dans ce grand tohu-bohu, un petit rappel sur qui gagne quoi et qui perd quoi permet de mieux décoder les tentatives d’enfumage des organisations.

La CFDT gagne le referendum d’entreprise

Officiellement, la CFDT a dénoncé un texte trop libéral qu’elle a dû corriger sous peine de rejoindre le mouvement intersyndical dans la rue. Derrière les effets de manche de Laurent Berger, le calcul de la CFDT est évidemment un peu plus éloigné des considérations philanthropiques qu’elle ne veut bien le dire.

Depuis le début, la CFDT parie sur la loi Travail pour obtenir une extension du recours au referendum d’entreprise. L’opération est audacieuse. Dans les entreprises où la CGT défend une ligne contestataire qui bloque les négociations, la CFDT est convaincue qu’elle pourra tirer son épingle du jeu en demandant l’organisation de referendum pour tailler des croupières à sa rivale.

Cet objectif essentiel justifie bien quelques arrangements avec le siècle et quelques enfumages de derrière les fagots. On ne sera donc pas étonné d’entendre Laurent Berger prendre une grosse voix sur le plafonnement des indemnités de licenciement ou sur le temps de travail des apprentis, qui sont autant de menaces importantes pour la loi. Pas question de mettre un texte aussi précieux en danger.

Le MEDEF gagne l’inversion de la hiérarchie des normes

Le MEDEF est, avec la CFDT, l’autre grand vainqueur du texte. Pour les entreprises disposant d’institutions représentatives du personnel, la loi Travail est une bénédiction inespérée. Alors que les partenaires sociaux ont échoué à introduire dans un accord interprofessionnel les dispositions permettant l’inversion de la hiérarchie des normes, Manuel Valls est en passe d’apporter ce cadeau sur un plateau en argent.

L’essentiel de la loi énonce en effet les dispositions du Code du travail qui pourront être « amoindries » par un accord d’entreprise, sous la réserve qu’il dispose d’une majorité de 50% parmi les syndicats représentatifs dans l’entreprise. Ce cadeau-là, joint à un autre cadeau secondaire (la définition du licenciement économique permettant de rompre plus facilement les CDI), rend le texte irremplaçable pour Pierre Gattaz.

Pour endormir les consciences, le président du MEDEF multiplie les effets de manche dénonçant une loi « décevante ». Un trop grand empressement à soutenir la loi risquerait d’éveiller les soupçons.

La CGPME gagne sa représentativité

Plus discrète, la CGPME remporte une victoire qui n’est pas négligeable. L’article 20 de la loi Travail devrait consacrer une méthode de calcul de la représentativité patronale dite 6-3-1. Pendant plusieurs mois, les organisations patronales se sont déchirées sur cette méthode de calcul. Par une opération émanant soit du Saint-Esprit, soit de l’un de ses coadjuteurs habitant l’Élysée, un message simple est passé: le MEDEF doit demeurer majoritaire, donc disposer d’au moins 6 sièges sur 10 dans les conseils paritaires.

La CGPME a dès lors entamé un puissant mouvement de retournement vers Pierre Gattaz pour définir une méthode de calcul qui lui attribue 3 des 4 sièges restants. L’opération laisse quelques traces auprès de l’UPA, qui représente les artisans et se retrouve avec la portion congrue.

FO prend le lead syndical

Paradoxalement, FO est l’autre grand vainqueur syndical du projet de loi Travail. C’est en effet FO qui a appelé à la mobilisation immédiate contre le texte, par delà les atermoiements de l’intersyndicale que la CFDT avait noyautée. Si la deuxième mobilisation a semblé plus terne que la première, FO peut revendiquer d’avoir pris les bonnes initiatives contestataires que la CGT tardait à prendre.

Incontestablement, Jean-Claude Mailly est en passe de réussir son départ et de placer son successeur Pascal Pavageau sur les « bons rails ».

Les frondeurs, grands perdants du texte

Du côté des perdants, les frondeurs socialistes ont incontestablement reçu une leçon. Impatients de torpiller leur ennemi Manuel Valls, notamment avec force subventions à l’UNEF, le syndicat étudiant en pointe dans l’opposition au texte, leur première manche est manifestement perdue. Au prix de quelques concessions bien maîtrisées, Manuel Valls est en effet parvenu à préserver l’essentiel de son texte, en jugulant les mouvements de rue et en divisant le front syndical.

Les frondeurs n’ont pas dit leur dernier mot. Le débat parlementaire sera long, disputé, complexe. Mais, pour l’instant, le Premier ministre peut s’estimer vainqueur du premier round.

La CGC aussi perdante que la CGT ?

La CGT a perdu son rôle moteur dans le mouvement contestataire qui lui revient d’ordinaire. C’est déjà une grande défaite. Ses sections d’entreprise devraient vivre, à l’avenir, avec la menace des referendums que la CFDT rêvent de demander.

Mais un autre syndicat représentatif est désormais en position de souffrance : la CGC. Affaiblie par une guerre de succession due à l’imprévoyance de sa présidente Carole Couvert, la confédération des cadres est absente du débat sur la loi Travail. Alors que le bon sens lui commande de se mettre dans le sillage de la CFDT, Carole Couvert multiplie les obstacles et les coups illisibles qui ont conduit le MEDEF à hausser le ton contre elle.

L’UPA, victime collatérale

La troisième fédération patronale, l’UPA, devrait voir actée sa minoration dans les conseils d’administration paritaires. Pour les artisans, cet arbitrage final constitue une défaite fâcheuse et injuste. L’UPA assume depuis de nombreuses années avec bravoure un certain nombre de sièges et de mandats dans des conseils d’administration, et s’illustre plutôt par sa capacité de proposition constructive.

Manifestement, l’engagement de l’UPA est mal récompensé. Le gouvernement n’a que faire de ses services et tant d’années studieuses devraient se terminer par une déroute réglementaire en rase campagne.

Pour Jean-Pierre Crouzet, président de l’UPA et de la fédération des boulangers, le quinquennat Hollande apparaît de plus en plus comme un long tunnel. Après l’interdiction des désignations en protection sociale complémentaire qui finançaient largement son mouvement, la réforme de la représentativité patronale en sonne le glas.

Badinter, perdant toutes catégories

Il avait cru, du haut de sa posture de sage, jouer aux commandeurs de la réforme. Il n’avait pas hésité à introduire une disposition scélérate sur le droit d’expression des convictions religieuses dans l’entreprise. Initialement, François Hollande lui avait demandé d’imaginer une réécriture du droit du travail pour le rénover de fond en comble. La mission s’était transformée en une réécriture « à droits constants ». Finalement, le texte de Badinter disparaît du projet de loi.

On ne s’en plaindra pas tant l’exercice auquel l’ancien garde des Sceaux avait prêté le flanc paraissait hors sol. En revanche, l’idole de la mitterrandie pourrait en prendre ombrage : il fait l’expérience désagréable de la fourberie en politique, qui consiste à mettre un homme-lige en avant pour le lâcher ensuite.

Sic transit gloria politica.

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