Par Jacques Garello
La Commission de Bruxelles repart en guerre contre le « dumping social ». Il ne doit pas être possible pour le plombier polonais de livrer une concurrence déloyale à des artisans et ouvriers français qui ont des salaires plus élevés, et pour lesquels les charges sociales sont bien plus importantes.
Aussi la Commission présente-t-elle aujourd’hui aux gouvernements européens et au Parlement un texte concernant les travailleurs « détachés » dont l’existence même paraît scandaleuse. Faut-il les renvoyer chez eux, ou les mettre sous bonne garde ?
Question qui révèle l’incohérence de la construction européenne.
Le plombier polonais
Personnage symbolique du dumping social, à ce qu’on dit.
En mars 2005, une directive de la Commission européenne, rédigée par Frits Bolkenstein, naguère leader du parti libéral flamand VVD, commissaire aux problèmes du marché intérieur européen, pose le principe de la liberté des entreprises et des salariés de circuler dans l’Europe entière tout en restant assujettis, ou bénéficiaires, au système social du pays dont ils sont ressortissants. Cette directive est dans un esprit totalement contraire aux principes du traité de Maastricht qui prévoyait une charte sociale européenne : tous les pays acceptant des règles de rémunération et de couverture sociale identiques. En dépit des efforts des Français et des Allemands, cette charte n’a jamais pu être promulguée, essentiellement parce que les pays du centre et de l’est de l’Europe n’en voulaient pas.
L’opposition, notamment en France, a été très vive et Philippe de Villiers a rendu célèbre le « plombier polonais » venu mettre en place dans une ville française une installation facturée à un prix défiant toute concurrence face aux tarifs d’un plombier français. Les souverainistes et les européistes ont oublié de préciser que pour les ménages français le plombier polonais était bien pratique : il manque d’hommes de l’art en France, et ceux qui l’exercent cet ont des rémunérations très supérieures aux honoraires d’un médecin spécialiste français.
Les détachés en accusation
L’affaire n’a pas été enterrée pour autant. D’une part, ce « dumping » s’est étendu à d’autres activités, les dentistes aussi bien que les peintres en bâtiment. Sur les chantiers des BTP, Polonais, Bulgares et Roumains nous privent de la collaboration des immigrés maghrébins. Par ailleurs, la goutte d’eau qui fait aujourd’hui déborder le vase est la pratique pour une entreprise allemande de faire travailler sur le sol de français des salariés allemands régis par la loi allemande. Ces personnes sont dites détachées, tout se passe comme si elles étaient toujours sur leur sol national.
En fait, la lutte contre le dumping social s’inscrit dans une stratégie valable pour tous les aspects de la vie économique, la lutte concerne aussi la fiscalité, la Sécurité sociale, les règles bancaires et financières et, finalement, toute la réglementation.
Préférence pour la planification
L’accusation de dumping se ramène en réalité à un constat : les conditions de production sont diverses suivant les pays, et même suivant les régions, ou encore suivant les entreprises.
L’erreur consiste à dénoncer une concurrence déloyale du seul fait qu’un concurrent avance une offre plus alléchante ; défense à un coureur de faire un temps inférieur à celui des autres. C’est une conception erronée et statique de la concurrence. La vraie concurrence est un concours qui pousse chacun à faire mieux que les autres, de sorte qu’en fin de compte les performances iront en s’améliorant pour tous : c’est un bienfait d’intérêt général, c’est une harmonisation par le haut. L’idée du dumping appelle au contraire le nivellement par le bas : interdiction de faire mieux que le plus nul.
Mais allez faire comprendre ce simple bon sens à des bureaucrates et politiciens ?
Le bureaucrate aime l’alignement sur une norme commune définie par la loi européenne. Le politicien est par nature protectionniste pour répondre aux attentes de ses paysans, artisans, vignerons et marchands de chandelles.
L’harmonisation est le nom politiquement correct de la planification centralisée, pratiquée avec bonheur en URSS.
La mutuelle reconnaissance des normes
La Commission de Bruxelles s’efforce de rompre totalement avec un principe posé par l’Acte Unique en 1985 (ratifié en 1986) : dans un échange, chaque pays s’engage à respecter les normes de l’autre.
C’est le pays d’origine qui est déterminant et pas le pays de consommation ou de production. La TVA appliquée à une voiture allemande vendue en France n’est pas au taux français, mais au taux allemand. Les charges sociales d’un salarié allemand détaché en France ne sont pas celles imposées par la Sécu, mais par la caisse allemande de retraite ou de maladie à laquelle il est assujetti. Les Français pénalisés ? Qu’ils exigent de leur gouvernement de diminuer le taux de TVA et de réformer la Sécurité sociale.
Seul ce principe juridique permet de concevoir un espace européen ouvert, de respecter la liberté de circulation des entreprises et des hommes. Mais qui s’en soucie en haut lieu ?
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Bonjour
« Sur les chantiers des BTP polonais, Bulgares et Roumains nous privent de la collaboration des immigrés maghrébins. »
Celle-là je l’encadre. (on n’est pas le 1° avril pourtant)
Bien vu !
Holà l’auteur de l’article, pouvez vous développer SVP ?
Nous sommes impatients.
j y ai vu une sorte d’humour assez jubilatoire !
C’est un classique de Coluche: « Et puis qu’est-ce que c’est que ces Portugais qui viennent retirer le pain de la bouche à nos Arabes »
Cher monsieur,
vous êtes content qu’un plombier polonais vienne réparer votre tuyauterie pour 3 francs 6 sous.
Maintenant accepteriez-vous qu’on fasse venir des économistes d’Europe de l’Est entassés payés la moitié ou le tiers de votre salaire et que vous vous retrouviez au chômage ?
Apparemment, comme pas mal de « libéraux » vous aimez la fonction publique, protection de l’emploi oblige … les risques c’est bien mais c’est pour les autres …
La critique se comprend. Trop souvent, les gens qui défendent la libre concurrence (ou l’immigration, etc.), le font du haut de leur statut … qui les en protège ! Professeur d’université, par exemple…
Cela étant, je ne suis pas sûr qu’elle s’applique à Jacques Garello.
Et puis votre argument est quand même assez cynique : la moralité s’arrête donc où commence le remplissage du portefeuille, il faudrait être contre un principe moral juste parce que ça risque de nous faire perdre, au profit d’un mieux-disant, tout ou partie de nos revenus ?
Faut pas être dogmatique (autant que les stals). Que l’unification des taux se fasse par la concurrence ou par la loi, c’est exactement la même chose.
La réalité de ce pb est le même que pour les frontaliers traditionnellement. La différence est simplement que la modernité abolit les distances. Ce qui conduit bien à une unification à plus ou moins long terme.