Par Wackes Seppi.
Le numéro d’avril de Que choisir, tout compte fait, nous a ravis. Bien sûr, il y a quelques points qui font froncer les sourcils : on ne peut pas tout avoir. La couverture est aguicheuse, sans être sensationnaliste comme chez… les voisins de présentoir qui ont encore fait très fort ce mois-ci.
Pesticides : « Dans la maison aussi »
Alors que se déploie une infâme manipulation des esprits et une nauséabonde désinformation appelée « semaine sans pesticides », la revue aborde la question des pesticides dans nos logements et, même nos têtes. En appelant « pesticides » les choses à bannir selon elle.
Le fipronil, par exemple, est un « pesticide » dans ses usages agricoles. Il a été accusé par le passé d’être un « tueur d’abeilles » ; des questions ont aussi été posées concernant ses effets sur la santé humaine, particulièrement pour les enfants. Le qualifier de « biocide » quand il est utilisé comme anti-puces pour les chiens et les chats ne change rien à l’affaire. Au contraire : notre proximité avec une substance « biocide » est bien plus grande qu’avec la même « pesticide » agricole.
Que dire de l’incroyable discordance entre la parole et l’action de ces entreprises – une chaîne de jardineries par exemple – qui contribuent au discours anti-pesticides tout en vendant sans vergogne des anti-puces pour animaux au fipronil ou au dimpylate (alias diazinon, classé cancérigène probable par le CIRC) et, bien sûr aussi, des pesticides labellisés « naturels » ?
On ne peut donc qu’accueillir avec satisfaction un article qui rappelle une évidence : nous sommes exposés à des pesticides dans notre entourage immédiat à des niveaux bien supérieurs à ceux qui dérivent de l’usage agricole. Sans qu’il en résulte, sauf exception, de problèmes pour notre santé.
Cash Investigation ou Cash Désinformation ?
Il a tout faux, Martin Boudot… et cela n’a pas été corrigé. L’article s’ouvre sur une critique de cette émission du service (normalement) public : l’opinion de Que Choisir sur le mensonge des 97,4 % des aliments censés contenir des résidus de pesticides ?
« Ce n’était sans doute pas suffisamment vendeur pour avoir droit à une émission en prime time, alors au diable la véracité des chiffres. »
Sur l’eau :
« L’eau du robinet est en revanche potable partout, sauf exceptions qui touchent des bourgs et des villages situés en zones de grandes cultures et de viticulture. […] On peut consommer l’eau du robinet sans ingurgiter de pesticides. »
Générations Futures gentiment poussé dans les orties
Un article consacré à notre promiscuité avec les pesticides ne pouvait pas y échapper :
« Les traitements agricoles peuvent polluer les habitations riveraines de parcelles de vignes, de vergers ou de champs céréaliers : par des analyses durant les périodes d’épandage, l’association Générations futures l’a récemment montré. Mais c’est rarement la principale cause de pollution des logements. (…) Contrairement à ce que l’on pourrait a priori supposer, si l’activité de l’exploitation agricole a un réel impact sur la pollution du logement, elle est rarement prédominante. »
Et de citer une étude Atmo Nord-Pas-de-Calais, malheureusement non référencée :
« La majorité des molécules provient des biocides d’usage domestique, et les concentrations enregistrées à l’intérieur des logements sont en général supérieures aux niveaux constatés à l’extérieur. »
Nous citerons pour notre part le dossier de presse « Évaluation des pesticides dans les exploitations agricoles – Présentation des résultats – Juin 2013 » :
« Les niveaux constatés à l’intérieur des logements sont majoritairement supérieurs à ceux constatés en extérieur avec une majorité de molécules non liées à une activité agricole »
C’est même le cas dans logements des agriculteurs.
« Une étude inquiétante »
Il y a tout de même une finale un peu anxiogène fondée sur l’étude de J.-F. Viel et al., « Pyrethroid insecticide exposure and cognitive developmental disabilities in children: the PELAGIE mother-child cohort ».
Il aurait été utile de faire référence au bémol que l’on trouve dans le communiqué de presse de l’INSERM en gras :
« Bien que ces observations doivent être reproduites par d’autres études afin de pouvoir conclure définitivement, elles pointent sur la responsabilité potentielle à faibles doses de la deltaméthrine en particulier (puisque le métabolite cis-DBCA est son métabolite principal et sélectif) et des insecticides pyréthrinoïdes en général (puisque le métabolite 3-BPA est un produit de dégradation d’une vingtaine de ces insecticides) », explique Cécile Chevrier, chargée de recherche à l’Inserm, principal auteure de ces travaux.
Que Choisir nous ramène quand même sur terre. Écrivant sur la perméthrine, il conclut :
« Comme cette substance est interdite en agriculture depuis quinze ans, on ne peut s’en prendre qu’à nos propres usages. »
Mais il aurait aussi été utile de faire preuve de plus de sens critique. Ce qu’il y a de remarquable dans cette étude, c’est qu’elle est bourrée de statistiques, élaborées de manière acrobatique car il a fallu éliminer autant que possible tous les facteurs de confusion imaginables pour une cohorte de 287 enfants. L’absence de données sur les résultats des tests d’évaluation de la compréhension verbale et de la mémoire de travail est encore plus confondante. Il y aurait une « baisse constatée des performances cognitives chez l’enfant » (communiqué de presse de l’INSERM)… mais on ne sait pas de combien.
Ni s’il faut s’en inquiéter. A priori non, puisque les pyréthrinoïdes n’ont pas été interdits d’usage domestique. Autre indicateur : aucune « ONG » ne s’est fait un fond de commerce de leur interdiction. Par ailleurs, ces substances rendent des services et il faut aussi raisonner en termes de coût-bénéfice. Soyons odieux : une baisse de performances cognitives ou une belle microcéphalie due à Zika ? Le chik ?
Odieux ? Pas tant que ça !
Cette question mérite une petite digression. Comment se protéger du Zika – et plus généralement des maladies vectorielles (paludisme, dengue, chikungunya, mais aussi filariose, etc.) ?
Source. Â J’instrumentalise un enfant, je sais…
Nos pérégrinations cybernétiques sont relativement stériles. L’article « Epidémie de Zika : recommandations pour les femmes enceintes » du ministère des Affaires Sociales et de la Santé est étonnamment – et scandaleusement – flou :
« Si elles ne peuvent ou ne veulent différer leur voyage, elles doivent renforcer les mesures de protection antivectorielles et les bonnes pratiques relatives à l’utilisation des produits insecticides et répulsifs. »
Santé Canada ne s’encombre pas de politiquement correct dans « Recommandations canadiennes pour la prévention et le traitement du virus Zika ». Il y a toute une section sur les mesures de protection individuelle. Les mots « DEET », « icaridine », « perméthrine » n’y sont pas tabous. On n’y dit pas « renforcer… » dans une phrase boîteuse, on dit dans le détail ce qu’il faut faire.
Et Santé Canada ajoute :
« La sécurité des insectifuges, des moustiquaires imprégnées d’insecticide et des vêtements traités à la perméthrine/des traitements des vêtements à la perméthrine ont été examinées au Canada ou aux États-Unis. Leur sécurité est établie pour les enfants, les femmes enceintes et celles qui allaitent, s’ils sont utilisés conformément aux instructions figurant sur l’étiquette. »
Les produits sont aussi mentionnés dans la version anglaise d’un document de l’OMS, mais pas, curieusement, dans la version française…
Å’uvrer pour la protection des consommateurs ne devrait pas se limiter à la dénonciation ou au classement des produits et services, mais aussi consister à promouvoir les bonnes pratiques, dans ce cas précis à combattre la bobo-attitude et l’angélisme vert, fût-il gouvernemental.
Qui croire face à une menace de santé publique telle que Zika ? Menace réelle pour nos concitoyens ultra-marins, passée pour les Polynésiens, en cours pour les Antillais ? Une équipe de recherche soumise au « publish or perish » et à l’obligation de rechercher la notoriété, ou les experts des agences sanitaires, gestionnaires du risque médical ?
Tampons et serviettes hygiéniques
- Le syndrome du choc toxique
Bel article également. Encore que… quand on milite pour l’indication de la composition du produit sur le paquet, il serait judicieux de se souvenir que la place sur les paquets est parfois mesurée. À notre sens, il vaudrait mieux rappeler les précautions d’emploi plutôt que de donner le détail d’une composition. De toute manière, le ressort militant est ici une curiosité et, depuis que certains s’en sont fait leur fond de commerce, une pression médiatique. La comparaison avec les obligations d’étiquetage pour les cosmétiques est bien capillotractée…
Que Choisir insiste à juste titre sur les conseils d’emploi et l’origine du syndrome du choc toxique. Revenant sur l’histoire de Lauren Wasser, il note :
« …son histoire associée à l’opacité sur les ingrédients présents dans les tampons a alimenté la paranoïa. »
- « Absence de composants indésirables »
Les théories du complot, ce n’est pas vraiment pour Que Choisir : des fabricants lui ont répondu sur la composition de leurs produits. Mais, comme « un processus de fabrication […] peut être source de diverses contaminations », Que Choisir a fait procéder à des vérifications pour des substances dont la liste est donnée, en toute modestie, dans une note :
« Or, bien qu’ayant fait appel à trois laboratoires différents, les plus performants […], nous n’avons rien trouvé.«Â
La composition ? Elle est donnée ici.
- 60 Millions, prenez-en de la graine !
Là où 60 Millions de consommateurs nous avait gratifiés d’un gros tableau, Que Choisir se contente de quelques phrases.
Mais ce n’est pas tout. Revenant sur les affirmations de 60 Millions :
« Le plus problématique ? Des traces de dioxines dans deux tampons. Des contaminants que nous n’avons pas recherchés car les précédents tests de nos homologues européens n’en avaient pas trouvé. »
Puis vient l’estocade :
« Les résultats de notre confrère ne justifiaient cependant pas la couverture exagérément alarmiste du magazine. »
Et dire qu’il s’est trouvé une secrétaire d’État pour donner suite à la gesticulation…
Pas de complot ?
Que Choisir écrit à propos des coupes menstruelles :
« La polémique sur la composition des tampons fait le bonheur des fabricants de coupes menstruelles. »
C’était sans nul doute sans malice. Mais les adeptes des théories du complot n’auront pas de mal à imaginer qu’il y a eu, de la part du « confrère », une intention cachée.
Vins en biodynamie – de surprenantes réussites
Troisième article intéressant, informatif et bien conçu. Que Choisir donne quelques détails sur l’ésotérisme/charlatanisme pour conclure :
« Des détails qui suffisent à faire pouffer n’importe quel lecteur un tant soit peu rationnel. »
Sous le titre : « Des études scientifiques peu concluantes », la revue expose les difficultés de l’expérimentation, en donnant longuement la parole à Mme Anne Duval-Chaboussou, chargée de mission de la chambre d’agriculture du Maine-et-Loire. Ce qui est dit est intéressant, mais pourquoi diable avoir limité l’expérimentation à une comparaison entre bio (traditionnel) et biodynamie, sans témoin conventionnel ? Le référent régional viticulture du Vaucluse, M. Éric L’Helgoualch, met aussi en perspective les déclarations des viticulteurs qui trouvent une amélioration après passage à la biodynamie :
« Mais ce ne sont pas les mêmes millésimes, il n’y a pas de témoins, ils ont pu modifier d’autres choses que leur façon de travailler, donc il est impossible de dire de façon scientifiquement fondée : c’est dû à la biodynamie. »
Ajoutons qu’il y a aussi le travail en cave. Il s’est quand même trouvé un Å“nologue doté de « sept ans en fac » et converti qui n’avait jamais entendu parler de la biodynamie il y a dix ans. Étrange…
Mais la revue a aussi raison de s’en tenir aux faits : la dégustation :
« Notre test le montre, la culture en biodynamie n’est pas une garantie de qualité gustative, mais elle peut réserver d’excellentes surprises. »
Quant à la contribution à la protection de l’environnement, que nous ferions en dégustant un vin issu de biodynamie, nous serons plus réservés. Il n’y a pas que des farfelus qui refusent de traiter contre les cicadelles pour protéger leurs propres vignes et celles des autres du court-noué…
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Pour circonscrire la propagation du virus Zika, le ministre de la Santé a conseillé aux femmes ayant « un projet de grossesse » d’avoir « des relations sexuelles protégées ».
Après ces bons conseils, on finit par avoir de légers doutes sur la pertinence des bons conseils, qu’ils proviennent des verts, des associations de consommateurs, des ONG ou du gouvernement.
Alors d’une manière générale, j’attends qu’on établisse des règlementations et qu’on les fasse respecter mais uniquement sur les rapports d’experts mandatés pour cette tâche et uniquement pour des motifs de sécurité (et prenant en compte le « service » rendu). Il est utile (et même indispensable) que le travail de ces experts soit lui-même contrôlé, mais c’est un débat d’experts auquel je ne saurais prendre parti et auquel je ne veux pas être mêlé, tant qu’il n’y a pas un refus de dialogue entre les experts.
Quant aux experts auto-proclamés, je les crois plus dangereux que tous les pesticides, éléments radioactifs, produits alimentaires de « junk food », ou escrocs et pollueurs réunis …
Vous avez mal lu les recommandations concernant zika.
Non, non, c’est bien le cas :
« On peut attraper le virus par voie sexuelle. Cela m’amène à faire cette recommandation, que j’ai déjà exprimée, et qui vient des autorités sanitaires, c’est que lorsque l’on est une femme enceinte, ou que l’on a un projet de grossesse, il faut avoir des relations sexuelles protégées parce que le virus peut se transmettre par la voie sexuelle. » Marisole TOURAINE
http://lelab.europe1.fr/virus-zika-marisol-touraine-conseille-aux-femmes-ayant-un-projet-de-grossesse-davoir-des-relations-sexuelles-protegees-2679415
Une belle analyse de l’émission Cash Investigation sur les pesticides :
http://www.pseudo-sciences.org/spip.php?article2614
Et un dossier complet et sérieux sur le sujet dans les deux derniers numéros de la revue Science et pseudo-sciences.
http://www.pseudo-sciences.org/spip.php?article2580
Ce n’est pas pour se protéger du court-noué que l’on traite les vignes contre la cicadelle, mais pour se protéger de la flavescence dorée dont la cause est un phytoplasme transmis par la cicadelle. Le traitement consiste à brûler toute la vigne et tout le matériel en bois qui a risqué de toucher les ceps si plus de 20 % des pieds sont atteints. Comme la cicadelle est un insecte, l’infection peut avancer rapidement. Imaginez la tête di viticulteur à qui l’on annonce que tout son vignoble doit être brûlé… Le traitement préventif consiste à décimer la cicadelle selon une stratégie globale organisée par les services préfectoraux qui fait avancer le traitement selon des directives géographiques précises. Il s’apparente à la vaccination et perd énormément de son efficacité si un seul viticulteur néglige de traiter son vignoble aux périodes indiquées par les service vétérinaires. La flavescence dorée a attaqué le vignoble bourguignon par le Sud et représente un réel danger comparable à celui du phylloxera.
Le farfelu qui a refusé de traiter son vignoble parce qu’il perdait son appellation « bio » n’a pas fait preuve de solidarité avec ses voisins, c’est le moins qu’on puisse dire. Mais il a obtenu la sympathie des médias qui ne connaissaient pas grand chose à l’affaire. La preuve ? vos commentaires…