Par Jacques Garello
Ces trois hélicoptères sont ceux de Mario Draghi, de Milton Friedman et de Friedrich Hayek. Le président de la Banque Centrale européenne s’est permis de brocarder Milton Friedman, prix Nobel et chef de l’école monétariste. Il a repris l’image de l’hélicoptère jadis donnée par Friedman qui expliquait que la monnaie déversée par une banque centrale du haut d’un hélicoptère n’avait pour résultat que l’inflation, nocive à l’économie. Lui, Draghi, se faisait fort d’inonder le continent européen en déversant du haut de son hélicoptère de Francfort des euros sans aucune limite, sachant que c’était tout bénéfice pour la relance de la croissance. Quant à l’hélicoptère de Friedrich Hayek, cet autre Nobel et chef de l’école autrichienne prédisait qu’il allait tomber en panne car sa mécanique serait déréglée : il valait mieux le laisser dans le hangar.
Friedman et le néo-quantitativisme
Reprenant la longue tradition d’Aristote à Jean-Baptiste Say, Friedman attribue l’inflation à une création excessive de la quantité de monnaie. « L’activisme monétaire » est une erreur : la monnaie ne dope pas l’économie. « Rien n’est moins important que la monnaie… quand elle est bien gérée », dit-il. Mais quelle est la bonne gestion monétaire ?
Elle doit être automatique, il ne faut plus la laisser à la discrétion des banques centrales. Car le besoin de monnaie d’une économie est en proportion constante avec le volume de transactions effectuées. Pour fixer les idées : à un taux de croissance de 5% l’an, le besoin de monnaie exprimé par les entreprises et les ménages devrait augmenter de 5,5 % environ. « La monnaie est un bien de luxe » : on en consomme davantage quand on s’enrichit. Même si on se trompe sur le cap, l’important est de n’en point changer. Balancez des tonnes de dollars du haut de l’hélicoptère, la seule conséquence réelle sera la hausse du niveau général des prix : seules les étiquettes vont changer. Au contraire, une masse monétaire en croissance régulière à un rythme de k% a un effet stabilisateur : quand l’économie s’emballe, la monnaie sera insuffisante et freinera, quand l’économie ralentit, l’excédent de monnaie financera la reprise.
Dans les années 1980, en moins de deux ans le monétarisme a permis de mettre fin, aux États Unis et en Europe, à trente cinq ans d’inflation et de dévaluations. Conseiller de Reagan, Friedman a ouvert la voie à vingt années ininterrompues de croissance de l’économie américaine. Mais la politique automatique suppose rigueur et courage des dirigeants politiques, qui doivent renoncer à fabriquer de la fausse monnaie pour financer leurs déficits et rembourser leurs dettes.
Hayek et le taux d’intérêt monétaire
Les banques centrales ont aussi l’habitude de jouer sur le taux d’intérêt auquel elles feront payer leur concours. On n’est pas loin du quantitativisme, puisque des taux d’intérêt plus avantageux encourageront plus de demandes de liquidités, donc plus d’émission monétaire. Beaucoup de gens vont alors engager des dépenses et des opérations auxquelles ils auraient renoncé si le taux de la banque centrale avait été plus élevé. Le taux d’achat des liquidités, que Hayek appelle le taux monétaire, peut ainsi se trouver très inférieur au taux d’intérêt réel c’est à dire à ce que rapportent les liquidités empruntées, transformées en crédits bancaires et en financement de projets d’investissement ou de consommation. Cette « prime à l’emprunt » a un effet sur la qualité des crédits accordés. On débouche sur ce que Hayek appelle le « malinvestissement » : les mauvais projets seront financés et ce financement manquera aux bons projets. Friedman regardait la quantité de monnaie émise, Hayek la qualité des contreparties de la masse monétaire : les créances sur les banques, les ménages, les entreprises, les opérateurs en bourse. Loin de s’opposer, les deux approches se complètent, tout comme l’économie de l’offre et l’économie de la demande peuvent se conjoindre (avec toutefois une primauté à l’offre, d’après la loi de Say).
Mario Draghi fait mieux que les deux autres réunis : il multiplie la masse monétaire et abaisse le taux d’intérêt. Mais il n’a aucune crainte : les liquidités et les financements injectés sont orientés vers des emplois réels à haute rentabilité, puisqu’il s’agit de créances sur les États, qui en ont bien besoin et ne feront jamais faillite. Vive Draghi : à quand le Nobel ?
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