Quelle surprise, le ministère de la Justice manque de moyens !

Jean-Jacques Urvoas estime que la justice manque de moyens… mais qui est au pouvoir depuis 4 ans et qui n’a rien fait ?

Partager sur:
Sauvegarder cet article
Aimer cet article 0
Jean-Jacques Urvoas crédits Parti socialiste (CC BY-NC-ND 2.0)

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Quelle surprise, le ministère de la Justice manque de moyens !

Publié le 6 avril 2016
- A +

Par Nathalie MP.

Jean-Jacques Urvoas crédits Parti socialiste (CC BY-NC-ND 2.0)
Jean-Jacques Urvoas crédits Parti socialiste (CC BY-NC-ND 2.0)

On se demande parfois qui nous gouverne.

Quand, de bon matin, je lis dans la presse certaines déclarations de membres éminents du Parti socialiste, j’en viendrais presque à croire que Sarkozy « le barbare » est encore aux commandes en 2016 et qu’il s’évertue comme par le passé à organiser la « casse  » du service public. Ce week-end par exemple, Jean-Jacques Urvoas, socialiste de longue date en Bretagne comme à l’Assemblée nationale, s’est alarmé auprès du Journal du Dimanche sur les moyens absolument miséreux du ministère de la Justice. Non seulement les factures impayées s’amoncellent par millions d’euros, mais, ajoute-t-il, pour mieux frapper les esprits :

« Je connais même un tribunal où on n’imprime plus les jugements, parce qu’il n’y a plus d’argent pour les ramettes de papier. »

« Oh, wait ! » écriraient à juste titre des blogueurs plus jeunes que moi. M. Urvoas n’est-il pas garde des Sceaux, depuis peu certes, mais dans une majorité présidentielle qui a la charge de notre exécutif depuis mai 2012 ?

Justice sinistrée

Si les étonnements du nouveau ministre paraissent assez déplacés compte tenu des quatre années dont Mme Taubira, qui l’a précédé à ce poste, a disposé pour inverser la tendance d’une justice budgétairement « sinistrée » comme il l’affirme aujourd’hui, ils reflètent néanmoins une réalité paradoxale.

L’évolution de nos comptes publics est très loin de la trajectoire d’austérité qu’on lui attribue généralement, les déficits publics continuent de s’accumuler, et pourtant nos efforts en faveur du fonctionnement de nos tribunaux et de notre administration pénitentiaire sont plutôt mal classés en Europe.

Selon une étude publiée en 2014 par la Commission européenne pour l’efficacité de la justice ou Cepej, et portant sur les chiffres 2012, le budget total de la justice ramené au nombre d’habitants se situe à 123 euros en France, contre 166 en Allemagne et 223 au Royaume-Uni.

Entre 2011 et 2015, le budget du ministère de la Justice a évolué de 7 à 8 milliards d’euros, se stabilisant à ce dernier niveau pour 2016.

À titre de comparaison, citons le ministère de la Culture, dont le budget 2016 est fixé à 7,9 milliards d’euros en augmentation de 2,9 % sur 2015. Or la justice est une activité régalienne à laquelle l’État devrait accorder toute son attention, tandis que la culture, dont la moitié du budget est consacré à l’audiovisuel public, n’a pas véritablement vocation à faire partie des missions de l’État, sauf éventuellement pour ce qui concerne l’entretien du patrimoine évalué à environ un milliard d’euros dans le budget 2016.

Il est important d’avoir ces repères pour bien comprendre que lorsque les libéraux plaident pour un recul de l’État dans les affaires de la France, ils n’imaginent nullement procéder à un reflux uniforme des dépenses publiques. Les politiques du type « ne pas remplacer un fonctionnaire sur deux partant en retraite » partent d’une bonne intention mais manquent de contenu qualitatif. Il est impératif de repenser d’abord toutes les missions de l’État afin de garder et renforcer celles qui visent à assurer la sécurité des personnes et des biens. Pour les libéraux, la justice est donc un secteur important du rôle de l’État. Elle se trouve cependant particulièrement mal lotie dans notre pays qui est par ailleurs le champion de la dépense publique, des prélèvements obligatoires, du nombre de fonctionnaires et du nombre d’élus.

Jean-Jacques Urvoas, récemment arrivé à la Chancellerie déplore donc un manque criant de moyens qui affecte clairement le fonctionnement des tribunaux et des prisons. Dans l’ensemble, notre budget de la Justice représente 1,9 % du budget de l’État, sachant que plus de la moitié de cette somme est consacrée à l’administration pénitentiaire et non aux tribunaux.

Pour ces derniers, on compte 11 juges professionnels pour 100 000 habitants en France, contre 25 en Allemagne et une moyenne de 21 pour toute l’Europe (48 pays). Les procureurs sont au nombre de trois pour 100000 habitants chez nous contre 12 en Europe. Ils sont aussi les plus surchargés d’affaires à gérer. Notons que l’Allemagne parvient à ce résultat tout en n’ayant que 116 tribunaux de grande instance contre 174 chez nous pour une population plus importante de 15 millions d’habitants.

Entre le manque de personnel qualifié et la hausse importante du nombre de dossiers à traiter, les délais s’allongent inévitablement et finissent par donner lieu à une justice sans visibilité pour les Français. Ajoutons à cela l’épisode très politisé du « mur des cons » dans lequel s’est illustré le syndicat de la magistrature (non majoritaire) et on comprend que les Français sont de plus en plus nombreux à déclarer qu’ils ne font pas confiance à la justice. Dans un sondage publié par Le Parisien en 2014, ils étaient 75 % à estimer qu’elle fonctionne mal.

 

Surpopulation carcérale

Un facteur aggravant du désamour entre les Français et leur justice tient aussi au fait qu’après l’arrivée de Christiane Taubira un stock de 80 000 à 100 000 peines de prison ferme s’est trouvé « en attente d’exécution » en raison des problèmes de surpopulation carcérale.

Rachida Dati avait déjà mis en place un principe d’aménagement pour toute peine de prison inférieure à deux ans mais la précédente majorité avait finalement acté la construction de 24 000 places de prison supplémentaires entre 2012 et 2017. Or ce projet a été annulé par Christiane Taubira qui n’a conservé que les constructions déjà en cours.

Aujourd’hui, le taux de surpopulation carcérale est de 114%, alors que l’Allemagne est à 86 % et le Royaume-Uni à 97 %. Au début de l’année, les détenus étaient au nombre de 66 700 pour un total de 58 600 places. La vétusté et le manque de personnel poussent fréquemment détenus et surveillants à la crise de nerfs, engendrant mutineries et prises d’otage locales, comme on l’a vu à l’été 2013. La France a aussi le triste privilège d’avoir le cinquième rang (2012) en Europe pour les suicides en prison. Face à ces problèmes, il n’existe que deux solutions : soit vider les prisons en aménageant les peines et en prévoyant des peines de substitution à la prison, soit construire des places de prison supplémentaires et rénover les places existantes.

Arrivée à la Chancellerie en mai 2012, Christiane Taubira a clairement opté pour la première solution. Ayant démissionné fin janvier 2016 en raison d’un désaccord avec le couple exécutif sur la question de la déchéance de la nationalité pour les terroristes, que peut-on dire de son bilan au ministère de la Justice après quatre ans ? Il est généralement jugé assez « maigre », tant par les magistrats majoritaires que par les observateurs les plus exigeants de notre vie politique. Le Mariage pour Tous, voté un an après l’arrivée des socialistes au pouvoir malgré la forte opposition de la population, est incontestablement son principal fait d’armes. Mais quoi qu’on en pense, il a de toute façon peu de rapport avec les moyens judiciaires et pénitentiaires.

Deuxième action menée à bien, elle a supprimé les peines planchers instaurées par Sarkozy, comme le candidat Hollande l’avait promis. Il s’agissait de peines minimum applicables aux délinquants récidivistes. Leur suppression a renforcé sa réputation laxiste auprès de la droite et a inauguré une animosité durable entre elle et Manuel Valls, alors ministre de l’Intérieur. Son atout en matière pénale consistait également en une réforme de la justice des mineurs et la mise en place de la contrainte pénale, c’est-à-dire une peine alternative à la prison ferme. Mais ces derniers points n’ont donné que des résultats mitigés, les magistrats se servant très peu des possibilités de la contrainte pénale alors que le sursis avec mise à l’épreuve existe déjà. Et au final, le rapport 2015 de l’ONDRP (Observatoire national de la délinquance et de la réponse pénale) analysé par le blogueur h16 « montre qu’à l’exception des vols avec violence en zone de police, tous les types de violences augmentent. »

Jean-Jacques Urvoas arrive donc au ministère de la Justice à quinze mois de la fin du quinquennat. Il a peu de temps devant lui pour élaborer une nouvelle politique pénale mais il a encore la possibilité d’inverser la vapeur en ce qui concerne les moyens de son ministère. Obtiendra-t-il une rallonge budgétaire pour 2016 lors d’un prochain collectif du même nom ? En tout cas, son interview au JDD a été retweeté par le Service d’information du gouvernement, comme si ce n’était pas le gouvernement qui fixait les budgets des ministères !

Dans une interview donnée au journal Le Parisien peu après sa nomination il indique que « le pays a besoin d’un rehaussement significatif du budget de la justice » et il précise, à rebours de ce qu’il préconisait auparavant :

« L’incarcération est un outil utile, et la surpopulation carcérale une réalité. Je crois qu’il faut construire de nouvelles places de prison. Dans la négociation budgétaire que je vais devoir engager avec le Premier ministre, j’espère obtenir des moyens financiers pour lancer de nouveaux chantiers. »

La « négociation budgétaire » dont il est question devrait au minimum inclure la suppression effective d’autres dépenses afin de ne pas accroître le dérapage d’un budget 2016 dont on sait qu’il a été très difficile à boucler, et qu’il est déjà soumis à la pression des multiples promesses lâchées par François Hollande ou Manuel Valls depuis janvier. Hélas, ce n’est pas dans les habitudes françaises.

Si l’on espère que les appels de Jean-Jacques Urvoas pour faire sortir la justice française de sa « misère » seront entendus, afin d’assurer aux Français la justice qu’il sont en droit d’attendre conjuguée à des conditions carcérales dignes d’un pays développé, surtout quand il se décerne assez régulièrement le titre de « patrie des droits de l’Homme », on ne peut s’empêcher cependant d’être inquiet des dérapages des comptes publics que cela risque d’induire si ce n’est compensé par la baisse d’autres dépenses.

On ne peut pas plus s’empêcher de craindre les nombreux revirements opportunistes du ministre, ainsi que sa propension à favoriser tous les projets de loi les plus sécuritaires à grande échelle et les moins efficaces, tels que l’article 20 de la loi de programmation militaire et la loi Renseignement qui se passent des décisions judiciaires et augmentent les pouvoirs de police administrative. M. Urvoas semble très à l’aise pour placer tous les Français sous surveillance. Saura-t-il aussi empêcher spécifiquement les délinquants de nuire aux autres et créer les conditions d’une justice à la fois ferme et respectueuse des libertés de ses citoyens ?

Sur le web

Voir les commentaires (5)

Laisser un commentaire

Créer un compte Tous les commentaires (5)
  • Comment peut-on qualifier un état où les petits criminels (vols, violences, agressions, destruction, escroqueries, etc..) n’ont pas grand chose à craindre de la justice ?

    • @ jsimian
      On peut qualifier cet état de myope! Ils n’ont pas vu que l’ € était au plus bas, que les exportations en étaient facilitées d’autant que la croissance fragile y revenait, que le pétrole au prix étonnamment plancher pouvait aider les industries et autres entreprises, et au lieu de booster l’économie française et en profiter pour réformer le pouvoir, l’état en a profité pour confisquer encore plus de taxes, occuper l’assemblée nationale sur des débats de la vie privée.

      Je suis persuadé que si l’Union Européenne, pas trop convaincue par la France défendant ridiculement sa bonne volonté, la condamnait à cette amende de 4 milliards, elle ferait oeuvre utile. Cela n’aura pas lieu, malheureusement (ce serait une première, que je sache), donc la France ne changera pas et continuera à favoriser sa ploutocratie politico-administrative aux dépens du pays qui restera mal géré.

  • Toutes mes félicitations ! Pourquoi ? Parce que le site  » Contrepoints « est , avec la presse russe et les sites « Underground » (Bellaciao, Wikistrike, Voltairenet, Breizh Info, etc ), un des très rares médias de la presse conventionnelle , à publier des articles exceptionnels.

    Ce qui me frappe , dans les commentaires des lecteurs , est qu’il s’agit de braves gens , mais qui n’ont aucune idée du fonctionnement concret de la justice . Il y a eu , en 2013 , 3.899.792 jugements rendus par les juridictions judiciaires , dont 2.647.813 ( 67,90 % ) en matière civile , et 1.251.979 ( 32,10 % ) en matière pénale . Je n’ignore pas que la justice pénale absorbe la majeure partie du budget, et que la justice civile doit donc se contenter de la portion congrue .

    Justement, il y avait jusqu’au précédent quinquennat des outils qui ont été détruits. A la demande de Madame TAUBIRA, j’ai rédigé une note sur le budget de la justice, elle était en capacité de tourner en autofinancement. Naguère, un dossier était jugé en 6 à 9 mois, un an ou plus en cas d’expertise ou de sursis à statuer. Un dossier coûtait en moyenne 900 euros, aujourd’hui il coûte de 3.600 à 8.000 euros, Madame TAUBIRA a répété deux fois ces trois chiffres à l’Assemblée Nationale, sans objection de quiconque, tant à l’intérieur, qu’à l’extérieur de l’hémicycle.

    Les jeunes magistrats étaient discrètement pris en charge et maitrisaient en quelques mois la fonction judiciaire. Pour un justiciable vainqueur, le cautionnement versé lui était restitué, le procès étant gratuit à son égard. Les deux tiers des procès étaient financés à perte, les gros dossiers compensant les petits. Les justiciables étant formés à plaider leur dossier, le contact avec le juge était direct et approfondi.

    Aujourd’hui, un dossier sur dix se termine par une déclaration de sinistre, eu égard à la complexité des délais. Surtout, de plus grave, un savoir-faire, équivalent en ancienneté et en richesse, aux compagnons du devoir, les bâtisseurs de cathédrales, aura disparu dans une décennie. Mais, décemment, tout cela, Monsieur URVOAS ne pouvait pas le dire.

  • La surpopulation carcérale a nettement augmenté à cause des décisions réduisant les constructions de prisons. Depuis 2012 dans cette sur occupation de cellules la proportion de prisonniers couchant sur des matelas posés à terre a presque doublé pour atteindre 1200.

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don
Fameux pataquès que celui déclenché le week-end dernier par le tout nouveau ministre de l'Intérieur Bruno Retailleau (LR) à propos de l'État de droit. Dans un court entretien avec les journalistes du JDD dans lequel il confie d'abord son chagrin et sa colère face à l'effroyable meurtre de la jeune Philippine survenu au moment où il prenait ses nouvelles fonctions, il conclut crûment, crânement, en affirmant que : "L’État de droit, ça n’est pas intangible ni sacré. (…) La source de l’État de droit, c’est la démocratie, c’est le peuple souverain."... Poursuivre la lecture
5
Sauvegarder cet article

Face à l’islamisme et aux attaques terroristes, l’État français a pris une mesure courageuse : interdire les Laguiole et les Opinel. Finis les pique-niques entre amis, fini le saucisson coupé sur les bords de Seine : le Laguiole est le danger.

Amis scouts et randonneurs, votre canif fait de vous un terroriste.

Les couteaux de poche sont classés comme des armes de catégorie D dont le port est prohibé. Jusqu’à présent, une tolérance était appliquée. Mais face à l’ampleur des attaques « au couteau », l’État, qui veut votre bien, a ... Poursuivre la lecture

Lorsque la célèbre affaire Dreyfus éclata, à la toute fin du XIXe siècle, la position de tolérance des libéraux français avait déjà été maintes fois réaffirmée, et leur mobilisation « dreyfusarde » ne devait surprendre personne.

Gustave de Molinari, Yves Guyot, Frédéric Passy, figurent parmi les signataires des protestations publiées par le journal l’Aurore, en 1898. Ce soutien public s’accompagne d’ailleurs d’un engagement privé : Gustave de Molinari, par exemple, envoie une marque d’attention à Édouard Grimaux, professeur à l’École P... Poursuivre la lecture

Voir plus d'articles