Par Éric Verhaeghe.
La loi Sapin 2 devrait ressusciter les fonds de pension à la française. Cette information, très technique, intéresse peu le grand public. Mais elle fait sourire les connaisseurs du secteur qui y voient tout sauf une information anodine. Elle a même tout d’une nouvelle illustration des connivences qui font le capitalisme français.
Les fonds de pension, ces mal-aimés
Les fonds de pension ont mauvaise réputation en France, parce qu’ils symbolisent l’industrialisation d’un « capitalisme sauvage » et qu’ils absorbent une épargne utile à la retraite par répartition. La France les a donc bannis pour mieux généraliser sa sécurité sociale.
En France, subsistent toutefois des contrats de retraite supplémentaire qui restent marginaux dans l’économie globale du système : les encours totaux (contrats collectifs et individuels) ne dépassent pas les 200 milliards d’euros, soit moins de 10% du PIB. Une misère ! Cette situation correspond bien à l’intention de dissuader toute concurrence sérieuse possible à la retraite par répartition.
L’absence de fonds de pension est-elle un handicap ?
Si l’on admet l’hypothèse que le fonds de pension est une syndication industrielle du capital (c’est-à -dire une coalition de petits capitalistes qui joignent leur épargne pour mener une stratégie d’investissement professionnalisée), alors on mesure l’impact économique de sa prohibition en France. Les partisans du fonds de pension ne manquent pas de statistiques pour l’illustrer:
Les investisseurs étrangers détiennent de l’ordre de 42 % des actions des entreprises cotées tricolores. Une proportion parmi les plus élevées au monde qui pallie de facto l’absence de fonds de pension tricolores.
L’absorption d’une part importante de l’épargne des Français par nos régimes de retraite, et l’interdiction faite aux épargnants de se coaliser pour investir pénaliseraient donc nos entreprises et favoriseraient leur prise de contrôle par les fonds étrangers. Je suis un peu sceptique sur le sujet, mais je n’ouvre pas le débat ici.
Les conséquences cachées de la prohibition
Les experts du domaine ne reconnaîtront jamais la face cachée du dossier, parce qu’ils ne veulent se fâcher avec aucun des acteurs du marché. Mais enfin, tout le monde le sait, l’interdiction des fonds de pension ne fut pas un gâchis complet. Certains en ont profité pour tirer leur épingle du jeu. C’est en particulier le cas des assureurs (entendus au sens large) qui ont pu créer des fonds d’épargne retraite, notamment en application de « l’article 83 », qui permet de verser une part du salaire sur un compte de retraite supplémentaire par capitalisation, liquidable en rente.
Cette opportunité historique qui fut saisie par les assureurs (et les banquiers assureurs) dans les années 2000 s’est transformée en épine dans le pied avec l’adoption de la directive Solvabilité 2. Celle-ci oblige les assureurs à renforcer leurs fonds propres pour faire face aux risques de faillite. Les normes de fonds propres pour couvrir les risques longs (comme l’épargne retraite, dont la duration est de plus de 40 ans) sont extrêmement drastiques.
Même si les encours de l’épargne retraite sont limités, leur exigence en fonds propres met le feu au lac assurantiel : beaucoup cherchent à se débarrasser de leur portefeuille, ou alors plaident pour une exemption de Solvabilité 2 sur le champ de l’épargne-retraite.
D’où la revendication émanant du secteur pour une loi créant des fonds de pension à la française.
Une stratégie de prédation des services de l’État ?
Face à l’inquiétude, voire la détresse pour certains, des assureurs qui gèrent de l’épargne-retraite, l’État en a-t-il profité pour monnayer chèrement la rédaction d’un projet de loi favorable au secteur ? Nous n’étions évidemment pas là pour tenir la chandelle, mais certaines informations sont tombées à pic pour donner une portée toute nouvelle aux intentions du gouvernement.
C’est notamment le cas du rapprochement entre la CNP Assurances et AG2R, acteur paritaire de la protection sociale complémentaire qui gère de l’épargne retraite. Là encore, les experts du secteur se souviennent qu’un rapprochement similaire entre la CNP et Malakoff Médéric (alors dirigée par le frère du président de la République) avait échoué en 2011, parce que l’autorité de contrôle s’y était opposée.
Mais le fait qu’AG2R soit dirigée par un ancien commissaire contrôleur n’est évidemment pour rien dans l’accord qui est donné, cette fois, au rapprochement…
Faut-il en revanche imaginer que l’État ait consenti à une loi permettant à AG2R de desserrer la contrainte en fonds propres que Solvabilité 2 exerce en contrepartie d’un partage de son portefeuille ? L’histoire le dira, mais rien ne l’exclut.
Une offensive idéologique en règle
Pour accompagner ce mouvement, AG2R fait donner le gros de la troupe.
Ainsi, Philippe Crevel, qui dirige le Cercle de l’Épargne, ancienne structure lige de Generali, passée dans le giron d’AG2R, s’est fendu d’un article dans la presse économique pour vanter les bienfaits d’une épargne retraite par capitalisation gérée paritairement.
La véritable création de fonds de pension à la Française nécessiterait, par ailleurs, une certaine dose de mutualisation ce que n’interdit en aucun cas la capitalisation contrairement à quelques idées reçues. Elle supposerait aussi la participation active des partenaires sociaux à leur gestion. Ce qui est la règle pour la retraite par répartition (AGIRC/ARRCO) ainsi que pour l’épargne salariale et le PERCO devrait l’être aussi pour les produits de retraite collectifs par capitalisation.
C’est marrant : Crevel décrit pile-poil les produits AG2R. Comme disait André Renaudin, délégué général d’AG2R :
«AG2R-La Mondiale se réjouit de soutenir et mettre son expertise au service d’organismes de réflexion tel que le Cercle de l’Épargne pour décrypter les évolutions en matière d’assurance de protection sociale et patrimoniale en France, aider à les comprendre et préparer l’avenir».
Du travail de pro !
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