Par Isabelle Chaboud.
Un article de The Conversation
Désormais, tous les groupes de luxe ont pris le virage du marketing digital. Initié en 2006 chez Burberry avec Angela Ahrendts, d’autres grandes maisons lui ont emboîté le pas et ne manquent pas de créativité. Dernier exemple en date, Ralph Lauren a introduit des « miroirs intelligents » dans ses cabines d’essayage à New York. Mais quels sont les véritables motivations et les premiers résultats de ces stratégies ?
L’interactivité pour doper les ventes
À son arrivée à la tête de Burberry en 2006, Angela Ahrendts a fait du marketing digital une de ses priorités : création d’une page Facebook et utilisation des réseaux sociaux, équipement des assistants d’iPad permettant de suivre les stocks et les historiques d’achats des clients, lancement du site « The Art of the Trench » où chacun peut poster une photo avec un trench-coat Burberry dans le monde entier et présenter sa façon de le porter et de le personnaliser : couleurs, boutons, boucles, doublure… et possibilité de visualiser le résultat sur iPad. Si d’autres acteurs du luxe ont suivi, c’est que les résultats étaient là . Dans un article intitulé « Why is Burberry’s digital strategy so good ? », le rédacteur spécialisé Robin Swire indique qu’en 2014, Burberry, grâce à sa stratégie en marketing digital, affichait une croissance de son chiffre d’affaires de plus de 14 % supérieure à celle de ses concurrents dans le même secteur.
En septembre 2015, LVMH a embauché un directeur digital pour le groupe : Ian Rogers, ancien d’Apple montrant à quel point repenser la stratégie au niveau global est importante.
Chez Ralph Lauren, Stefan Larrson, le nouveau PDG du groupe depuis fin septembre 2015, semble également s’orienter vers un marketing digital très novateur. Son objectif : redynamiser la marque et attirer à nouveau les clients en boutique en créant une toute nouvelle expérience client.
Les « miroirs intelligents » de la boutique Polo
Depuis novembre 2015, les cabines d’essayage du magasin emblématique Polo de la 5e Avenue à Manhattan (New-York), sont équipées de « miroirs intelligents » grâce à la plateforme technologique proposée par Oak Labs. Et d’après le groupe Ralph Lauren, les résultats sont concluants puisque le taux d’engagement (« qui mesure la propension des consommateurs à interagir avec la marque sur les réseaux sociaux ») est de 90 %, ce qui est plus élevé que prévu. De plus, « les cabines d’essayage interactives aident les clients à se connecter émotionnellement et digitalement avec la marque » et « la technologie et le contact humain sont aussi importants chez Polo ».
Les cabines d’essayage de Oak Labs utilisent la technologie RFID (Radio Frequency Identification ou Identification par radio fréquence) pour identifier les articles que le client potentiel a apportés dans la cabine d’essayage. La technologie RFID est déjà présente dans de nombreux magasins, elle permet d’identifier un objet, d’en suivre le cheminement et d’en connaître les caractéristiques à distance grâce à une étiquette émettant des ondes radio, attachée ou incorporée à l’objet.
Lorsque les articles sont essayés par le client dans la cabine, le vêtement apparaît immédiatement sur le miroir et une simple pression sur la glace permet d’indiquer les autres tailles et les couleurs disponibles en magasin pour chaque article. Les miroirs Oak Labs permettent également de faire des propositions (grâce à des robots stylistes) vers d’autres articles de la boutique qui pourraient s’accorder avec la pièce choisie.
Par exemple, si un(e) client(e) essaye une veste, un chemisier ou un pantalon s’accordant avec la veste pourra lui être suggéré. Toute la technologie qui existe en ligne est introduite ici dans la boutique. Le client n’a plus à sortir de sa cabine d’essayage, il lui suffit d’effleurer le bouton : « call an associate » qui signale directement à un vendeur, via son iPad, de venir vers la cabine d’essayage et d’apporter d’autres tailles ou articles.
Afin de rendre l’expérience client plus agréable encore, il est possible de faire des choix d’éclairages lorsqu’il entre dans la cabine d’essayage afin de simuler des différents moments de la journée : pleine lumière pour le grand jour, lumière réduite pour le soir ou encore ambiance club. Enfin, Oak Labs offre même la possibilité, en sus de l’anglais, de changer de langue : espagnol, portugais, chinois, japonais, italien.
Intégrer la technologie en boutique, nouveau levier de croissance
Dans une étude réalisée par Contact Lab et Exane BNP Paribas sur 61 boutiques de luxe visitées à New York, Ralph Lauren apparaît comme la firme ayant le mieux réussi à incorporer la technologie dans ses magasins suivis par Bergdorf Goodman et Burberry. C’est la seule marque qui a mis en place des cabines d’essayage connectées et « intelligentes ». D’après Healey Cypher, PDG de Oak Labs,
les clients veulent tout très vite et facilement, or quand ils entrent en magasin, ils se rendent compte que les choses n’ont pas réellement changé.
Ancien cadre chez eBay, il a travaillé dans leur laboratoire d’innovation pour l’activité distribution et notamment sur ce projet de cabines d’essayage connectées avant de cofonder sa société Oak Labs. Uri Minkoff, le PDG de la marque Rebecca Minkoff qui a ouvert sa première boutique de 2 000 m2 à Soho en novembre 2014, considère que ces cabines d’essayage connectées ont permis de tripler en moins d’un an le niveau attendu de ventes de vêtements.
L’offre que Healey Cypher a développée consiste à proposer une technologie adaptable à toute boutique désireuse de renforcer l’expérience de la marque par le digital. Au-delà , il considère qu’il y a une incompréhension consistant à croire que les données recueillies par les transactions réalisées en ligne sont plus facilement exploitables que celles collectées sur les points de vente. Selon lui, « lorsque l’on collecte directement les données sur le lieu physique, l’impact est significatif ».
Par exemple, grâce aux miroirs Oak Labs, les boutiques peuvent connaître directement le taux de conversion pour chaque article, le temps passé dans les cabines d’essayage et le taux de conversion pour chaque cabine. Donc ces dernières peuvent savoir « quels articles sont essayés mais non achetés ». Grâce à ces statistiques, le groupe Ralph Lauren, dans notre cas, peut aisément identifier quel modèle de veste est régulièrement essayé mais avec un taux de conversion plus faible que pour d’autres vestes. Ces informations peuvent être très pertinentes pour les acheteurs ou les designers aussi car l’esthétique du modèle peut être bonne mais pas la coupe.
Une solution technologique qui va s’étendre
Pour Ralph Lauren, les cabines d’essayage équipées de la technologie RFID présenteraient un avantage certain en permettant un gain de temps réel pour trouver les articles recherchés par le client, faciliteraient le suivi des stocks. La solution technologique permet de connaître les quantités en stock en magasin et en réserve et donc de savoir exactement quel est le nombre d’articles disponibles.
Après le succès de New York, le groupe Ralph Lauren vient d’implanter la cabine d’essayage Oak Labs dans une deuxième boutique à Dallas, en mars 2016. L’offre est séduisante et semble facilement transposable à d’autres points de vente lorsqu’une marque ne dispose que de quelques boutiques ; par contre le coût n’a pas été divulgué et requiert certainement des investissements financiers importants : étiquettes, lecteurs, aménagement des cabines d’essayage, matériel informatique, licence mensuelle à reverser à Oak Labs… La question sera donc de savoir si les ventes réalisées par les magasins équipés de cette technologie seront réellement supérieures à ce qu’elles étaient dans les magasins non équipés.
Ralph Lauren investira-t-il dans cette technologie pour tous ces 171 points de vente et ses 242 magasins d’usine ? Ces cabines avec « miroirs intelligents » permettront-elles d’attirer à nouveau les clients en boutique à une époque où de nombreux clients se tournent vers les achats en ligne ? Healey Cypher est convaincu que cette « expérience unique pour les clients » contribue à augmenter le panier moyen. En tous cas la progression des ventes chez Rebecca Minkoff et leur désir d’équiper les trois autres magasins américains semblent le prouver. Si l’adoption du concept par Ralph Lauren confirme également cette tendance, d’autres marques pourraient franchir le pas.
- Isabelle Chaboud est Professeur d’analyse financière, d’audit et de risk management, Grenoble École de Management (GEM).
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Très bien.
Si il a un domaine qui n’a pas changé avec le numérique ce sont bien les vêtements.
Reste plus qu’ avoir des vêtements sur mesure.