Dès 1898, il décrivait l’exil fiscal d’aujourd’hui

L’exil fiscal n’a pas attendu les années 2000 pour exister. Dès que l’impôt devient confiscatoire, les contribuables réagissent, à juste titre.

Partager sur:
Sauvegarder cet article
Aimer cet article 0
Impots Exil Fiscal (Trez/Le Cri du Contribuable)

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Dès 1898, il décrivait l’exil fiscal d’aujourd’hui

Publié le 21 avril 2016
- A +

L’impôt progressif sur le revenu, instauré en 1905, n’a pas attendu l’introduction de cet échafaudage supplémentaire qu’est l’ISF ni l’ouverture financière (relative) du monde pour causer l’exil fiscal des plus fortunés. En vérité, dès 1898, au moment où une commission parlementaire étudiait l’intérêt de le créer en France, l’économiste français Yves Guyot publia Les tribulations de M. Faubert. L’impôt sur le revenu. Dans ce livre, écrit comme un roman voire comme une pièce de théâtre, Guyot prédit les défauts de l’impôt sur le revenu : il le voit devenir un impôt spoliateur, compliqué, et injuste. Et il l’est devenu. (Benoît Malbranque)

 (Ce livre a été réédité en 2014 par l’Institut Coppet : voir sur la page du livre sur la plateforme des éditions de l’Institut Coppet, où il est disponible gratuitement dans tous les formats ebooks : epub, mobi, pdf, doc et html).


Dès 1898 Yves Guyot décrivait bien l'exil fiscal
Yves Guyot par Nadar, image libre de droits

Yves Guyot, Les tribulations de M. Faubert. L’impôt sur le revenu

Un article de l’Institut Coppet.

L’expulsion des étrangers.

M. Faubert venait de lire cette lettre et se préparait à répondre : — Laissez-vous taxer et ne dites rien. Le seriez-vous au double, au triple, au décuple, ne bougez pas. Tout plutôt que les agréments de la commission du pressoir [nde : commission de contrôle des déclarations].
Il allait prendre la plume, quand on lui annonça M. Jonathan, le riche Américain dont la famille occupe un des plus beaux hôtels du parc Monceau.

M. Jonathan. — Mon cher Monsieur Faubert, je sais que vous êtes homme de bon conseil. Je viens prendre votre avis.

M. Faubert. — A votre service.

M. Jonathan. — Vous savez que j’ai acheté un hôtel à Paris. Ma famille reste à peu près toute l’année en France. L’hiver elle va à Cannes ou à Nice : et j’avais l’intention d’y acheter une villa. L’été, elle va à Trouville où nous avions aussi l’intention de nous installer. Moi, je passe à peu près six mois en France et le reste aux États-Unis. J’en arrive. On me dit que je suis soumis à l’impôt sur le revenu, que je n’ai pas fait la déclaration que je devais faire et que je vais être soumis à une taxe de 50 p. 100 en plus à raison du revenu qui m’aura été assigné d’office. Qu’est-ce que cela signifie ?

M. Faubert. — Cela veut dire que vous êtes soumis à l’article 5 de la loi Doumer : « L’impôt général sur le revenu est dû pour l’ensemble de leur revenu annuel par toutes les personnes  résidant sur le territoire français. »

M. Jonathan. — Mais d’abord, suis-je résidant ? Quelles sont les conditions prévues pour établir la résidence ? Y a-t-il des conditions de possession, de durée de séjour ?

M. Faubert. — Non. Est résidant celui qui réside.

M. Jonathan. — Pendant six mois, trois mois, un mois, huit jours, un jour?

M. Faubert. — La loi ne le dit pas.

M. Jonathan. — Au moins dans le canton du Vaud, pour être considéré comme résidant, il faut avoir séjourné trois mois. On en est quitte pour partir le 90e jour.

M. Faubert. —  Ici, ce n’est pas prévu.

M. Jonathan. — En réalité, si ma femme réside en France, moi je n’y réside pas. Je vais et je viens. Tous mes intérêts sont de l’autre côté de l’Atlantique.

M. Faubert. — Oh ! vous êtes un résidant authentique. Vous avez un hôtel ; vous voulez acheter des villas…

M. Jonathan. — Que je n’achèterai pas. Au contraire. Si on m’ennuie, je vais vendre mon hôtel.

M. Faubert. — Vous n’êtes pas le seul dans ces intentions. Il y en a même qui les auraient déjà réalisées s’ils avaient trouvé preneurs.

M. Jonathan. — Mais comment la commission locale pourrait-elle établir mon revenu ?

M. Faubert. — Vous êtes tenu de le déclarer.

M. Jonathan. — Mais je ne le connais pas moi-même. Je déclarerai ce qu’il me plaira.

M. Faubert. — La commission contrôle, par tous les moyens à sa disposition, les déclarations qui lui sont soumises et y apporte les rectifications qu’elle juge nécessaire. (Art. 34.)

M. Jonathan. — Mais pour moi, elle n’a aucun moyen à sa disposition. Je n’ai pas à payer en France. Tous mes comptes sont aux États-Unis. Je voudrais déclarer mon revenu et je n’y parviendrais pas : car je suis engagé dans des affaires qui me donnent les résultats plus variables.

M. Faubert. — Comme vous avez un des plus beaux hôtels de Paris, ils vous taxeront parmi les milliardaires.

M. Jonathan. — Milliardaire ? Milliardaire ? Comme ils y vont ! Je réclamerai.

M. Faubert. — Vous ne pouvez pas.

M. Jonathan. — Comment cela ?

M. Faubert. — Pour une raison bien simple. Vous déclarerez un revenu de X. On commencera par l’admettre. Puis on vous demandera de prouver que vous n’avez pas davantage.

M. Jonathan. — Mais ce n’est pas possible.

M. Faubert. — C’est bien cette absurdité qui fait leur force.

M. Jonathan. — Ils n’ont aucun moyen de contrôle sur ma fortune : car s’ils s’adressaient aux banques des États-Unis pour la connaître, et on les enverrait promener. Ils ne peuvent quelque chose sur moi que parce que j’ai eu le tort d’acheter un hôtel ici. J’ai été imprudent, mais je suis un homme de résolution. Je vais le vendre ; et bonsoir à la France ! Nous y dépensions quelques centaines de mille francs par an. Nous irons ailleurs.

M. Faubert. — Si l’impôt sur le revenu doit durer, en s’accentuant, je ne saurais vous détourner de ce projet ; car moi, qui suis Français, j’en ai un analogue.

M. Jonathan. — C’est tout de même bien ennuyeux. Ma femme et ma fille adoraient Paris. Votre gouvernement a une drôle de manière d’attirer les étrangers dans votre magnifique pays. Est-ce qu’il croit travailler à sa prospérité en agissant ainsi ?
M. Faubert. — Je ne pense pas qu’il ait cette illusion.

M. Jonathan. — Ce que j’admire, c’est qu’il y ait des ouvriers des industries de luxe, bronziers, sculpteurs, ornemanistes, menuisiers, ébénistes, peintres, doreurs, tailleurs, selliers, cuisiniers, etc., qui élisent des députés assez idiots pour voter des impôts pareils. Ils voudraient organiser le chômage à leurs dépens qu’ils ne s’y prendraient pas autrement. Ils semblent vouloir prendre à tâche de diminuer leurs propres salaires. C’est une singulière manière de comprendre leurs intérêts.

M. Faubert. — C’est comme ça !

M. Jonathan. — Il leur suffirait pourtant d’un peu de réflexion pour s’apercevoir qu’ils sont en train de tuer toutes les poules aux œufs d’or.

M. Faubert. — Depuis quatre ou cinq ans, c’est la politique que d’habiles farceurs leur montrent comme idéal.

M. Jonathan. — La France n’est pas le seul pays où on fasse des sottises ; mais quand vous les faites, vous les faites complètes : et ceux qui seraient le plus intéressés à les empêcher prennent le parti de les subir avec une assignation fataliste. Aussi sont-elles plus dangereuses chez vous que chez tout autre peuple. Adieu Monsieur Faubert, décidément je vais vendre mon hôtel. S’ils me taxent d’une manière trop absurde, je ferai réclamer par mon ambassade. En tout cas, ils ne me taxeront qu’une fois. Ils ne verront plus personne l’année prochaine.

M. Faubert. — Mais M. Doumer a affirmé que vous aviez l’impôt sur le revenu aux États-Unis.

M. Jonathan. — Oui, comme il a affirmé que Raffallovitch le réclamait et que les contribuables du canton de Vaud en étaient enchantés. On a bien essayé de l’établir aux États-Unis, mais la Cour suprême a déclaré qu’il serait contraire à la Constitution.

Sur le web

Voir les commentaires (9)

Laisser un commentaire

Créer un compte Tous les commentaires (9)
    • Elle date de bien avant, en Mésopotamie on a retrouvé des tablettes ou le marchand donnait des instructions pour faire passer son argent lingot par lingot caché sous les vêtements pour éviter la taxation aux portes de la ville. (Science et Vie du mois je crois)

      En fait elle est concomitante à la création de l’impôt: Trucage des poids, des mesures, corruption, si certains ce sont enrichis, d’autres commerces ont simplement pu exister. (Ma TPE aurait fait faillite depuis 7 ans en France)

    • N’importe quoi !

      J’ai vu “19e” et j’ai écrit sans lire le reste en pensant à la belle époque… désolé.
      “4000 ans” aurait été plus parlant 😉

      • C’est cela de vouloir répondre trop vite, sans même lire les liens. 😉

        Soit dit en passant, le texte d’Yves Guyot est à mourir de rire. On y trouve de tout : M. Faubert passant devant le « pressoir » accusé d’être un traître à la partie pour avoir placé une partie de ses avoirs à l’étranger, l’extrême difficulté de savoir ce qui rentre dans le revenu de ce qui en est déductible, un suisse du conté de Vaud venu en France pour échapper à l’impôt sur le revenu (il part au bout de 90 jours, durée au bout de laquelle on était considéré comme résident et donc assujetti à l’impôt) qui ira donc dans un autre pays, la concurrence fiscale entre localité (à l’époque on décidait de la municipalité de résidence où l’on déclaré et chacune fixée ses règles), les fermiers et ouvriers qui se retrouvent à devoir payer alors qu’on leur avait dit que seuls les riches paieraient, l’étranger qui retire ses capitaux (M.Jonathan dont le dialogue avec M. Faubert est cité dans l’article), Mme Faubert qui conseille à son mari de mettre la clé sous la porte pour que ses ouvriers comprennent la stupidité de la mesure qu’ils ont soutenue… En fait, rien n’a changé depuis l’époque, l’Histoire est un éternel recommencement : à croire que les socialistes ne retiennent rien de leurs erreurs passées.

        Un extrait que j’adore où M. Faubert prend ses journaux et lit cette déclaration d’un candidat socialiste à ses électeurs :

        « Citoyens !

        Mes concurrents vous font des promesses ; je ferai des actes.

        Il y a un an, le ministre des finances, M. Doumer, avait dit : – Votez l’impôt sur le revenu, afin que le châtelain seul le paye dans chaque commune !

        L’intention était bonne, mais l’application a été timide.

        Je vous jure, électeurs, que si vous me choisissez pour votre mandataire, je saurai en faire une réalité en proposant les mesures suivantes :

        1° Taxe de 25 p. 100 pour tous les revenus au-dessus de 5.000 francs ; taxe de 50 p. 100 pour tous les revenus au-dessus de 10.000 fr.; taxe de 100 p. 100 pour tous les revenus au-dessus de 20.000 francs ; de 200 p. 100 pour tous les revenus au-dessus de 50.000 francs.

        2° Confiscation immédiate de toute fortune dont le propriétaire n’aura pas fait une déclaration exacte.

        3° Condamnation de tout capitaliste convaincu d’avoir placé des fonds à l’étranger, à un an de prison au moins et à cinq ans au plus.

        À l’aide des ressources que ne manqueront pas de procurer ces mesures, reprise des moyens de production par la société et socialisation des services de production et de consommation, avec cette règle : – De chacun selon son caprice, à chacun selon son vice !

        Citoyens,

        Les économistes bourgeois vous disaient : Épargnez, c’est-à-dire privez-vous ; moi, je vous restitue l’épargne des autres.

        Ils vous disaient : – Travaillez ! moi, je vous dis : – Votez pour des hommes résolus à appliquer sérieusement l’impôt sur le revenu ; et la révolution sociale est faite. Les biens usurpés par l’appropriation individuelle sont rendus aux déshérités.

        Vive la Révolution sociale par la restitution sociale !

        Marx Bazile, »

  • Je verrai bien une adaptation jouée dans les grandes salles parisiennes… Mais avec la culture subventionnée et corsetée par la bien pensance, on aura jamais droit qu’a une énieme piece dépeignant par l’élite les miseres du proletariat ou au mieux un vaudeville…

  • Faute d’une connaissance sérieuse des masses financières provenant du crime organisé, il est dur d’évaluer la part de protection patrimoniale dans l’évasion.
    La FAIT que le voisinage des intérêts criminels ne dérange pas les “honnêtes” evadeurs est parlant d’une réalité moins simpliste .

    • Utiliser des couteaux ne dérange pas non plus les honnêtes gens et “l’évasion fiscale” commence dès qu’une personne hésite à acheter un produit français (surtaxé au niveau du travail) et lui préfère un produit étranger.

      Ça ne dérange même pas nos vaillants défenseurs de l’anti-mondialisation qui vont manifester engoncés dans des produits chinois.

  • Bien le bonjour de,l’île Maurice où je paye 3% d’impôt sur mon activité au lieu de 80%+ quand j’étais en France.

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Lorsque la célèbre affaire Dreyfus éclata, à la toute fin du XIXe siècle, la position de tolérance des libéraux français avait déjà été maintes fois réaffirmée, et leur mobilisation « dreyfusarde » ne devait surprendre personne.

Gustave de Molinari, Yves Guyot, Frédéric Passy, figurent parmi les signataires des protestations publiées par le journal l’Aurore, en 1898. Ce soutien public s’accompagne d’ailleurs d’un engagement privé : Gustave de Molinari, par exemple, envoie une marque d’attention à Édouard Grimaux, professeur à l’École P... Poursuivre la lecture

0
Sauvegarder cet article

Paix et liberté (dans cet ordre), fut le slogan et le programme adopté par Frédéric Bastiat en 1849, et il résume l’aspiration commune d’un courant de pensée tout entier.

 

Pourquoi les libéraux sont contre la guerre

Au point de vue utilitaire, la guerre est ruineuse : c’est proprement « une industrie qui ne paie pas ses frais » (Yves Guyot, L’économie de l’effort, 1896, p. 49).

Elle implique des destructions, des crises commerciales, des dettes publiques, qui ruinent les existences, découragent les initiatives et ra... Poursuivre la lecture

Le féminisme libéral est une revendication de justice. Il peut se définir comme l’extension aux femmes des protections de l’État de droit. À ce titre, c’est l’aboutissement d’un long processus historique.

 

Le régime de l’esclavage ou de la propriété des femmes

Aux premiers âges de l’histoire de l’humanité, la loi ou la coutume n’offre à peu près aucune protection aux femmes. Elles subissent impunément les menaces, les violences, le rapt, le viol, etc. Ce sont des bêtes de somme, des esclaves possédées par des hommes, plutô... Poursuivre la lecture

Voir plus d'articles