Par Éric Verhaeghe.
Le rapport de la Cour des comptes sur l’exécution budgétaire met en lumière la façon dont l’Éducation nationale échappe au contrôle de Bercy. Tout au long de l’année 2015, le contrôle budgétaire (CBCM) de l’Éducation nationale a en effet refusé de donner son accord à une série de dépenses, notamment à un projet de création de 1300 emplois. Cette opposition s’est révélée vaine, le ministère de l’Éducation nationale a obtenu de Matignon un arbitrage contre Bercy.
Ces quelques extraits en disent long sur la façon dont les relations interministérielles se déroulent :
Au titre de l’exercice budgétaire 2014, le CBCM avait émis un avis négatif sur trois des six programmes prévisionnels de gestion au motif de leur insoutenabilité ainsi que sur deux demandes de fongibilité asymétrique.
Au titre de l’exercice budgétaire 2015 et dès le 24 décembre 2014 lors de son visa sur la répartition initiale des crédits et des emplois, le CBCM émettait des réserves substantielles au regard des tensions annoncées en gestion.
Le 16 mars 2015, le CBCM rendait un avis défavorable sur les cinq programmes prévisionnels de gestion relevant du ministère de l’Éducation nationale au motif de leur insoutenabilité. En utilisant les reports de crédits de 2014 sur 2015 et en préemptant les crédits mis en réserve, le MENESR estimait le besoin de financement à 50 millions d’euros sur le titre 2 et à 93,3 millions d’euros en AE et à 92,6 millions d’euros en CP sur le hors titre 2.
Le 10 juin 2015, le CBCM émettait de nouveau les plus grandes réserves sur la soutenabilité du DPGECP (dépassement du schéma d’emploi de la LFI et du plafond de masse salariale hors CAS).
Ces avis ont constitué de simples alertes sur la soutenabilité de la dépense. Les ajustements sont d’autant plus difficiles à opérer que les tensions, tant sur les dépenses de personnel que sur les autres dépenses, laissent peu de marges de manœuvre.
Cette relative impuissance du CBCM résulte en grande partie du calendrier propre au MENESR : le visa du CBCM sur la définition du format des recrutements, donc du nombre de places ouvertes aux concours, intervient très en amont de leur traduction budgétaire. Si le CBCM peut relever d’éventuelles zones de risques, son avis porte sur les concours ouverts en année (n-1) dont les conséquences budgétaires se traduiront à partir de l’année (n) lors de la nomination des lauréats à la rentrée scolaire de l’année (n).
En cours d’exécution budgétaire, le CBCM dispose de peu de leviers d’action pour contraindre la masse salariale tandis que le MENESR a peu de marges de manœuvre pour ajuster les flux entrants de personnel, hormis des mesures de gestion difficiles à mettre en œuvre comme par exemple le gel des affectations des stagiaires en année (n).
Ainsi, le 29 juillet 2015, le CBCM a refusé d’apposer son visa sur la demande de recrutement de 1324 enseignants stagiaires supplémentaires à la rentrée 2015, enseignants reçus sur liste complémentaire des concours du 1er degré de la session 2014. Afin de passer outre, le ministère a sollicité et obtenu l’arbitrage écrit du Premier ministre en faveur de ces recrutements « afin d’assurer le bon déroulement de la rentrée ». Le ministère considère par ailleurs que ces recrutements n’excédaient pas l’autorisation parlementaire car ils s’inscrivaient, dans une perspective pluriannuelle, dans l’objectif de 54 000 créations de postes, dont 14 000 enseignants titulaires dans le 1er degré.
Ces éléments traduisent la double limite technique et politique qui affecte le pilotage ministériel de la masse salariale sur une mission dont les effets dépassent le cadre de l’annualité budgétaire. D’une part, l’exécution budgétaire de l’année (n) reflète les effets de l’extension en année pleine des mesures adoptées en année (n-1), sur lesquels il est trop tard pour agir, et les effets des nouvelles mesures adoptées en année (n) appliquées lors du dernier trimestre de l’année civile, pour lesquels les moyens d’action sont également réduits puisque les décisions d’ouverture de place aux concours sont visés en n-1. D’autre part, une décision politique peut, eu égard au caractère prioritaire de la mission, neutraliser les effets d’un pilotage technique susceptibles d’infléchir l’évolution de la masse salariale (au cas d’espèce : le blocage du recrutement sur liste complémentaire par l’avis négatif du CBCM déverrouillé sur décision interministérielle).
Enfin, le CBCM a également émis un avis défavorable sur une demande de fongibilité asymétrique, motivé, comme l’année précédente, par l’insuffisance de crédits disponibles prévisionnels du titre 2 hors CAS (cf. infra).
On plaint de tout cœur le CBCM de l’Éducation nationale (Note de traduction français – fonctionnaire : CBCM = Contrôleur budgétaire et comptables ministériels).
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J’aime bien la notion de fongibilité asymétrique.
en supprimant l’éducation nationale on fait d’une pierre deux coups puisque on peut aussi supprimer Bercy et le cbcm
Ce texte est caricatural du problème français: au premier abord, il est incompréhensible pour un francophone qui ne serait pas français et, je le subodore, même pour de nombreux Français: en cause, l’élégance du langage et l’utilisation de sigles qui permettent de ne citer aucun chiffre!!! (Pour un problème de budget ministériel sous contrôle du ministère des finances, c’est tout de même, sui generis, une belle performance).
Ensuite, tout compte fait (ou tous comptes faits), on comprend beaucoup mieux: le contrôle budgétaire effectif est parfaitement évité par le ministère de l’éducation, d’abord par une prévision de dépenses 2015 décidées dès 2014 et si cela ne suffit pas, on passe outre pour dépenser plus après l’accord du premier ministre pas plus chatouilleux sur la rigueur budgétaire!
Et là, le francophone non français commence à bien comprendre comment la France en est arrivée là où elle est malgré une administration pléthorique dont, dans ce cas-ci, le travail de contrôle budgétaire et d’alerte, n’aura strictement servi à rien et le travail de la cour des comptes provoquera quelques remous, pendant une semaine, avant de replonger dans l’oubli.
Bon courage!
L’échec du marché du travail à fournir des emplois à tous les candidats – particulièrement aux plus jeunes – font peser sur les classes moyennes une pression trop lourde. L’institution scolaire devrait incarner une chance de promotion sociale pour leurs enfants. Ce n’est pas le cas. Les classes moyennes sont à la recherche de solutions scolaires alternatives et se tournent vers le soutien scolaire payant, qui est un marché particulièrement dynamique. Retrouver l’ensemble de cette analyse « Pour une complémentaire éducation : l’école des classes moyennes » d’Erwan le Noan et Dominique Reynié sur le site de la Fondation pour l’innovation politique : http://goo.gl/nhDqYH