Par Jean-Philippe Delsol.
Un article de l’IREF-Europe
Selon les termes mêmes du projet de loi,
« L’article 2 vise à réécrire la totalité des dispositions du code portant sur la durée du travail, l’aménagement et la répartition des horaires, le repos quotidien, les jours fériés et les congés payés. Plus lisible, cette réécriture donne plus de marge de manœuvre à la négociation d’entreprise, pour adapter les règles au plus proche du terrain et permettre une meilleure conciliation des performances économique et sociale.
La primauté de l’accord d’entreprise en matière de durée du travail devient le principe de droit commun. C’est notamment le cas en matière de fixation du taux de majoration des heures supplémentaires, où la priorité est donnée à l’accord d’entreprise, et non plus à l’accord de branche… »
L’idée est donc de remettre les négociations au plus près des entreprises, et non plus au niveau des branches professionnelles comme c’est le cas aujourd’hui. « Il vaut mieux le faire au niveau de l’entreprise parce qu’on sait exactement quels sont les enjeux industriels et les enjeux d’activité », expliquait François Hollande mi-mai.
Une vision réaliste et pragmatique en quelque sorte, qui éloigne les relations de la pression et du conformisme des syndicats salariés ou patronaux. Cette loi instaure donc une inversion des normes, même si, pour soi disant éviter des abus, la branche professionnelle pourra une fois par an passer au crible ces accords et jouer un rôle de « sentinelle » en cas d’abus.
La crainte des syndicats
La crainte des directions centrales des syndicats est bien entendu de peser moins dans le débat, voire de s’en faire évincer. D’autant plus qu’en cas de blocage pour adopter un accord d’entreprise, les syndicats représentant au moins 30% des salariés pourront demander l’organisation d’un référendum alors qu’aujourd’hui, pour qu’un accord soit valide, il doit recueillir soit la signature de syndicats ayant obtenu au moins 50% des voix aux élections professionnelles, soit la signature de syndicats représentant 30% des salariés mais à condition que les syndicats majoritaires ne s’y opposent pas.
Un syndicat ayant obtenu plus de 50% des voix peut donc bloquer un texte, même si la majorité des salariés y est favorable. Demain, si la loi est adoptée, le vote des salariés, à la majorité des suffrages exprimés, primera sur la décision des syndicats. C’est d’ailleurs la stratégie qu’avait choisie la direction de l’usine Smart d’Hambach, en Moselle, pour revenir sur les 35 heures malgré l’opposition de la CGT et de la CFDT.
Le vote qui y avait été organisé, qui n’a aujourd’hui aucune valeur, s’imposerait alors à tous. Pour l’instant, ces référendums ne pourraient porter que sur certains dossiers (durée du travail, des repos et des congés). Mais les syndicats craignent que la méthode fasse tache d’huile.
Le pire est que certaines organisations patronales sont également contre cette évolution car elles craignent de perdre le pouvoir transféré aux entreprises et à leurs salariés. Comme FO, l’Union professionnelle artisanale (UPA), par exemple, milite pour conserver la priorité aux accords de branche.
Pourtant, la loi El Khomri est en réalité une loi intéressante et favorable à la décrispation, au déblocage sur le long terme des relations salariales. En délocalisant les négociations, elle empêche d’en faire des enjeux nationaux. C’est sans doute bien pourquoi la CGT y est hostile. À l’inverse, la CFDT est réaliste et favorable à une telle évolution parce qu’elle espère pouvoir donner ainsi plus de pouvoir aux représentants syndicaux dans l’entreprise.
L’enjeu de l’article 2 de la loi Travail
« Soit on considère que le dialogue social dans notre pays est mature et on fait confiance aux acteurs de terrain pour prendre les bonnes dispositions, soit on n’y croit pas et on ne le fait pas. Nous, on y croit (et pensons) donc qu’il faut laisser l’article 2 comme il est », a expliqué à Reuters Véronique Descacq, numéro 2 de la CFDT.
Curieusement, la CGT et les autres syndicats hostiles au changement de méthode (FO, FSU, Solidaires, UNEF, UNL, FIDL) appellent à déployer, dès cette semaine du 30 mai « la votation citoyenne dans les entreprises, les administrations et les lieux d’étude » pour le retrait de la loi Travail. Ils attendent des salariés qu’ils votent contre le fait de pouvoir voter ! S’ils y parviennent, c’est que l’embrigadement est bien assuré.
Malgré les imperfections de cette loi et les abandons qui l’ont déjà rétrécie, il apparaît souhaitable désormais d’encourager son adoption et d’aller plus loin pour que d’une manière générale, l’inversion des normes qu’elle esquisse soit généralisée. En dehors de quelques règles d’ordre public fixées par la loi, ainsi d’ailleurs que le pratique la loi El Khomri, les parties pourraient toujours et partout déroger à la loi et faire leur affaire de la gestion de leurs relations.
La créativité de tous serait libérée et avec elle la dynamique à la base de toute croissance et de tout progrès. Certes, cette loi contient aussi des mesures exagérément protectrice des syndicats et limitatives de la liberté des parties dans la négociation. Mais elle est une étape permettant de faire évoluer les mentalités. Il serait sans doute dommage de ne pas la conduire à son terme.
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Et après, ces mêmes syndicats vont nous parler de la norme ISO 26000 qui devrait être mise en place dans l’intérêt des salariés. Ils vont aussi demander à ce que l’entreprise s’engage dans une démarche RSE (Responsabilité Sociale de l’Entreprise) qui veut instaurer un dialogue dans cette dernière afin de fidéliser les collaborateurs, de davantage les impliquer et de se pérenniser autour du thème du Développement Durable.
Je me demande si c’est moi qui ne vais pas bien ou si c’est le monde ou une partie de celui-ci qui tourne à l’envers.
Dans mon entreprise la CGT explique (sans rire) que le recours au référendum, dans la mesure où il permettrait de contourner l’avis du syndicat majoritaire d’après les élections professionnelles, est anti démocratique.
J’espère que la rhétorique ne convainc que les plus acharnés…