Par Laurent Alexandre (Président de DNA Vision), Thierry Berthier (Université de Limoges), Bruno Teboul (Université Paris-Dauphine).
À une année de l’élection présidentielle, les candidats définissent leur stratégie. C’est ainsi le meilleur moment pour les appeler solennellement à intégrer au sein de leurs programmes les enjeux et défis sociétaux engendrés par la convergence des NBIC (Nanotechnologies, Biotechnologies, Informatique, Sciences cognitives).
Les progrès réalisés dans les quatre grands domaines NBIC dessinent désormais une interconnexion entre les sciences et les technologies de l’infiniment petit (particules élémentaires), la fabrication et la transformation du vivant (gènes), les machines et systèmes apprenants (intelligence artificielle et apprentissage automatique) et l’exploration du cerveau animal et humain (neurones).
Repenser la condition humaine
Ces champs scientifiques et technologiques multidisciplinaires en plein essor nous obligent à repenser la condition de l’homme, initialement voué à la finitude et la déchéance physique ou mentale. La convergence NBIC repousse des limites que l’on croyait figées et permet d’envisager aujourd’hui de combattre efficacement les maladies chroniques et le vieillissement.
Elle introduit aussi le concept d’homme « augmenté » par l’utilisation d’artefacts exogènes (prothèses, exosquelettes…) ou bien par l’implantation de neurochips (ou prothèses neuronales, pour traiter certaines maladies cérébrales).
En transformant l’homme et son environnement, la convergence NBIC ne peut être réduite à une simple révolution « Schumpetérienne » de type « destruction créatrice ». Elle provoque un véritable changement de civilisation qui s’inscrit comme une rupture darwinienne sur l’échelle de notre évolution. Nous vivons aujourd’hui cet instant « darwinien » où l’homme peut agir sur sa condition, sa longévité et son biotope, pour le meilleur ou pour le pire. Lors des précédentes ruptures darwiniennes, les espèces devaient s’adapter ou disparaître. Désormais, l’espèce humaine est en mesure d’influencer sa propre évolution et tient entre ses mains sa destinée.
Trop discret pour l’instant, le débat sur les NBIC oppose deux postures idéologiquement irréconciliables. D’un côté, on retrouve une pensée transhumaniste venue de la Silicon Valley qui a tendance à sous-estimer les turbulences induites par les NBIC et fait souvent preuve d’une forme de déni face à la complexité des enjeux. En un mot, les transhumanistes américains s’embarrassent peu des questions éthiques ou sociétales liées aux changements disruptifs qu’ils promeuvent.
À l’opposé, les bioconservateurs cultivent un refus systématique du progrès technologique, sur des peurs irrationnelles et des fantasmes idéologiques qui déforment les problématiques. La France est d’ailleurs le seul pays à craindre à ce point les dérives transhumanistes, ce qui la fait passer à côté d’une réflexion de fond sur ces enjeux. Un débat politique est indispensable pour relever les défis scientifiques, économiques, géostratégiques, philosophiques et éthiques de la révolution NBIC.
Face à la compétition mondiale
Leur maîtrise déterminera les chances de réussite de notre nation dans une compétition mondialisée qui redistribue les cartes en permanence. Comment rééquilibrer l’emprise grandissante des géants Google, Apple, Facebook, Amazon sur le numérique, la robotique et l’Intelligence Artificielle ? De quelle marge de manœuvre disposent l’Europe et la France pour répondre à une suprématie technologique et à une domination américaine sans partage ? Comment les NBIC peuvent-elles transformer nos industries vieillissantes et fournir un élan économique utile aux générations futures ?
Comment créer des filières de formations transdisciplinaires aux NBIC, pour faire éclore les métiers de demain, à l’ère de la technomédecine, des data sciences et des neurosciences ? Comment accélérer la recherche fondamentale et appliquée dans le domaine des NBIC, où les universitaires américains et chinois excellent, en publiant des articles dans les plus prestigieuses revues scientifiques internationales ? Comment maintenir l’Europe dans la course tout en conservant un seuil minimal de souveraineté numérique ?
Le prochain quinquennat devra être celui de l’orientation technologique des politiques publiques à toute échelle et pour tous les citoyens. La France ne peut plus sous-estimer les effets et les turbulences engendrés par la convergence NBIC. La montée en puissance de l’intelligence artificielle et de la robotique n’impactera pas seulement les joueurs de Go, mais bien l’ensemble des acteurs économiques de la nation. Aucun secteur, aucun écosystème ne pourra faire l’économie d’une adaptation rapide aux mutations technologiques.
La révolution NBIC va modifier en profondeur le marché du travail, la finance, l’industrie, l’économie, la santé publique, l’éducation, la recherche et la défense nationale. Chaque ministère du futur gouvernement devra accompagner et gérer des ruptures technologiques qui détruiront les consensus et les équilibres traditionnels. Face à ces ruptures, la France doit mener un combat exemplaire pour s’adapter. Il faut désormais que les candidats s’interrogent et nous interrogent sur l’avenir technologique de la Nation : allons-nous subir la révolution des NBIC ou au contraire, agir et profiter de ses innovations et du développement économique qu’elle entraîne ? C’est finalement la question principale qui devrait guider la rédaction d’un programme politique pour 2017.
La société civile, quant à elle, ne peut plus rester à l’écart de l’action politique. Les entrepreneurs, les innovateurs, les créateurs de progrès, les chercheurs, les enseignants, les médecins seront les réels artisans du prochain quinquennat. Ils contribueront au succès de la Nation, ou à son déclin, s’ils ne sont pas entendus par le pouvoir. Ainsi, le chômage des jeunes, longtemps considéré comme une fatalité comptable, doit aussi être combattu sur le terrain de la formation et de l’orientation vers les nouveaux métiers technologiques.
Pour profiter réellement de la révolution NBIC, notre pays devra apprendre à surmonter ses corporatismes et transcender les clivages politiques traditionnels. C’est à ce prix que la France construira et confortera sa place dans la compétition mondiale. Elle développera alors une économie de la connaissance favorisant son industrie et les nouvelles formes de travail à l’ère numérique, en exploitant les forces de la convergence NBIC.
- Article publié dans Les Échos
Mouais. Très constructiviste tout cela. Pourquoi attendre ça des politiques, ça n’est pas ni ne doit pas être leur rôle. ici tout doit être estampillé état. Même les scientifiques se mettent à quémander faveurs et attentions maintenant ????
Je pense qu’il faut que le politique ai conscience de ces enjeux pour ne pas venir interférer dans leur croissance ….. Tout comme il l’a fait à tort contre les Biotech agricoles que sont les OGM.
Le problème n’est pas tant de faire naître une recherche publique de plus mais bien de laisser vivre et prospérer une industrie qui n’en demande pas plus.
dans ce cas là je suis 100% d’accord mais ce n’est pas l’impression que me donne ce texte pour être honnête.
Vous avez parfaitement raison.
Une fois de plus, de brillants scientifiques sont moins brillants dans leur analyse politique. Pour que la transition vers une société pleine de NBIC se fasse, l’Etat doit justement éviter d’intervenir. L’Etat va créer des asymétries artificielles dans l’accès à ces technologies. Il les taxera, pour soit disant en freiner l’utilisation alors qu’il n’en rendra que l’acces aux plus pauvres plus difficiles. Il les subventionnera, taxant ainsi le citoyens pauvre qui ne pourra plus se payer ses implants, afin de financer ceux des clients politiques. Il interdira certaines évolutions, réservant ainsi certains progrès/inventions/innovations aux seuls clients des contrebandiers. Il voudra minimiser les risques, plongeant ainsi l’offre de certaines augmentations de capacité dans l’illégalité et les opérations artisanales clandestines (hygiène). Les autres iront se faire augmenter ailleurs…
L’Etat ne fera qu’aporter plus de violence dans ces évolutions. C’est tout. Ces évolutions seront violentes. il y aura des chocs, des adaptations difficiles, et quand l’Etat interviendra, il en rajoutera une couche, transformant le difficile en intolérable.
Il y a quelques points qui m’étonnent:
1/ Les NBIC ne créeront pas une majorité de boulots. On le voit avec l’informatique en général, 2/3 des offres sont des fakes destinés à gonfler les rangs des SSII. Cependant, je suis d’accord sur le fait qu’ils créeront des emplois, mais dans tous les autres secteurs utilisant les services de ces derniers.
2/ En regardant la Suisse, je me dis que ce ne sont pas forcément les bac+8000 qui ont le plus de boulot, mais ceux qui ont des formations adaptées au monde du travail
3/ Même si les politiciens, sur un moment de lucidité, proposeraient un programme basé sur un État régalien fort, remplaçant l’État-Providence, les français n’en voudraient pas. On le voit bien avec la loi El Komri (offrant les pauvres salariés aux méchants patrons). Et oui, les français sont paradoxaux: ils veulent payer moins d’impôts et diminuer les règles et les dépenses, mais jamais dans la réalité.
4/ Quand l’un des auteurs est Laurent Alexandre, qui rêve tout haut que l’on va tuer la mort, je me dis que l’article risque de perdre fortement en crédibilité.
Bref, moi aussi je rêve d’une France libérée, où le plein emploi et la prospérité côtoie les technologies les plus avancées.
Mais un jour on doit décider de choisir entre la pilule bleue, et la pilule rouge.
1/ L’impact sur le chômage est une mauvaise question. C’est quelque chose que je qualifierai de « chronocentré » le chômage est une parenthèse historique. En général, c’est pas le boulot qui manque. En revanche le monopole monétaire, les lois sur le travail, le clientélisme, les taxes sur le travail (charges sociales etc…) rendent actuellement le travail non rentable pour les employeurs comme pour les chômeurs. Ce n’est pas les NBIC qui vont changer ça. Une main d’oeuvre libérée est une main d’oeuvre qui peut faire autre chose. Effectivement la valeur produite par les humains sera de plus en plus « humaine » et de moins en moins machine. On passera de plus en plus vers de la valeur artisanat, de la valeur divertissante et de moins en moins vers de la création de richesse matérielle. mais i y aura toujours un moyen de se rendre utile aux autres. Le riche propriétaire de l’usine de robots ne voudra pas être seul dans sa tour dorée entouré de robots ressemblant à des humains. Il voudra aussi des vrais humains. il voudra aussi des trucs que ses robots ne font pas. il voudra d’autres robots, il voudra quand même une voiture, il aimera cuisiner de temps en temps, etc… Ces choses impliqueront humains. Et si les humains se sentent de plus en plus inutiles vis à vis des robots, c’est leur problème. Personne ne les forcera à les utiliser.
2/ effectivement
3/Les NBIC peuvent rendre dérisoires les services rendus par des administrations centralisées. Celles ci seront alors vraiment vues pour ce qu’elles sont: des petits gangs. Leur existence sera plus dure à justifier.
4/Laurent Alexandre? Mais il est marrant… Ne jugez pas la crédibilité d’un argument sur son origine. Jugez ‘argument pour lui même. Certes il faut d’autant plus vérifier l’information d’une personne qui ment souvent, mais ce qui compte doit rester l’argument lui même. Maurent Alexandre se fait un peu emporter par son enthousiasme mais il dit aussi des choses intéressantes.
@ Koris
C’est peut-être un détail, mais si on peut toujours, envisager l’avenir, en fait, le train des NBIC est déjà parti depuis quelques années aux USA mais aussi ailleurs et il ne faut pas espérer que les politiciens y comprennent plus que, peut-être, l’utilité des applications commercialisées. Par contre ces progrès auront évidemment un coût: on prévoit ainsi que le budget des médicaments personnalisés (selon votre ADN unique) va se multiplier rapidement par 4 ou 5 et ce n’est qu’un exemple.
Mais l’expérience de l’informatique, du téléphone portable, des jeux vidéos ou de la télévision à chaînes multipliées représentent dans les familles des budgets non négligeables qui n’existaient pas avant et dont il devient difficile de se passer. Et encore, tout ce que je viens de citer a profité des marchés mondiaux pour voir les prix diminuer à cause du nombre. Mais un médicament adapté à votre ADN?
Votre « ami » Laurent Alexandre dit bien: « Le rythme politique n’est pas du tout adapté à la révolution technologique que l’on est en train de connaitre », ce qui semble une évidence.