Tunisie : l’image hideuse de l’homophobie

Après la tentative de suicide d’un militant anti-homophobie, il est temps de songer à dépénaliser l’homosexualité en Tunisie.

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Tunisie : l’image hideuse de l’homophobie

Publié le 13 juillet 2016
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Le geste de désespoir d’un jeune militant anti-homophobie attentant à ses jours à la suite d’un harcèlement ramène dans l’actualité l’image hideuse d’une Tunisie homophobe. Et ce au moment où des responsables proposent de donner une suite favorable à la repentance des djihadistes revenant de Syrie. Aux mains tachées de sperme, faut-il préférer celles souillées de sang ?

Par Farhat Othman.

Tunisie : l’image hideuse de l’homophobie
By: Tony WebsterCC BY 2.0

C’est samedi 9 juillet que le jeune Ahmed Ben Amor, l’un des vice-présidents de l’association Shams, a fait sa tentative de suicide. À peine âgé de vingt ans, il milite vaillamment au sein de cette association qui, vaille que vaille, aux risques et périls de ses membres, agit pour la dépénalisation de l’homophobie en Tunisie.

Déjà rejeté par sa famille sous la pression des milieux religieux, le jeune Ahmed a fait l’objet récemment de plusieurs menaces de mort ; il n’a pu résister à la pression ainsi entretenue autour de lui. Du pur terrorisme sur lequel les autorités tunisiennes ferment toujours les yeux.

L’homophobie est aussi du terrorisme

Pourtant, le pays est censé être en guerre contre le terrorisme. Aussi, après ce qui vient de se passer, les responsables tunisiens ne peuvent plus ne pas poser de manière directe, franche et publique la question de l’abolition de l’homophobie.

Cela concerne surtout l’article 230 du Code pénal, base juridique de cette honte qui entache la réputation de la Tunisie en tant qu’aspirant à l’État de droit. Un projet de loi consensuel existe, issu de la société civile ; il suffit de le présenter au parlement pour faire accéder la Tunisie enfin à la civilisation.

Les partenaires occidentaux du pays devraient y aider ; ils ne peuvent plus se permettre de continuer à fermer les yeux sur la situation de détresse actuelle des jeunes. Surtout, qu’elle n’est pas propre aux gays, mais bien généralisée chez une jeunesse brimée, privée de ses droits et libertés, empêchée de vivre normalement sa sexualité, y compris hétérosexuelle. D’où l’attirance de certains pour le terrorisme, Thanatos prenant la place d’Éros.

On a pu le dire, ce n’est pas le jeune vice-président de Shams qui est dans le coma ; c’est l’état de toute la jeunesse tunisienne. Cela emporte désormais des risques criminogènes ; aussi, tout silence est coupable et ne peut que se résoudre en complicité objective avec les criminels qui ont harcelé le jeune Ben Amor au point de l’amener à attenter à ses jours.

Cela fut, peut-être, de sa part par défi. C’est manifestement un défi pareil que lancent les jeunes djihadistes qui, refusant la condition de minorité qui leur est faite dans le pays, prouvent leur majorité en s’essayant au coup de feu sur les chemins de traverse.

Or, nombre de ces jeunes rentrent actuellement  au pays et demandent à faire acte de repentance. Et certains responsables religieux appellent déjà à leur pardonner ce qu’ils qualifient juste d’égarement.

Ils font ainsi mine d’oublier que ces jeunes ont participé, de près ou de loin, aux crimes de Daech et ont les mains tachées de sang ! Pour le moins, envisager en faveur d’eux un possible pardon nécessite au préalable de reconnaître leur droit aux jeunes gays, leurs mains étant propres par rapport à celles des djihadistes ; juste tachées de sperme, au pis.

Certes, le sang et le sperme, c’est la vie ; mais faire couler l’un met à mort et nie le droit à vivre, alors que l’écoulement du second donne la vie ou le droit à la vie avec nos différences qui sont nos richesses.

Une homophobie illégale

En Tunisie, le moment est propice pour en finir avec la honte de l’homophobie, négation de l’État de droit. Reconnaître au différent absolu qu’est l’homosensuel le droit de vivre en paix, c’est honorer le vivre-ensemble paisible que manifeste l’État de droit.

Les autorités tunisiennes veulent-elles ou nom de la Tunisie État de droit ? Cela doit amener l’abolition de toutes les lois scélérates d’ancien régime, à commencer par le texte moyenâgeux qu’est l’article 230 du Code pénal contraire à la Constitution.

Son illégalité est même absolue du fait que l’homophobie viole aussi l’islam aux valeurs duquel réfère la Constitution. C’est une infamie qui est venue flétrir l’humanisme de cette religion, infiltré de la tradition judéo-chrétienne, restée en islam bien qu’abandonnée par les siens.

On l’a démontré abondamment, le Coran ne prévoit aucune prescription en la matière ; et aucun hadith authentique n’est retenu par Boukhari et Mouslem, les deux recensions les plus crédibles.

Une homophobie illégitime

Outre son illégalité, l’homophobie est parfaitement illégitime dans une société qui n’a jamais été homophobe dans son essence profonde. Il est vrai, les Tunisiens semblent, à qui ne les connaît pas assez, réprouver l’homosensualité (mon terme pour homosexualité) ; c’est juste l’illusion qui trompe.

Si l’on va au creux des apparences, on voit que les rapports entre mêmes sexes sont courants, se faisant toutefois en catimini, non pas en tant que pédérastie, plutôt sexe total ou bisexualité, pour référer à une catégorisation occidentale obsolète.

Le sexe arabe est holiste ; il légitime tout autant le sexe homo que bi et hétéro. C’est juste l’environnement de contraintes légales et morales qui impose une chape de plomb amenant la société à vivre en cachette ses pulsions, à pratiquer cette hypocrisie qui est ce que je qualifie de « jeu du je ».  C’est sa ruse de vivre, comme dirait le fin connaisseur de la Tunisie que fut jean Duvignaud.

Aujourd’hui, il importe d’en finir avec la honte homophobe. Cela ferait clarifier la situation et amener ceux, parmi les islamistes et leurs alliés supposés démocrates qui jouent le jeu hypocrite de la démocratie, de mettre à bas leur masque : ou ils sont vraiment démocrates, et ils doivent alors abolir l’homophobie, ou ils ne le sont pas !

Une homophobie à abolir maintenant !

L’homophobie est la tache à enlever sur le parcours vers l’État de droit de la Tunisie. Rien ne se fera sans le passage par le droit et l’abolition du honteux article homophobe. C’est ainsi et ainsi seulement qu’on pourra faire bouger les choses vers le bon sens en agissant sur les mentalités sclérosées des élites déconnectées des réalités populaires.

Rappelons-le : Bourguiba a eu à violenter en apparence la société avec des lois osées pour son temps en faveur des droits des femmes, et qui ont été malgré tout acceptées par la société, car répondant à sa soif de droits et d’égalité.

C’est avec un tel volontarisme législatif qu’il importe de renouer. D’autant plus que l’article en question, comme nombre d’autres, est une survivance de la colonisation. Il a été introduit, au nom de l’islam, par le colonisateur français adaptant à la société du protectorat la législation française, notamment en matière de peines et de sanctions.

Le Code pénal tunisien est, faut-il le rappeler, un héritage colonial. Il n’y a avait pas de crime d’homophobie en Tunisie avant 1913, date d’adoption dudit Code, supposé tunisien et musulman, alors qu’il est truffé de spécificités qui ne faisait sens que par rapport à l’imaginaire chrétien de l’époque.

C’est ainsi un parachèvement de la souveraineté nationale que de toiletter l’arsenal juridique de ses obsolescences coloniales tout autant que la consécration de la puissance de la société, actuellement contrainte de jouer à l’homophobie sous la pression d’une minorité d’activistes enragés qui ne représentent ni la religion, ni la morale ni la légitimité juridique, tant nationale qu’internationale.

Outre la constitution qui commande l’abolition de l’homophobie, les conventions internationales auxquelles la Tunisie est partie l’imposent aussi. Il est donc impératif que l’homophobie soit abolie maintenant. Doit-on attendre qu’elle tue comme cela se fait dans d’autres pays au nom d’un islam bien innocent des turpitudes des siens ?

C’est non seulement la responsabilité des autorités tunisiennes, mais aussi celle de leurs partenaires qui ne peuvent ni ne doivent fermer les yeux sur ce qui se passe de déshonorant pour les valeurs universelles des droits de l’Homme en Tunisie.

On ne peut surtout plus user de la feuille de vigne de la spécificité culturelle qui n’est que le biais commode pour stigmatiser, sans le montrer, l’islam ainsi réduit à une foi barbare alors qu’elle l’est devenue en violation de son message originel et ses visées.

Si l’Occident veut ériger en Tunisie une annexe libérale à son système mondialisé, cela doit commencer par la libéralisation des mÅ“urs, et donc l’abolition des lois scélérates, dont surtout celles phagocytant les libertés privées, comme le droit au sexe, quel qu’il soit. C’est un droit libéral par excellence.

 

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