Par Éric Verhaeghe.
La police française (au sens large) échoue-t-elle à améliorer ses performances dans la lutte contre le terrorisme ? C’est évidemment la question qui est dans tous les esprits, et qu’une démocratie normale se poserait. D’ailleurs, rappelons que la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen prévoit, dans sa grande sagesse et son article 15 que « la société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration. »
Simplement, la dérive aristocratique française, qui veut que l’administration soit au-dessus des lois, rend cette demande de compte de moins en moins possible. Et c’est bien dommage…
La lutte contre le terrorisme avant Charlie Hebdo
Avant l’affaire Charlie Hebdo, les renseignements français sont pris deux fois en situation d’échec : une fois dans l’affaire Merah, une fois dans l’affaire Nemmouche (attentat au musée juif de Bruxelles).
Pour le Washington Post, la France a été au centre de plusieurs affaires qui témoignent d’une défaillance. Le quotidien rappelle ainsi que Mehdi Nemmouche, l’auteur présumé de la fusillade meurtrière du Musée juif de Bruxelles, en mai 2014, était lui aussi connu des services français pour un séjour effectué en Syrie.
De même, Mohamed Merah, l’auteur des tueries à Toulouse et Montauban en 2012, figurait, au même titre que les frères Kouachi, sur la liste noire des personnes interdites de vol, en provenance et à destination des États-Unis. Objet d’une fiche S dès 2006, le jeune homme fut interrogé par la police en 2011 sur ses différents voyages effectués en Afghanistan et au Pakistan notamment. Avant d’être relâché.
Lorsque l’attentat contre Charlie Hebdo survient, personne n’ignore donc les failles du renseignement français, notamment son incapacité à coordonner les informations que reçoivent les différents services. Et surtout, mettons les pieds dans le plat, cette terrible déresponsabilisation administrative qui consiste à appliquer des procédures plutôt qu’à obtenir des résultats.
La lutte contre le terrorisme au moment de Charlie Hebdo
Mettons à part l’affaire du marché de Nantes en décembre 2014, dont l’auteur, Sébastien Sarron, s’est suicidé en avril 2016, dans sa prison, et qui apparaît aujourd’hui comme la préfiguration d’une terrible suite d’actions (bien plus) meurtrières.
Reprenons la chronologie sanglante depuis le massacre de Charlie Hebdo.
Le 7 janvier 2015, les frères Kouachi, fichés S par les renseignements, mais dont la surveillance s’est étrangement arrêtée quelques mois auparavant, entrent dans les locaux de l’hebdomadaire Charlie Hebdo et y tuent onze personnes. L’opération est facilitée par l’arrêt de la surveillance permanente des locaux quelques semaines auparavant.
Deux jours plus tard, Amedy Coulibaly, qui est probablement l’auteur d’au moins une fusillade (la veille) où une policière trouve la mort, prend d’assaut un supermarché casher dans Paris et tue 4 personnes. Coulibaly était fiché S.
Il avait été contrôlé par la police dans les rues de Paris quelques jours auparavant sans que la hiérarchie policière ne suive la procédure habituelle pour l’interroger. C’est un loupé parmi d’autres : alors que Coulibaly avait purgé une peine de cinq ans de prison pour avoir cherché à libérer un des terroristes de 1995, l’administration pénitentiaire avait signalé sa radicalisation. Mais les services de renseignement ne l’ont pas mis sous surveillance à sa sortie de prison.
Bref, le 11 janvier, lorsque plusieurs millions de Français descendent dans les rues pour dire leur émotion, la police a un immense travail de remise en cause à mener.
On augmente les moyens, mais on ne change pas les méthodes
Dans la foulée de ces massacres, la police française, brillamment conduite par Bernard Cazeneuve, va nous sortir la soupe au déni qui ne va plus quitter les fourneaux jusqu’à aujourd’hui, et qui repose sur deux principes simples.
Premièrement, les policiers ne ménagent ni leur temps ni leur peine, donc ils n’ont rien à se reprocher ni rien à améliorer.
Deuxièmement, ils ne sont pas assez nombreux et sont entravés par la protection des libertés publiques, qui nuit à leur efficacité.
Se met donc en branle dès le mois de janvier 2015 une logique de déni qui déporte tous les problèmes vers le manque de moyens et l’excès de liberté, et qui interdit de poser la question de l’organisation interne des services. Tous ceux qui s’y essayent sont immédiatement taxés de complotisme ou d’esprit de discorde, ce qui équivaut à une exécution en place de grève.
Le 24 juillet 2015, la liberticide loi relative au renseignement est promulguée. Dès la fin janvier, Manuel Valls avait annoncé 450 millions d’euros supplémentaires et 2 500 emplois…
Et patatras, le Bataclan arrive
Le 6 novembre, Bernard Cazeneuve fait une annonce stupéfiante qui passe inaperçue :
« Pendant un mois, nous allons établir des contrôles aux frontières. »
et évoque « un contexte de menace terroriste ou de risque de trouble à l’ordre public ».
Quelques jours plus tard, Salah Abdeslam et Mohammed Abrini effectuent un premier voyage de repérage à Paris, avant de convoyer les équipes qui vont commettre les attentats du 13 novembre, dans le XIe arrondissement, dont le massacre du Bataclan, et à Saint-Denis.
Stupeur ! Les terroristes du 13 novembre ont tous ou presque fait l’objet des mêmes failles que Coulibaly et les frères Kouachi quelques mois auparavant : surveillances parcellaires, défaillantes, contrôles judiciaires non suivis, défaut de transmission d’informations entre services, porosité manifeste des frontières.
Pire ! Alors que les frontières sont officiellement fermées, Salah Abdeslam parvient à s’exfiltrer le 14 novembre au matin, alors même que des policiers l’arrêtent et l’interrogent. Mais la hiérarchie, une fois de plus, donne l’ordre de le laisser repartir.
La réaction de Bernard Cazeneuve
Dans une démocratie normale, une répétition amplifiée des échecs connus et parfaitement analysables du 7 janvier n’aurait pas forcément conduit à la démission du ministre de l’Intérieur, mais elle aurait mené à une remise en question des certitudes acquises. En République française, il en va autrement. Lors de son audition par la commission parlementaire sur le sujet, Bernard Cazeneuve a fait toute la démonstration de son incapacité à sortir de la posture politique pour s’occuper de l’intérêt général.
« L’exercice consistant à pointer des failles avant de démontrer leur existence est extrêmement facile » a-t-il déclaré, affirmant vouloir s’attacher « à la vérité ».
Bernard Cazeneuve a finalement vanté les réformes sur les renseignements et les moyens des services antiterroristes lancées depuis le début quinquennat et a égratigné celle de 2008, engagée lors de la majorité précédente.
« Bernard Cazeneuve est toujours dans l’autosatisfaction et dans le jeu politique, profitant de la commission pour critiquer le gouvernement précédent » a dénoncé, sur Twitter, l’association de proches de victimes et rescapés, 13 novembre : Fraternité et vérité.
Chassez la vérité, elle revient au galop
Pourtant, et malgré un combat de tous les instants, les vérités de Bernard Cazeneuve prennent l’eau.
Par exemple, les réactions des proches des victimes de l’attentat contre Charlie Hebdo ont commencé à faire tache. Dès le 18 octobre 2015, la véritable compagne de Charb relate divers détails sur les moments qui ont précédé sa mort et qui suggèrent une nuance substantielle entre la version admise de l’attentat et ses motivations plausibles.
Après le réveil, Charb est parti chercher des croissants à la boulangerie. En revenant, il avait l’air soucieux : il m’a raconté avoir repéré en bas de son immeuble une voiture noire aux vitres teintées, de marque Peugeot ou Renault, je ne me rappelle plus précisément. Il n’était pas du genre à s’inquiéter pour rien, mais là , ça le perturbait. Il répétait : « C’est bizarre cette voiture. » […] Qui était dans cette voiture ? Les frères Kouachi ? Des complices ? J’ai parlé de cet épisode aux policiers qui m’ont entendue, et j’ai écrit à la juge chargée du dossier cet été pour lui rappeler cet élément, mais je n’ai aucun retour depuis.
Quelques semaines plus tard (après le 13 novembre donc), c’est la femme du policier chargé de la sécurité de Charb qui porte plainte. Bernard Cazeneuve, qui n’ignore pas la persistance des trous dans la raquette policière après le Bataclan, continue : interrogé sur une « guerre des polices » dans la lutte contre le terrorisme, Bernard Cazeneuve a assuré que de « nouvelles méthodes de travail de décloisonnement des services » avaient été mises en place, dont un état major autour de lui « pour que les gens se parlent ». Il y a eu « énormément de décisions et d’actions », a-t-il souligné, citant le démantèlement de dix-huit filières de recrutement de jihadistes depuis 2013, l’arrestation de onze groupes « s’apprêtant à commettre des attentats » et « six attentats déjoués depuis le printemps ».
Malheureusement, Cazeneuve oublie de citer l’immense raté du 13 novembre…
Le GIGN s’accuse d’attentisme
Dans le même ordre d’idées, la polémique de ces derniers jours sur la quasi-mutinerie au sein du GIGN contre le colonel Bonneau souligne bien que ce qui est en cause aujourd’hui, c’est le médiocre commandement des services de sécurité, tous politisés, tous proches du pouvoir, mais avec des compétences approximatives.
En elle-même, l’information sur l’inaction du GIGN n’est pas nouvelle. Dès le 15 décembre, la presse avait souligné l’étrange attentisme du groupement le soir du Bataclan. Les gendarmes du groupement ont, depuis, exprimé leur colère face aux erreurs de commandement ce soir-là .
Comme d’habitude, au ministère de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve compris, on a affirmé que les procédures avaient été respectées, donc que tout allait bien.
Certes, l’assaut contre le Bataclan, tenu par deux terroristes, a duré plus de quatre heures. Certes, des dizaines de personnes sont mortes ce soir-là . Mais tout va bien !
Même les juges administratifs reconnaissent la responsabilité de l’État
Le problème de tout ce petit monde est évidemment qu’il est mû par des problèmes partisans, et certainement pas par le souci d’améliorer durablement les performances de la police française pour éviter d’autres attentats. Les sujets sont donc systématiquement abordés sous l’angle : est-ce utile à notre réélection.
Les défauts de la police, les failles, les incompétences, et surtout la paresse à les corriger sont pourtant tellement flagrants que même la justice administrative ne peut plus faire comme si. Dans le cadre de l’affaire Merah, le tribunal administratif de Nîmes vient, par exemple, de reconnaître la responsabilité de l’État dans la mort de l’une des victimes du terroriste.
Face aux décisions des services de renseignement, qui ont arrêté la surveillance de Merah alors qu’il revenait manifestement d’un entraînement militaire en Afghanistan, aucun juge ne peut plus admettre que la police ne connaisse pas de graves dysfonctionnements qui ne sont certainement pas réglés depuis l’arrivée de la gauche. Et ce n’est pas en recrutant à tour de bras que l’on empêchera un policier de ne pas ordonner le suivi d’un suspect à l’issue d’un interrogatoire où les évidences s’imposent. C’est plutôt en le manageant, métier qu’aucun officier de police ne semble plus avoir envie de faire.
La cohésion, pour éviter la polémique
Après l’attentat de Nice, qui repose sur les mêmes problèmes d’organisation de la police (notamment sur la fameuse trajectoire de deux kilomètres en zone interdite avant d’être arrêté), François Hollande a trouvé la parade : il ne faut pas de polémique inutile, il faut rester soudés.
Bien sûr. Les paresseux ne font pas le boulot, les Français tombent comme des mouches, mais il ne faut pas poser de question, ni demander de compte (ce qui est pourtant notre droit fondamental).
C’est bien ce qui nous embarrasse dans les propos de Bernard Cazeneuve : au lieu d’agir en homme d’État capable de poser les problèmes par-delà les polémiques partisanes, sa seule argumentation est de nier. Et pendant ce temps, la France sombre.
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Il n’y a pas que l’ancien numéro deux de la PJ de Lyon, Michel Neyre qui soit corrompu, « La corruption policière au plus haut niveau de l’État est devenue endémique en France », a déclaré à l’AFP Me Alimi au sujet de l’affaire sur la taxe carbone. Il faudra attendre le changement du ministre de l’Intérieur pour avoir de nouvelles révélations et règlements de comptes sur l’état réel des « services » de police.
Très bonne analyse … nos politiques sont toujours dans le déni des réalités du terrain en dépit des rapports des services de renseignements qui depuis plus de vingt ans dénoncent les dérives sectaires de nos banlieues. Au nom de la paix sociale mais surtout de considérations électoralistes tous ces rapports ont été (et le sont sans doute encore) édulcorés par les différents filtres à franchir avant d’atterrir à l’Elysée et à Matignon ! alors mettre en avant systématiquement les lacunes des dits services (qui ne sont pas sans défauts) pour expliquer le manque de courage des politiques au pouvoir depuis plus de 20 ans est un peu trop facile et prouve à l’envi que cela peut encore durer longtemps … d’ailleurs le 1er ministre l’a déjà annoncé en prédisant d’autres victimes innocentes au nom de l’état de droit dont les règles entravent l’efficacité de notre police et de notre justice … par le passé, des lois d’exception avaient été votées, que n’attendent-ils pour le faire plutôt que de nous infliger leurs querelles électoralistes dont les Français se moquent, sont lassés et qui d’une certaine manière tue une 2ème fois ! alors au lieu de répéter « pas d’amalgame » et de brandir la menace des extrêmes voire d’une guerre civile, nos gouvernants actuels au lieu de faire le bilan des insuffisances de leur(s) prédécesseur(s) seraient mieux inspirés de prendre enfin les mesures qui s’imposent pour éradiquer sur notre sol ce que nos soldats combattent sur d’autres terrains … actuellement les victimes civiles sont bien plus nombreuses que celles de nos militaires en opérations extérieures ! en continuant à ne rien faire, ils favorisent un parti extrémiste qu’avec cynisme ils affirment tous combattre ….