Antiterrorisme : nos services de renseignement peuvent-ils être plus mal organisés ? [Replay]

Comment s’organisent les services de renseignement en France en matière de lutte contre le terrorisme ? Voici tout ce que vous avez toujours voulu savoir sans jamais oser le demander !

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Services de renseignement by ClaraDon (CC BY-NC-ND 2.0)

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Antiterrorisme : nos services de renseignement peuvent-ils être plus mal organisés ? [Replay]

Publié le 12 décembre 2016
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Par Guillaume Nicoulaud.

Services de renseignement by ClaraDon (CC BY-NC-ND 2.0)
Services de renseignement by ClaraDon (CC BY-NC-ND 2.0)

 

Je te mets au défi, ô lecteur, de m’expliquer comment fonctionnent nos services de renseignement en matière de lutte antiterrorisme. Sans tenir compte de l’aspect judiciaire ou de l’organisation des forces d’intervention (le RAID, le GIGN et la BRI…), comment décrire, ne serait-ce que de manière succincte et approximative, comment la République s’est organisée pour repérer les cellules djihadistes qui nous menacent.

Voici un an et demi que j’essaie. Je n’y comprends toujours rien. À chaque fois qu’un schéma organisationnel s’est frayé un chemin jusque sous mes yeux de modeste citoyen, il n’a pas fallu plus de 24 heures pour qu’un spécialiste du sujet explique qu’il était faux ; sans que, soit dit en passant, ledit spécialiste ne prenne le risque de m’éclairer.

Au mieux et en croisant plusieurs sources, suis-je parvenu à dresser une liste des différentes structures qui, à des degrés divers, semblent participer à cet effort si essentiel.

 

Les différentes structures

La Direction Générale de la Sécurité Extérieure (DGSE)

Créée en 1982, elle est placée directement sous l’autorité du ministère de la Défense. C’est le service de renseignement extérieur de la France, chargé de l’espionnage et du contre-espionnage et donc aussi de la lutte anti-terrorisme.

La Direction du Renseignement Militaire (DRM)

Créée en 1992, elle dépend du chef d’état major des Armées (CEMA), lui-même placé sous l’autorité du président de la République et du gouvernement. Elle est chargée du renseignement tactique et stratégique sur les théâtres d’opération.

La Direction de la Protection et de la Sécurité de la Défense (DPSD)

Créée en 1981, elle dépend directement du ministère de la Défense. Elle intervient manifestement « en matière de sécurité du personnel, des informations, du matériel et des installations sensibles ».

La Direction Nationale du Renseignement et des Enquêtes Douanières (DNRED)

Créée en 1988, elle est rattachée à la Direction générale des Douanes et Droits Indirects (DGDDI) du ministère des Finances et des Comptes publics. Elle est chargée de mettre en œuvre la politique du renseignement, du contrôle et de la lutte contre la fraude en matière douanière.

Le service Traitement du Renseignement et de l’Action contre les Circuits Financiers clandestins (Tracfin)

Créé en 1990, c’est une des directions du ministère des Finances et des Comptes publics, au même titre que la DGDDI. C’est un service qui enquête sur la fraude financière, notamment dans le cadre du financement du terrorisme.

La Direction générale de la Sécurité Intérieure (DGSI)

Créée en 2014 pour remplacer la DRCI elle-même issue de la fusion de la direction de la Surveillance du Territoire (DST) et de la direction centrale des Renseignements Généraux (RG) en 2008. Elle dépend directement du ministère de l’Intérieur et est chargée du contre-espionnage et de la lutte antiterroriste à l’intérieur de nos frontières.

La Sous-Direction Anti-Terroriste (SDAT)

Créée Dieu seul sait quand, elle dépend de la Direction centrale de la Police Judiciaire (DCPJ) au sein de la Direction générale de la Police nationale (DGPN) du ministère de l’Intérieur. Installée dans les mêmes locaux que la DGSI, elle est manifestement chargée des enquêtes liées au terrorisme.

Le Service Central du Renseignement Territorial (SCRT)

Créé en 2014, il dépend de la direction Centrale de la Sécurité Publique (DCSP) au sein de la direction générale de la Police nationale (DGPN) du ministère de l’Intérieur. Ce service reprend manifestement les missions autrefois confiées aux Renseignement Généraux.

La Direction du Renseignement de la Préfecture de Police de Paris (DRPP)

Créée en 2008, elle fait partie de la Préfecture de Police de Paris, elle-même placée sous l’autorité du ministère de l’Intérieur. Il semble qu’elle assure les mêmes missions que le SCRT, mais à Paris, et dans la petite couronne.

Le Bureau de la Lutte Anti-Terroriste (BLAT)

Créé en 2003, il dépend de la sous-Direction de la Police judiciaire (SDPJ) qui, contrairement à ce que l’on pourrait penser, dépend de la Direction générale de la Gendarmerie nationale (DGGN). Le BLAT intervient dans le renseignement et la répression anti-terroriste.

La Sous-Direction de l’Anticipation Opérationnelle (SDAO)

Créée en 2013, elle dépend aussi de la Direction générale de la Gendarmerie nationale (DGGN). La SDAO est un service de renseignement qui interviendrait, si j’ai bien compris, en soutien au BLAT.

Enfin, le Bureau du Renseignement Pénitentiaire (BRP)

Créé allez savoir quand, il dépend de la sous-Direction des Missions de la direction de l’aadministration Pénitentiaire du ministère de la Justice. Comme son le nom le suggère, le BRP est chargé des activités de renseignement dans les prisons.

 

Bref, si tu veux bien me pardonner l’expression, ô lecteur, c’est un innommable bordel. En supposant, et rien ne me permet de l’affirmer, que cette liste est exhaustive, je compte douze structures dont les missions et attributions me semblent parfois largement redondantes et qui ont, pour autant que je puisse en juger, leurs propres chaînes de commandement, leurs propres organisations, des systèmes peu ou pas partagés ; douze structures qui, si j’en crois ce que je lis, ne collaborent que partiellement quand elles ne se tirent pas carrément dans les pattes.

J’en veux pour preuve que cette organisation porte le sceau infamant des machins administratifs qui ne fonctionnent pas : une Structure de Coordination. Pardon, pas une structure mais trois. Sauf erreur de ma part, la coordination de nos efforts de renseignement est assurée par :

Le Conseil National du Renseignement (CNR)

Créé en 2008 et présidé par le président de la République, il assure la coordination des six services constituant la « communauté française du renseignement » (i.e. la DGSE, la DGSI, la DRM, la DPSD, la DNRED et Tracfin).

L’Unité de Coordination de la Lutte AntiTerroriste (UCLAT)

Créée en 1984 et rattachée au cabinet du directeur général de la Police nationale (ministère de l’Intérieur), elle est supposée — si j’ai bien compris — coordonner la DGSI, la DGSE, le BLAT, la DNRED, le BRP et la DPSD.

L’état major opérationnel de Prévention du Terrorisme (EMOPT)

Créé en 2015 et directement rattaché au ministre de l’Intérieur, qui  coordonne le suivi des « personnes radicalisées » pour « s’assurer que celui-ci est bien effectif ».

 

Je n’ai aucune prétention en matière de renseignement en général, et de lutte contre le terrorisme en particulier. Néanmoins, m’intéressant à la théorie des organisations depuis quelques années, et en ayant vu quelques-unes fonctionner (ou pas), je peux avec certitude affirmer qu’un bordel pareil n’a aucune chance de fonctionner. Même avec les meilleurs spécialistes équipés des meilleurs outils, même en partant du principe que tous collaborent en mettant leur ego de côté, même en multipliant les financements et les dispositifs légaux : ça ne peut pas marcher. Même pas en rêve.

Dans son rapport publié le 5 juillet, la « Commission d’enquête relative aux moyens mis en œuvre par l’État pour lutter contre le terrorisme » proposait de « créer une agence nationale de lutte antiterroriste, rattachée directement au Premier ministre, en charge de l’analyse de la menace, de la planification stratégique et de la coordination opérationnelle. »

Cette proposition ne m’inspire qu’une seule réflexion : comment est-il seulement possible qu’elle n’existe pas encore ?

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  • Effectivement, dur dur de s’y retrouver quand on est peu familiarisé avec « l’organisation » de l’Etat et les guéguerres entre Police Nationale et Gendarmerie 🙂

    Concrètement, il y a deux types d’agences : celles qui interviennent à l’étranger et celles qui interviennent sur le territoire national. Evidemment, elles devraient communiquer entre eux et ce n’est sans doute pas trop le cas, pour tout un tas de raisons inhérentes à la bureaucratie en général. Dans les grandes lignes il faut juste comprendre que :

    -Les DGSE interviennent à l’étranger, tout comme les DRM (qui eux recherchent du renseignement militaire pur)
    -Les DGSI interviennent sur le territoire nationale : ils sont composés des ex DST (anti-terrorisme classique) et des ex RG (renseignement au sens général, de type local)
    -Les DPSD sont un peu à part : ils veillent à ce qu’il n’y ait pas de fuites au sein de l’Armée à destination d’agences étrangères. Ils forment et conseillent les militaires pour éviter que ça arrive (ex : le marin aillant trop bu et révélant des informations confidentielles au coin du bar à un agent étranger sous couverture)
    -Les DNRED, TRACFIN et les BRP ont des missions liées à leur environnement spécifique

    Evidemment, il y a pas mal de doublons liés à la guéguerre entre ministère de l’intérieur et ministère de la défense, mais je ne suis pas convaincu qu’une « grosse » entité unique chargée du renseignement intérieur et extérieur serait plus efficace, justement parce que les contraintes structurelles liées aux grosses organisations sont trop lourdes. Sans doute une telle entité ne ferait que « recréer » les missions de ces différentes directions au sein de « services ». On ne fait que remplacer un mot par un autre…

    Plusieurs services qui communiquent entre eux peuvent être efficaces, encore faut-il communiquer. Mais il n’est pas simple de communiquer lorsque les informations sont classifiées. Des règles de sûreté existent et rendent la communication difficile. Tout le monde n’a pas « à en connaître » et cela complexifie énormément ces nécessaires échanges entre services.

    • « le marin aillant trop bu et révélant des informations confidentielles au coin du bar à un agent étranger sous couverture », ou un débile détenteur d’informations « confidentiel défense » qui laisse traîner sur son bureau des documents classifiés à la vue de journalistes sans couverture.

  • c’est bien la peine d’avoir tout ça si c’est pour en arriver là ou nous sommes ; et en plus ça doit couter la peau des fesses rapport au résultat plus que mitigé de toute ses structures ; pas trés rassurant finalement ;

  • La France est une vieille dame que l’on ne bouscule pas, nos services sont reconnus comme les meilleurs au monde, mais ouvrir les fenêtres seraient une sage décision pour aéré les services !

  • « Antiterrorisme : nos services de renseignement peuvent-ils être plus mal organisés ? ».

    Ne jamais sous-estimer la capacité de l’administration et des politiciens pour faire pire.

    En la matière ils sont d’une ingéniosité sans pareil.

  • C’est bien, ça fait beaucoup de postes pour les amis…

  • j’adore les dates de création de ces différents « services » 🙂
    la moitié semble avoir été créé sous le même président….

    Mouais.

    quand à poser la question de savoir si on peu faire plus mal organisé, attendez que nos politicards en remettent une couche 😉

    • L’ Arsouille avait promis de mettre fin aux innommables et innombrables dérives de ses prédécesseurs.
      Mais tout comme la constitution de 58 lui convint fort bien dès qu’il eut le pouvoir de l’utiliser à son entier profit, les fondations du régime lui allèrent aussi bien. Juste à changer les dénominations comme celle du Préfet qui se mua en Commissaire de La République et la promesse put être considérée comme tenue…

  • En Suisse les citoyens ont le droit d’acheter des armes et les ventes s’envolent au niveau des particuliers. Pourtant la Suisse n’est que faiblement menacée par l’EI. Aucun politicard français soutenant la devise guerrière de Valls « la guerre contre le terrorisme » ne se demande pourquoi un pays européen limitrophe est en paix et comptabilise toujours zéro mort.

  • C’est exactement cela. Et derrière, il y a la déperdition de moyens matériels qui n’étant pas mutualisés restent au-dessous du besoin (voir les infos récurrentes quant aux véhicules, armes, munitions, RTT, etc…). Et le tout avec l’organisation, pour chacune de ces entités, de nos administrations (strates multiples, redondances internes…). Pour se faire une idée, consulter les publications d’emploi ayant trait à des recrutements d’ingénieurs cybersécurité (par exemple) sur l’APEC, emploipublic ou le biep.

  • Et en plus vous avez oublié la PAF qui a aussi son propre service de renseignements. Les SI. Section informations. ….

  • Khemas a résumé les différents rôles. La DPSD n’a qu’un rapport indirect avec la lutte anti-terroriste, son périmètre reste la défense et ce qui s’y rapporte (comme les industriels).
    Le problème des services vient de la structure police / gendarmerie ou tout est doublé. Il faut fusionner ces structures et y affecter des personnels indépendamment de leur statut, comme c’est la cas à la DGSE depuis toujours.
    Idem pour les forces d’intervention comme RAID / GIGN / BRI, il faut unifier le commandement, intégrer et simplifier. Il faut aussi traiter le cas de la PP qui reste anachronique pour des raisons hitoriques.

  • ça ne peut pas marcher. Même pas en rêve.

    Normal, la pays est dirigé par une bande de doux rêveurs de rêves bien roses…

  • les autres pays ont le même type d’organisation: les USA disposent de 19 agences de renseignements, cette situation n’est pas une exception française.

  • Il y a une grosse différence : les États Unis sont un pays de 300 millions d’habitants et la première puissance mondiale.
    Ils ont retrouvé et éliminé Ben Laden sans que leur Président ne bave dans les journaux.

    Nos services sont en train de sous traiter l’analyse des donnes à une boîte privée américaine…

    • @Filouthai
      FRANCE=12000 personnels USA=104000 personnels, ces chiffres sont comparables mais en rapport du nombre d’agents par nombre d’habitants (cf étude IFRAP).
      Maintenant les agences de renseignements sont victimes en france comme dans les autres pays occidentaux d’une bureaucratie endémique.

  • lire le dernier article de l’IFRAP à ce sujet !

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