Par Alexis Flot.
Un article de Trop Libre
Un possible risque de la civic tech1 est d’aggraver la fracture démocratique en n’attirant qu’un public restreint et ciblé (jeune, connecté et déjà intéressé par la vie politique). L’inclusion numérique, c’est-à -dire le fait d’inclure toute la population à la vie et aux outils numériques, est un terme qui revient de plus en plus pour désigner l’objectif d’ouverture qui est à la fois une nécessité et un enjeu pour les civic tech.
Plusieurs définitions de l’inclusion numérique existent, mais on peut y lier ces trois caractéristiques :
- Connectivité : avoir accès à Internet
- Compétences numériques : être capable de se servir des ordinateurs, smartphones et d’Internet
- Accessibilité : les services doivent être conçus pour satisfaire les besoins des utilisateurs et en permettre l’accès et l’usage à tous.
Les civic tech, qui veulent reconnecter les citoyens à la politique par la technologie, ont en définitive un objectif d’inclusion démocratique. Mais celui-ci passe nécessairement par une inclusion d’abord numérique. Si la démocratie est numérique, alors tous les membres de la communauté doivent avoir les outils et les compétences pour s’y engager et y participer. Aujourd’hui plus que jamais, il est bien question d’insister sur  les usages et non pas seulement sur l’équipement. C’est d’ailleurs la feuille de route de l’Agence du Numérique récemment lancée.
Faciliter la participation, la mission de l’association ICI
En France, l’association ICI (Innovons pour la Citoyenneté  sur Internet) a pour objectif de démocratiser l’accès aux outils numériques pour redonner envie aux gens de s’intéresser à la politique. À sa fondation en 2010, l’association part du constat suivant : « s’ils ne sont pas expliqués, les codes de la participation en ligne passent inaperçus pour beaucoup, y compris celles et ceux qui sont absents des espaces traditionnels de l’expression démocratique. »
En organisant des ateliers et des formations, l’association œuvre pour une meilleure compréhension des transformations numériques dans la société. Ses activités se sont aujourd’hui élargies : « l’ambition de l’association est d’accompagner de plus en plus d’acteurs sociaux dans l’utilisation du web collaboratif. Ceci afin de faciliter la participation de leurs publics et faire émerger de nouvelles formes d’implication et de gouvernance », explique Damien, un des co-fondateurs.
Mais alors qu’il est en contact permanent avec des publics exclus du numérique, Damien reste interrogatif quant à la capacité de la civic tech à véritablement renouveler la pratique citoyenne :
« Je n’ai pas l’impression de vivre dans une nouvelle forme de démocratie. Le budget participatif n’a pas encore réenchanté la politique, cela prendra du temps. Il y a encore beaucoup de freins à lever pour donner envie aux publics de participer. Les jeunes sont capables d’utiliser les outils de participation, mais quel sens donnent-ils à cette dernière ? Les gens ont une défiance vis à vis de la représentation et n’ont pas envie de s’exprimer. Le concept d’éducation populaire est donc une notion primordiale : il faut aiguiser le sens citoyen. Et le numérique est un bel outil pour ça. »
L’un des enjeux de cette éducation à la citoyenneté numérique est d’expliquer les usages comme les outils. « Pour nous l’outil numérique n’est pas une finalité mais un prétexte de discussion civique. Le problème est que le numérique est souvent abordé en politique par la question de l’outil. Alors que de notre côté nous préférons parler de médiation, et d’usages. » Et pourtant l’association ICI a conscience d’être dans un chantier culturel laborieux, « qui prendra sans doute au moins dix ans. »
« Les retraités guident l’agenda du maire »
La lecture de l’exclusion démocratique est un peu différente chez Fluicity, une start-up qui propose aux communes une application interactive entre les habitants et les élus. Pour Julie de Pimodan, sa fondatrice, le fait que la démocratie ait raté le virage de la révolution numérique a exclu les jeunes, qui ne jurent précisément que par le numérique. « On s’est rendu compte que l’abstention aux municipales atteignait un taux record chez les jeunes ou que les personnes qui participent aux réunions de quartier n’ont jamais en-dessous de 55 ans. En fait, les canaux de communication des municipalités ne correspondent pas aux habitudes des jeunes, qui sont donc exclus de fait de la vie de la cité. »
L’app Fluicity cible ainsi une population précise : les 18-45 ans, les utilisateurs actifs de smartphone qui ne sont pas engagés dans la politique de leur ville. « Nous voulons créer des points de contact, rendre la démocratie plus fun et plus cool pour cette tranche de population qui a l’habitude de s’exprimer en temps réel sur toutes sortes de réseaux et d’outils numériques », explique Julie. Le challenge est donc de toucher les jeunes, cette « population dormante » qui n’a jamais été invitée à s’intéresser aux décisions politiques. Pour Fluicity, « la commune est la cellule de base de la démocratie : c’est là qu’il faut chercher l’engagement ». À Vernon, ville pilote, l’expérience est déjà concluante : 7% des habitants sont actifs sur l’application, mais l’objectif n’est pas d’arriver à 100% : « Fluicity est là pour corriger un manque de représentativité dans les avis citoyens qui remontent aux élus. On veut des utilisateurs de qualité qui adoptent pleinement la logique participative. Si l’application leur donne envie de s’impliquer, alors on aura déjà gagné », conclue Julie.
On peut donc avoir deux lectures très intéressantes des liens entre inclusion numérique et civic tech. Une première lecture à dire qu’avec la transformation numérique de la société, de nombreuses populations vont être exclues de la participation civique qui se fera de plus en plus en ligne. À l’inverse, une seconde lecture est de constater que l’architecture de notre système démocratique a déjà complètement exclu les « millennials »2 qui ne se retrouvent pas dans ce fonctionnement archaïque et bureaucratique, à l’opposé des services qu’ils utilisent tous les jours sur leur smartphone. Les outils numériques sont alors l’opportunité d’inclure cette population qui a été naturellement exclue.
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