Par Vincent Bénard.
L’affaire de la menace de grève des pilotes de KLM contre la révision de leur plan de retraite interne illustre à merveille tous les défauts d’une mauvaise implémentation de la retraite par capitalisation. Elle est le énième exemple de tout ce qu’il ne faut pas faire lorsque l’on met en oeuvre ce type de retraite. Cependant, il ne faudrait pas que les déboires de KLM, et de bien d’autres avant elle, ne servent de repoussoir à l’idée de capitalisation en général.
L’affaire des pensions de retraite des pilotes KLM
L’affaire du fonds de pension de KLM est tristement banale : en 2000, pour acheter la paix sociale, les dirigeants de KLM ont promis à leurs salariés, notamment aux pilotes, des retraites « à prestation prédéfinies » basées sur des estimations de rendement trop optimistes, compte tenu de la chute des taux d’intérêts, et donc de la rémunération des fonds, observée depuis le début de la décennie 2010. Le fonds de retraite étant géré directement par l’entreprise, les pilotes exigent que celle-ci rogne sur ses fonds propres pour augmenter la capitalisation du fonds, pour servir les retraites promises. Mais la santé financière du groupe Air France KLM ne lui permet pas de se montrer aussi généreux. L’avenir dira ce qui sortira des négociations.
Le problème n’est évidemment pas unique à KLM. En fait, de nombreuses compagnies aériennes américaines, ou autres grandes entreprises, ont été soit mises en faillite (PanAm), soit forcées à la restructuration de leur fonds, par leur incapacité à honorer les prestations accordées 20 ou 30 ans plus tôt alors que l’optimisme économique était de rigueur. Cependant, il reste encore beaucoup de fonds de pension à prestations définies aux USA, très fortement sous financés. L’exemple le plus révélateur du triste état des fonds de pension à prestations définies est celui de tous les fonds de pensions de fonctionnaires américains (dont les fonds géants californiens CalPers et CalStrs), à peu près tous en situation de crise d’insolvabilité, même si leurs liquidités leur permettent encore d’honorer leurs engagements. Là aussi, dans certains États comme l’Illinois, des grèves dures des fonctionnaires locaux se produisent pour exiger que les contribuables soient pressurés afin d’honorer les engagements passés.
La réforme des fonds de pension privés aux USA
Aux USA, de nombreuses grandes compagnies privées se sont retrouvées dans la même situation que KLM dans un passé plus ou moins lointain. Les accords avec les personnels, pour sauver la pérennité des fonds, ont abouti à leur transformation de prestation définie en fonds à cotisation définie, où l’employé cotise, et où le gestionnaire fait pour le mieux mais sans garantie de résultat. Les salariés américains ont le choix entre cotiser pour des fonds gérés par leur employeur (les fonds 401K ) ou des fonds gérés par des gestionnaires indépendants, (Plans “IRA”). Cependant, les plafonds des avantages fiscaux offerts aux “401K” distordent la préférence des salariés américains vers ce type de plan.
Les fonds d’entreprise, une cible bien tentante…
À noter que la réglementation des fonds 401K a été renforcée pour éviter les effets Enron ou Maxwell, à savoir respectivement le sur-investissement dans le capital de l’entreprise mère, pour soutenir artificiellement le cours, ou le vol pur et simple du fonds de pension pour boucher les trous d’une gestion de l’entreprise calamiteuse. C’est là un des premiers inconvénients d’un fonds géré par l’employeur : même s’il met en concurrence des prestataires externes, même si la loi n’oblige pas le salarié à cotiser, il dispose d’une vue imprenable sur une masse de fonds pouvant se révéler tentante s’il est malhonnête ou en difficultés…
Pire encore : certains États impécunieux n’ont pas hésité à se servir dans les fonds d’épargne retraite des épargnants pour boucher le trous de leurs régimes généraux par répartition. L’État prédateur est sans doute le plus grand danger pour les fonds de pension, sans protection constitutionnelle inviolable, et encore celle-ci ne vaut pas plus que la force d’une constitution…
Les prestations définies sont intenables dans le temps
Mais s’il existe en état de droit des moyens législatifs et assurantiels de limiter les risques de dérive liés à une gestion du fonds de pension via l’employeur, il n’en existe aucun pour se prémunir contre le risque d’incapacité d’un fonds de retraite à honorer ses promesses définies de façon trop optimiste. Ainsi, de nombreux fonds de pension publics américains ont promis aux employés, dans les années fastes, et pour acheter la paix sociale, des niveaux de retraite basés sur des hypothèses de rendement du capital allant jusqu’à 7.5% par an. Inutile de dire que depuis 2010, aucun fonds ne peut réaliser dans des conditions satisfaisantes de pérennité ce type de performance (analyse ici par le Wall Street Journal).
Le problème affecte d’ailleurs tout autant les retraites par répartition, comme notre retraite à la Madoff française, malgré une légère amélioration de la solvabilité des caisses de retraites due aux effets de la réforme(tte) Fillon qui avait progressivement porté l’âge de la retraite à 62 ans… et que François Hollande s’est dépêché d’annuler. Notre système postule que selon le régime auquel vous cotisez, vous percevrez une pension égale à un certain pourcentage de la moyenne de vos X années de meilleur salaire passé. Malheureusement, ce système est incapable, à long terme, de tenir ses engagements, du fait de l’allongement de l’espérance de vie qui détériore le ratio entre actifs et retraités.
Les systèmes à cotisation définies sont plus pérennes dans le temps, même s’ils font moins rêver…
Aussi la réforme de systèmes à prestations définies vers des systèmes à cotisations définies ne concerne pas que les fonds de pension. De telles transformations ont été conduites pour les retraites par répartition dans plusieurs pays, et notamment en Suède, où la réforme des années 1990 est allée bien plus loin, puisqu’elle a supprimé tous les régimes spéciaux, instaurant une stricte proportionnalité entre cotisations effectives tout au long de la vie et pension servie, que l’on soit ouvrier ou Premier ministre. De surcroît, le système permet désormais au salarié de choisir tout à fait librement son âge de départ, la retraite étant alors pondérée en fonction de l’espérance de vie par un calcul actuariel, le même type de calcul que celui utilisé par les assureurs pour calculer des rentes viagères. Ajoutons pour être complet que le système suédois comporte une petite part de capitalisation obligatoire, et que tout régime complémentaire librement souscrit par le salarié auprès d’un gestionnaire de fonds privé est nécessairement à capitalisation et à cotisations définies.
Le système “suédois” est tout à fait insubmersible ; en revanche, il ne promet pas la lune aux salariés et ceux ci ont d’eux même augmenté l’âge moyen de leur départ de 58 à 64 ans pour conserver un taux de remplacement acceptable. Enfin, il rend le niveau des retraites solidaire des fluctuations économiques, ce qui est plutôt sain, mais peut-être anxiogène.
Voilà pourquoi il y a encore chez nous des démagogues qui veulent nous faire croire à la viabilité de l’actuel système à prestations définies, et surtout ses régimes spéciaux, lesquels vivent en parasitant à la fois les contribuables et le régime général des retraites du commun des mortels, peu généreux en France.
Il y a bien plus à dire sur les réformes qu’il y aurait à conduire pour nos retraites (voir collection de liens ci dessous), mais l’affaire KLM illustre ce qui doit être la première d’entre elles : abandonner tout principe de retraites à prestations définies, démagogiques et insoutenables, pour des systèmes à cotisations définies, qui ne promettent pas la lune mais restent réalistes et pérennes dans le temps.
À lire aussi :
@ Vincent Bénard
Avec le recul, changerais-tu quelque chose à l’excellent dossier « retraites » que tu avais écrit il y a quelques années?
Le dossier en question, très intéressant, comme d’habitude avec V. Bénard: http://www.objectifliberte.fr/2008/04/la-retraite-p-2.html
Oui, je le moderniserai, j’approfondirai le chapitre transition, et je jonglerai avec Excel pour étudier plus d’hypothèses. Et j’approfondirai la question du rendement décroissant du capital au fur et à mesure que la taille des fonds de pension augmente.
Je note l’utilisation du futur et non du conditionnel 😉
Retraite par capitalisation …..
Et si un gouvernement décrète subitement qu’il a besoin d’argent, pour assurer ses dépenses aussi somptuaires qu’inutiles, il ira faucher ce que vous aurez épargné sur ce compte de capitalisation …. Il y a des précédents
Commenter un article, c’est bien. Lire l’article avant, c’est mieux 😉
Laisser la liberté de choisir un fond de pension européen autre que celui du pays de résidence, cela diminuera le risque. Voire une assurance-vie, mais pas en France…
L’article originel comportait un lien de bas de page qui traitait la question, qui a malheureusement sauté ici. Je le recolle:
« quand les états impécunieux volent l’argent des retraites »
http://www.objectifeco.com/economie/politiques-economiques/prelevements-obligatoires/le-vol-de-lepargne-populaire-prochaine-etape-pour-sauver-letat-providence.html
Aucun système par capitalisation ne peut tenir le choc lorsque les banques centrales décrètent que les taux d’intérêt sont à zéro. c’est la mort de la capitalisation puisqu’il n’y a plus d’apport supplémentaire des intérêts du capital.
En France on a fait croire qu’il était possible de verser 75 % du revenu moyen des 25 meilleurs années carrière pendant 25 ans. Avec un rendement nul, donc sans apport des intérêts, ça représente ni plus ni moins que … 75 % du revenu des 25 meilleurs années ! Ce qui vous laisse pour tout le reste, 25% de ces 25 meilleurs années et la totalité de vos revenus de vos plus mauvaises années (au nombre de 17, si votre carrière atteint les 42 ans). L’un dans l’autre, plus de la moitié de vos revenu totaux ! rien que pour la retraite (et il y a tout le reste à payer : santé, chômage, …) !
Pour mettre ça en perspective : si chacun met 50 % de ses revenus en réserve, ça représente globalement 50 % du PIB. Aujourd’hui les pensions représente 17 % du PIB, trois fois moins. Alors bien sûr une partie s’explique par le décalage dans le temps (on compare les pensions , d’un coté au PIB actuel, de l’autre aux revenus du passé, moindre puisqu’il y a eu croissance entretemps). Mais quand même…
Vous y croyez ?
« En France on a fait croire qu’il était possible de verser 75 % du revenu moyen des 25 meilleurs années carrière pendant 25 ans. »
Pour les fonctionnaires, ce sont les six derniers mois et ça passe!!
Au moins avec la capitalisation, on ne vous ment pas. Vous touchez le capital ou sa mise en rente.
Et c’est plus stable.
En Suisse, les caisses investissent dans l’immobilier. Laissons les faire sans se mêler de leurs affaires.
Aujourd’hui, l’état se permet d’intervenir dans la proportion des actifs, sans raison valable.
La providence, c’est quand cela tombe du ciel, quand l’état prends dans notre poche sans notre accord, c’est du vole.