Pèlerinage de la Mecque : l’autre islam politique

Le pèlerinage à la Mecque draine des foules en une manifestation fortement suivie en islam. Or, au-delà des apparences de religiosité, la coloration politique a toujours marqué ce cinquième pilier de l’islam dont l’obligation n’est pas absolue.

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Pèlerinage de la Mecque : l’autre islam politique

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 14 septembre 2016
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Par Farhat Othman.

By: Camera EyeCC BY 2.0

Les dernières déclarations incendiaires de la part des Saoudiens et des Iraniens montrent bien ce caractère éminemment politisé du pèlerinage, que ne fait qu’exacerber son emprise sur les esprits.

Cette dernière n’est nullement spécifique à l’islam, le christianisme l’ayant déjà connue avant l’émancipation séculière à la faveur du développement économique. Un horizon qui reste exclu pour les pays d’islam pour diverses raisons géostratégiques plus que culturelles ou purement économiques.

Un pèlerinage aux motivations contraires au dogme

Il est évident que si cette pratique religieuse éminente perdure en islam, continuant à faire de la Mecque une destination prisée par près de deux millions de pèlerins annuellement, c’est notamment en raison de l’état de sous-développement des pays musulmans favorisant le contrôle des mentalités, notamment religieux.

Et cela n’est pas du seul fait des régimes théocratiques, ceux supposés civils s’y adonnant aussi, instrumentalisant la religion au service de leur pouvoir séculier. Aux mains des autocrates, l’islam est un opium comme n’importe quelle religion.

S’agissant du pèlerinage, la religiosité est juste l’atour extérieur, une apparence au vu du pur dogme islamique. Ce dernier est même violenté par la motivation de la plupart des pèlerins faisant le voyage de la Mecque, aussi bien lors du pèlerinage annuel que tout au long de l’année pour ce qu’on appelle petit pèlerinage ou omra.

Les analyses sociologiques de ce phénomène de masse démontrent que les raisons spirituelles sont négligeables au vu des visées intéressées, de fausse piété comme à visée mercantile.

Pour les premières, on sait que le pèlerinage remplit en islam la fonction de la confession dans le christianisme, la tradition voulant que la visite de la Mecque efface tous les péchés. Pour les secondes, il suffit de voir le business qui s’est développé autour du pèlerinage.

Un tel travestissement du sens de la piété est d’autant plus remarquable que le dogme islamique ne fait de ce 5e et dernier pilier de la foi qu’une obligation relative, nullement absolue, puisque le pèlerinage n’est exigible du fidèle que selon « possibilité ».

Certes, on a coutume d’interpréter restrictivement cette limitation de principe en la réduisant aux moyens financiers, ce qui la vide de tout sens, car elle déborde la pure question matérielle pour s’étendre à l’accomplissement des quatre premiers piliers et leur strict respect.

Ainsi, est bien absence de possibilité l’existence du devoir de mettre les frais du pèlerinage au service des pauvres et démunis présents auprès du fidèle souhaitant faire le pèlerinage, et ce y compris pour la première fois. Cette obligation relève du troisième pilier de l’islam qui est l’aumône dont le sens ne doit pas être restreint au montant limité de la zakat légale, comme cela s’est imposé dans la pratique, mais étendu à toute possibilité de contribuer à l’œuvre de solidarité sociale, l’essence même de l’islam.

Une telle motivation intéressée, outre de violer le sens originel du pèlerinage, le vide de toute piété véritable. En plus du non-respect de l’impératif de solidarité sociale inclusive, on voit certains pèlerins ne s’acquittant même pas du second pilier, à savoir la prière. De tels non-pratiquants osent le pèlerinage avec la résolution de se mettre à la prière à l’occasion du hajj, entendant commencer une nouvelle vie une fois leurs péchés effacés. Ce qui amène certains à multiplier les occasions d’une telle opération d’effacement des péchés, avec le grand ou le petit pèlerinage, muant ainsi en une industrie de rémission des fautes.

Ce qui, à la longue, a donné naissance à un statut social attribuant aux pèlerins l’appellation de Hàjj : celui qui a accompli le pèlerinage. Or, bien qu’il n’ait pas de valeur du point de vue dogmatique, ce titre est très prisé, devenant même une véritable dignité. Quoique sans assise légitime, cette dernière s’est imposée à la faveur des pratiques populaires entretenues par les autorités religieuses autoproclamées en islam, amenant à en faire cette distinction valant son pesant d’or bien connue dans les sociétés arriérées.

Fausse religiosité et vraie politique du pèlerinage

Aujourd’hui, le pèlerinage est non seulement une affaire intéressée, mais aussi éminemment commerciale au bénéfice des autorités saoudiennes et de tous ceux qui s’adonnent à ce commerce lucratif. C’est la conception du pèlerinage intrinsèquement plus politique que religieuse qui l’autorise.

Au vrai, tant le pèlerinage que les lieux de prière n’ont jamais échappé à la politique, les mosquées ayant toujours été des endroits privilégiés pour les assemblées politiques d’importance, comme pour les attentats et les assassinats. Les second et quatrième califes n’ont-ils pas été assassinés en présidant la prière ? Et le troisième n’a-t-il pas été tué à la veille de la fête du sacrifice, intimement liée au pèlerinage en islam d’origine ?

La Mecque, non plus, n’a pas échappé à la politique ; on a ainsi vu La Kaaba bombardée par deux fois en islam malgré sa sacralité. Bien mieux, lors de la guerre civile sous les Omeyyades, le pèlerinage a été détourné vers Jérusalem. En effet, alors que La Mecque était sous domination du rival Ibn Zoubeyr, le chef de file de la seconde branche de la dynastie, Abdelmalek Ibn Marouane, a imposé aux pèlerins de faire la rituelle circumambulation autour dôme du Rocher, autre site sacré de l’islam, point de départ du voyage nocturne du prophète.

Au reste, c’est cette nature politique de la fonction mecquoise qui a permis aux autorités saoudiennes de réussir le tour de force de faire oublier aux musulmans la nature hérétique de leur idéologie wahhabite du fait de leur seule gestion des lieux saints.

Si, cette année, les pèlerins iraniens ont été dirigés par leur gouvernement vers Karbala, sanctuaire chiite par excellence, tout porte à croire que l’Iran cherche à internationaliser la gestion de la Mecque en poussant à la retirer aux wahhabites, quitte à réactiver l’option de Jérusalem malgré ou à cause du conflit palestinien.

Ce faisant, ils joueraient sur du velours en appelant à lier le pèlerinage à la cause palestinienne, couplant ainsi pour de bon et de manière officielle religion et politique. Ne serait-ce pas une belle figure d’œcuménisme religieux de faire de Jérusalem un lieu de convergence des trois branches de la foi abrahamique pour une future paix inévitable ? Certains stratèges non seulement y pensent, mais y travaillent d’ores et déjà ; et pas que du côté musulman !

Vu sous cet angle, le pèlerinage serait une autre manifestation de l’islam politique, cette fausse théologie islamiste de libération, nullement évidente sans sa manifestation belliciste, mais non moins radicale, que l’idéologie inspirant les djihadistes. Un tel aspect politique est flagrant aussitôt enlevée la feuille de vigne de la foi. N’oublions pas, en effet, que si l’on se garde de juger l’islam à l’aune des autres fois monothéistes, il emporte fatalement une dimension politique du fait de sa dualité.

En boycottant le pèlerinage, les Iraniens entendent manifestement passer à une étape supérieure de leur stratégie de contestation de la mainmise politique wahhabite sur les lieux saints. Nombre de voix n’ont déjà pas manqué de signaler une telle aberration, appelant à préserver réellement les lieux saints de la politique en les confiant à des autorités indépendantes, reflétant sinon le vrai dogme de l’islam, du moins sa diversité. Cependant, elles sont restées inaudibles à ce jour.

Cela risque de ne plus être le cas, désormais. Après les turpitudes de Daech, l’état actuel de l’islam et les récentes accusations entre l’Arabie Saoudite et l’Iran y poussent fortement. L’Iran, à n’en pas douter, ne manquera pas d’user d’une telle arme redoutable.

Bataille des hérésies en islam politique

La récente tension le laisse penser, notamment après les propos venimeux échangés. Pratiquant la technique bien connue de l’attaque comme meilleure défense, les Saoudiens ont osé accuser les Iraniens de n’être pas des musulmans, ne se limitant pas à l’antienne classique du chiisme, y ajoutant l’accusation d’être des adeptes du zoroastrisme. Ce qui est de très mauvaise guerre !

En effet, l’islam inclut le zoroastrisme dans les gens du Livre (ou des Écritures, traduction la plus correcte), reconnaissant parfaitement leur livre sacré, l’Avesta. Aussi, traiter les chiites de mécréants, c’est de la part des Saoudiens risquer de voir se retourner contre eux le même argument qui, à leur égard, possède plus de poids.

Assurément, les Iraniens feront leur délice d’un tel argument ad hominem afin de donner plus d’écho à cette affirmation qu’on commence à entendre, y compris chez certains musulmans sunnites : que le wahhabisme n’est qu’un Daech ayant réussi.

Les wahhabites semblent donc avoir raté le coche. Ainsi, à supposer que les zoroastriens fussent des hérétiques, le wahhabisme l’est bien plus encore. Outre le fait de n’avoir pas la qualité reconnue par l’islam de religion à respecter, il n’a aucun titre établi pour prétendre relever de l’islam sunnite, ainsi qu’il l’affirme. Or, il ne pourra plus le faire aussi facilement qu’avant au moment même où les sunnites commencent à se rebiffer de plus en plus, Daech oblige.

C’est ce que fit une récente conférence tenue dans la capitale tchétchène Grozny, en présence notamment du recteur d’Al-Azhar, plus haute autorité de l’islam sunnite. La conférence a effectivement exclu le wahhabisme salafiste de la définition du sunnisme et de la communauté sunnite. Elle a même estimé qu’il importait enfin de réaliser un « changement radical et nécessaire pour pouvoir rétablir le vrai sens du sunnisme, sachant que ce concept a subi une dangereuse déformation suite aux efforts des extrémistes de le vider de son sens pour l’accaparer et le réduire à leur perception ».

Par ailleurs, quand on sait que le prétendu État islamique se prétend être parfait sunnite, on comprend que de plus en plus de musulmans en arrivent aujourd’hui à contester que le sunnisme soit l’orthodoxie au sens de conformité à l’islam des origines. On ose même affirmer et revendiquer une telle qualité pour le soufisme.

La lecture wahhabite de l’islam, violant ses fondements mêmes, est devenue tellement flagrante qu’elle commence à provoquer les plus conciliants des musulmans ; il y va de la pérennité même de cette foi qui n’a plus rien de ce qui fait son essence : sa tolérance, son œcuménisme et l’esprit libertaire de ses fidèles.

C’est justement tout ce qu’on retrouve préservé par le soufisme qui apparaît ainsi la seule lecture authentique de l’islam et qui serait l’alternative crédible pour gérer les lieux saints. Aussi, un courant souterrain se dessine-t-il dans les pays d’islam et qui ne tarderait pas d’arriver à la surface : soit les Saoudiens répudient leur wahhabisme pour embrasser le soufisme et garder leur hégémonie sur le pèlerinage, soit ils confient sa gestion à des autorités indépendantes, soufies de préférence.

La bataille politique du pèlerinage ne ferait ainsi que commencer ; c’est une facette cachée d’un autre l’islam politique qui se révèle de la sorte. Paradoxalement, elle pourrait aider à séparer dans l’islam ses dimensions liées de religion et de politique par cette impérative clarification des choses au niveau du dogme d’origine. Cela suppose de le sortir enfin de la confusion axiologique actuelle qui en fait une arme de gouvernement encore plus terrestre que céleste.

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  • Excellent article d’érudition. Merci à son auteur.

    Il est regrettable que tant d’aveuglés ne sachent (ne veuillent) réfléchir les mobiles cachés de ceux qui manoeuvrent si habilement leurs foules !

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Cet article est republié de The Conversation. Lire l’article original.

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