Par Farhat Othman.
Le Parlement européen vient d’adopter une résolution importante de nature à initier une nouvelle donne en Méditerranée et dans le monde en se déclarant pour un plan d’aide ambitieux à la Tunisie. Cela ne sera cependant le cas que si l’Europe se décide à ne pas se contenter de poser ses conditions à la Tunisie, osant aussi remettre en cause sa politique méditerranéenne obsolète.
Lumières artificielles et obscurantisme
On n’accepte pas facilement de perdre son lustre d’antan quand on a été une gloire lumineuse et qu’on se retrouvé déclassé — c’est le cas de la brillante civilisation d’islam — ou en cours de l’être — c’est la situation de l’Occident qui perd sa mainmise sur l’univers et les privilèges liés à un ordre mondial bel et bien fini.
Aussi, on cherche à faire en sorte de continuer soit à vivre au passé soit à le faire durer en agissant sur les mentalités, jouant la comédie de se comporter comme si rien n’a changé.
Si le monde islamique n’arrive pas à se résoudre à s’accepter tel qu’il est désormais, l’Occident et l’Europe en premier continuent d’user des concepts éculés de la Modernité. En cela, ils s’aident du conditionnement subi par les populations du Sud, leurs élites en premier, ne voyant de salut qu’en s’alignant sur le modèle occidental, pourtant en crise, sinon périmé.
Or, ne l’oublions pas, l’Occident a pour fondement, nolens volens, une tradition judéo-chrétienne qui explique pas mal de ses choix actuels, dont celui consistant à être le meilleur allié des intégrismes islamistes, maximisant — mais profitant aussi — de leurs turpitudes. Or, si l’islam a été pour beaucoup dans les Lumières occidentales, ce ne fut que l’Å“uvre d’un islam des Lumières, soufi pour l’essentiel, aujourd’hui combattu par l’islamisme obscurantiste soutenu par l’Occident.
Ce qui est très grave à un moment où la Modernité est dépassée, notamment dans la prééminence de sa conception matérialiste des choses, faisant vénalité des valeurs ; car la postmodernité est pour le moins la réhabilitation des traditions antiques, la spiritualité en premier. Aussi, ne peut-on plus tarder d’agir afin de préparer le monde d’après.
C’est le refus des réalités d’aujourd’hui par les milieux s’accrochant au monde capitaliste sauvage d’hier qui met l’univers sens dessus dessous, transformant la fin inévitable d’un monde en une faim vorace de nouveauté quitte à faire religiosité de ce qui n’est que spiritualité.
L’Occident doit donc se résoudre, au nom même de ses valeurs, à arrêter de s’adonner à un tel jeu machiavélique devenu périlleux, surtout qu’il prétend le faire au nom du respect des spécificités de l’altérité qui se retourne contre lui et ses intérêts, tant médiats qu’immédiats.
La Tunisie, une chance pour l’Occident
Objectivement, on s’accorde à dire en Occident qu’il se passe en Tunisie quelque chose d’important ; on ne se limite pas moins à se gargariser de mots. On sait pourtant que l’obscurantisme islamiste évolue à pas de géant en une Tunisie qui a bénéficié du legs moderniste de Bourguiba et ce à la faveur du maintien du statu quo actuel, aussi bien sur les plans législatif (quoiqu’on commence à en être conscient ainsi qu’on le verra infra) qu’économique et social.
La Tunisie vit une grave crise à tous les niveaux. Son problème majeur, la cause de l’échec de ses politiques économiques et sociales, s’explique par le fait que 80% de ses dépenses publiques sont réservées au service d’une dette qui est jugée par presque tout le monde, sinon illégitime, du moins constituant le boulet de sortie de crise.
Ce qui, en bonne logique économique et politique, impose la rupture urgente avec la sacro-sainte doctrine du respect absolu du service de la dette. Pour espérer que l’économie tunisienne retrouve la santé, il est fatal que la dette soit effacée ou, pour le moins, faire l’objet d’un moratoire avec, dans l’immédiat, une aide conséquente en vue de retrouver la santé.
C’est ce qu’on a appelé à raison Plan Marshall et qu’on ose enfin évoquer sérieusement. Comment espérer, en effet, développer un pays avec un service de la dette qui n’arrête d’augmenter alors que sa dette extérieure est déjà estimée à près de 3,30 milliards de dollars cette année, soit 69% du PIB, devant passer, en 2017, à 30,70 soit 71,4% ?
Une telle situation catastrophique a pour cause la vertigineuse augmentation des dépenses publiques couplée à la diminution des rentrées fiscales, ce qui a fait passer le déficit public de 1885 millions dinars en juin 2015 à 2190,7 millions de dinars en juin 2016. Aussi se retrouve-t-on avec 79% des dépenses publiques réservées au fonctionnement, les dépenses pour le développement plafonnant à 21% du budget de l’État.
Ce sont les États-Unis qui sont les plus gros bénéficiaires d’un tel service de la dette avec 1340 millions de dinars de virements nets, suivis de l’Allemagne (1030 MD), de la France (516 MD), du Japon (506 MD) et de l’Italie (459,8 MD).
On voit bien que la Tunisie est un pays qui profite à l’Occident ; or, il peut l’être encore plus si on l’aidait à devenir une démocratie véritable. Aujourd’hui, la Tunisie est une exception en pointillés ; elle sera bel et bien une chance pour l’Occident s’il se décide à l’intégrer pour de bon à son système, non pas en pays soumis, mais souverain, car réellement égal en tout. Une nouvelle donne en Méditerranée est donc impérative.
Refonder la politique européenne vis-à -vis de la Tunisie
La résolution précitée du Parlement européen du 14 septembre 2016 sur les relations de l’Union avec notre pays dans le contexte régional actuel va dans le bon sens. Elle dresse un état des lieux pertinent de la transition démocratique en Tunisie, pays à l’emplacement ô combien stratégique, et dont l’évolution actuelle est déterminante pour la paix non seulement en cette région, mais aussi dans le monde.
Malgré quelques avancées indéniables, le diagnostic et les recommandations des députés européens ne vont toutefois que dans l’intérêt de l’UE dans les matières stratégiques que sont celles de la dette, de la corruption, du terrorisme et surtout des migrations et de la réadmission des clandestins.
Il est vrai, on se décide enfin à oser aborder les sujets considérés habituellement comme tabous, étant supposés relever de l’exclusive souveraineté interne du pays. Car tout est lié en politique, surtout les questions sensibles dont on ne veut pas parler alors qu’elles alimentent un terrorisme mental conditionnant les comportements.
C’est bien le cas de la question de l’homophobie qui pollue esprits et attitudes, obérant tout effort sérieux vers le vivre-ensemble démocratique. En osant spécifier la nécessité de l’abolition de l’article 230 du Code pénal dans le cadre de la réforme d’ensemble de la législation tunisienne, notamment pénale, le parlement met le doigt sur une des causes sérieuses empêchant la bascule de la Tunisie en démocratie.
Mais ce n’est qu’une question parmi d’autres et on ne peut s’en contenter, car cela risque de susciter une opposition inutile de la part de l’opinion publique tunisienne trompée par les forces conservatrices qui ne manquent aucune occasion pour crier à l’atteinte aux valeurs fondamentales de la société et à sa culture.
Certes, il n’est plus aussi facile qu’avant de prétendre qu’abolir l’homophobie est contraire à l’islam, puisque la démonstration a été faite que c’est son maintien qui viole cette religion. Ce ne serait pas moins compliquer inutilement les choses et retarder une évolution inéluctable qui irait bien plus vite si l’on osait faire aussi un impératif catégorique des questions ayant un écho certain auprès des masses, notamment une jeunesse brimée, tentée par les chemins de traverse terroristes. Et on sait que les jeunes Tunisiens sont les plus nombreux chez Daech !
En premier, il s’agit bien évidemment de la libre circulation humaine qui doit être le pendant du libre-échange auquel la Tunisie ne peut échapper. Or, l’outil fiable du visa biométrique de circulation permet une telle issue du moment que le réquisit sécuritaire actuel est respecté avec une attention désormais inévitable au droit international et aux droits humains.
Cela pour l’impact populaire. Mais pour redonner vitalité à une économie exsangue, il y a surtout la nécessite de la libérer du boulet précité du service de la dette. Et il y a également la corruption et le terrorisme, deux phénomènes liés qui ne concernent pas que la Tunisie du fait de leurs racines s’étendant en dehors du pays. Les combattre implique nécessairement que la Tunisie soit articulée à un système de droit, d’où l’adhésion à l’Europe dont il sera question plus loin.
Dans l’immédiat, ce qui est le plus facile pour les autorités de Tunisie, c’est d’agir sur la législation nationale afin d’éradiquer les graines du terrorisme mental que nous retrouvons mêmes dans des têtes supposées bien faites. Cela suppose la refonte en profondeur de la législation nationale, l’expurgeant de ses lois scélérates. Or, ce n’est possible, en l’état actuel, qu’avec l’appui de l’Europe et son implication active en faveur de la véritable démocratisation de la Tunisie.
La Tunisie VS la Turquie pour entrer dans l’Europe
Après ce qui s’est passé et se passe en Turquie, l’Europe doit se résoudre à se détourner de ce pays qui n’a qu’en apparence des velléités démocratiques ; la Tunisie peut prendre avantageusement la place de la Turquie pour l’adhésion à l’Europe. Après tout, elle a tout autant, sinon plus que la Turquie, la prétention d’appartenir à l’Europe. Hegel le disait déjà et Ceuta et Melilla le prouvent, ainsi que l’état des rapports de part et d’autre : l’Europe est déjà au Maghreb, et plus particulièrement en Tunisie qui se démocratise.
Aussi, elle doit oser refonder sa politique méditerranéenne en allant jusqu’à proposer l’adhésion à la Tunisie à l’Union ; dans l’attente, elle agira à créer un espace méditerranéen de démocratie garantissant simultanément la libre circulation et le libre-échange.
Comme cela concerne tout le bassin méditerranéen, l’Europe sera en droit d’exiger en contrepartie de la Tunisie, non seulement la refonte de sa législation ainsi qu’elle l’a fait, et pas seulement sur les questions économiques (ce qui commence à être réalisé effectivement) ou relativement à quelques aspects du droit pénal (comme l’illustre la résolution), mais tous les aspects législatifs  liberticides sans exclusive, surtout ceux se basant sur une fallacieuse raison religieuse.
Sur le plan interne, elle doit déjà pointer les autres sujets sensibles aux retombées immenses sur les mentalités, les libérant du conditionnement idéologique pernicieux que les islamistes et les conservateurs s’évertuent à enraciner dans le pays. Par exemple : l’égalité successorale entre les sexes, cette suprême violence faite à la femme, la liberté du commerce et de consommation d’alcool pour relever véritablement du libéralisme économique, surtout que la religion n’interdit pas l’alcool et la liberté des rapports sexuels entre adultes comme meilleure parade à l’intégrisme.
Au plan international, l’Europe est appelée à encourager les autorités tunisiennes à sauter le pas de l’établissement des relations démocratiques avec Israël, et ce dans le cadre du retour impératif à la légitimité internationale de 1947 qui fonde la légalité de cet État né avec un frère jumeau égal en droits et en obligations, étant un jumeau monozygote. Il est bien temps de crever l’abcès palestinien empêchant la paix dans le monde ; et elle débute dans les esprits. Ce qui commande une paix des braves.
Voilà comment la Méditerranée aura des chances d’être un jour le lac de paix qu’on y voyait, cette mer commune qu’elle n’est plus. Ni juridiquement ni éthiquement, on ne peut plus accepter que s’y poursuivent les drames actuels (on a bien parlé d’holocauste monderne), car ils ne font qu’alimenter les menées des terroristes de tous bords, physiques comme mentaux.
Au final, le plan Marshall projeté, auquel le Parlement européen appelle enfin, gagnerait en sérieux et en efficacité s’il ne se limitait pas aux 70 points de la résolution du 14 septembre, combien même ils se veulent exhaustifs, touchant à des aspects divers : réformes politiques et des institutions, développement économique et social, sécurité et défense, mobilité et recherche, éducation et culture.
À l’instar des rares détails positifs portant sur l’abrogation de l’article 230 du Code pénal, la réforme du Code du Statut personnel ou la réforme des services de renseignements, l’Union européenne serait bien inspirée d’oser parler directement et clairement des sujets qui ne plaisent pas nécessairement en Europe, mais ayant un impact certain en Tunisie, notamment chez les jeunes : dépénalisation totale du cannabis car contrairement à ce qu’estime le Parlement, le projet actuel est décevant, liberté de circulation humaine sans entraves, paix en Palestine par la fin de la colonisation et le retour à la légalité internationale, renouant ainsi avec le meilleur de Bourguiba.
Il faut du concret !
Ce n’est pas avec des mesures de pure forme, comme cette recommandation de l’usage de l’arabe dans les institutions européennes, qui sont de nature à faire évoluer les choses ; il faut du concret, non seulement de la part de la Tunisie, mais aussi de la part de l’Union Européenne, car comme le dit le proverbe populaire tunisien : on n’applaudit pas d’une seule main.
Aujourd’hui, la Tunisie a enfin pris la bonne direction avec son gouvernement d’Union nationale, même s’il peine encore à s’entendre sur le minimum nécessaire de mesures de nature à unifier la classe politique tiraillée idéologiquement. Ce qui vient, pour l’essentiel, de la résilience du dogmatisme islamiste chez le parti Ennahdha qui ne continue pas moins à avoir les faveurs de l’Occident. Ce dernier est donc en devoir d’agir aussi auprès de son protégé pour faciliter et accélérer l’advenue de la nouvelle politique attendue en Tunisie.  Alors, l’espoir y renaîtra pour tout le monde !
Aider la Tunisie aujourd’hui, assurément, c’est contribuer efficacement à rallumer les lumières d’Occident et d’Orient désormais éteintes. L’UE est bel et bien en mesure d’accélérer une telle évolution qui pourrait augurer, dans un futur proche, d’une aire de civilisation occidentalo-orientale ! Car l’Europe ne saurait échapper à ce que commande sa devise même appelant à l’unité dans la diversité : In varietate concordia ?
Pour que cette solution soit viable et pérenne, il faudra d’abord que l’état tunisien fasse le ménage dans ses comptes publics avec un déficit strictement superieur à 0 car après un effacement des dettes, il ne lui sera plus possible d’emprunter.
La Tunisie n’est pas le seul pays a en avoir besoin, et c’est ce qui fait peur aux grands argentiers.