Par Jean-Baptiste Noé.
Dubonnet fait partie de ces boissons oubliées, comme il y a des légumes oubliés ; des boissons autrefois populaires et aujourd’hui tombées en désuétude, que l’on peut toutefois retrouver dans les cocktails.
Le Dubonnet contre le paludisme
Comme le Picon, le Dubonnet fut inventé pour soigner les malades du paludisme en Afrique du Nord. C’est le chimiste Joseph Dubonnet (1818-1871) qui compose cette boisson à base de quinine, issue du quinquina. Si la boisson est fébrifuge et antipaludéenne elle a un fort goût d’amertume qui ne plaît pas à tous les palais. Pour y remédier, Dubonnet y introduit des herbes et des épices, faisant de ce vermouth une boisson appréciée. Elle quitte alors la cantine des légionnaires pour gagner les bars et les cafés et y être consommée par les amateurs civils.
Le Quinquina Dubonnet devient un apéritif à la mode. On le trouve en rouge (base grenache noir et carignan) et en blanc (grenache blanc et macabeu). L’assemblage vieillit un an en foudre de chêne puis vient l’aromatisation par infusions naturelles et macération dans une partie du vin de base. Le concentré obtenu est alors ajouté au vin de base auquel s’ajoutent des dosages aromatiques. En 1976, la marque est rachetée par le groupe Pernod Ricard qui la commercialise encore aujourd’hui.
Une publicité mythique: « Dubo, Dubon, Dubonnet ! »
Mais le grand succès de Dubonnet, et ce pour quoi il reste dans les mémoires, c’est sa publicité réalisée par Cassandre dans les années 1930 : « Dubo, Dubon, Dubonnet », dit un homme rieur et buveur. Une publicité déclinée sur les murs des maisons le long des nationales qui traversent la France. Parfois on les voit ressurgir sur certaines vieilles maisons et des associations se créent pour les sauvegarder et les restaurer. La publicité devient un objet d’art, le témoin d’un temps passé qui égaye les routes de campagne.
Dubonnet a été très présent dans le métro parisien jusque dans les années 1970. Les affiches reprenaient l’interjection et se déclinaient sous différentes formes pour permettre aux passagers de bien retenir le message. Message reçu, car si la boisson a quasiment disparu des comptoirs et des tables, elle demeure dans les esprits grâce à cette affiche modèle. « L’affiche n’est pas un tableau, disait Cassandre, c’est avant toute chose un mot. » Dubonnet est devenu ce mot symbole du Paris des années 1950-1970, gouailleur et libertaire.
La nostalgie colle aux pas de la boisson. C’est la ville du Paysan de Paris d’Aragon qui évoque l’apéritif et qui devient presque un lieu de mémoire de la capitale. Certes elle fut créée à proximité de l’opéra Garnier, puisque c’était là que Joseph Dubonnet possédait son atelier, mais il est remarquable de constater que l’Afrique du Nord n’est absolument pas présente dans l’imaginaire de la marque, alors même que c’est pour les soldats d’Algérie qu’elle fut créée. Comme le Picon, aujourd’hui associé au Nord, alors qu’il naquit sur les rives de la Méditerranée.
Le virage raté de Dubonnet
À l’heure des whiskies et des vodkas, les vermouths ne semblent plus avoir leur place. Ils font trop vieux peut-être, ils renvoient trop au passé. L’image de leur marque n’a pas su se renouveler et les goûts changent. Pourtant, leur moindre degré alcoolique leur donne un avantage certain et leur palette aromatique est loin d’être négligeable. Leur salut passe-t-il forcément par les cocktails ? C’est finalement les diluer et leur retirer leurs spécificités. On pense à d’autres vermouths : Martini, Ambassadeur, Americano. Martini a réussi à conserver une image de jeunesse et de fraîcheur que n’ont pas les autres.
C’est dommage, car les vermouths, dénommés également apéritifs à base de vin, ont une vraie raison d’être et ils ont toute leur place dans les apéritifs. Mais cela, c’est une autre histoire, qui raconte aussi bien les marques que les habitudes alimentaires et les projections marketing. La preuve qu’il faut sans cesse investir dans la publicité pour ne pas disparaître.
Grâce à Cassandre, Dubonnet a très bien réussi ses affiches, mais il n’a pas réussi à poursuivre cette lancée à la télévision. Hormis une publicité télévisée avec Fernandel, à destination des États-Unis, et une autre dans les années 1980, la boisson s’est fait dépasser par le marketing.
Tandis que « Dubo, Dubon, Dubonnet » cela reste ; même chez ceux qui n’ont jamais vu une bouteille à leur table.
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Meci pour cet article, qui « raconte » de façon intelligente et objective l’histoire d’un produit.
ça fait du bien de lire un texte qui n’est pas une suite de mensonges triturant et déformant « l’histoire » pour nous mener en bateau.
Dans le même genre, mas peut-être moins oublié: Byrrh.
C’est la seule marque qui a fait sa « réclame » dans les tunnels du métro parisien, entre les stations, jusque dans les années 60. A mesure que la rame avançait, elle éclairait en passant les panneaux peints qui se succédaient « DUBO » « DUBON » « DUBONNET » sur des centaines de mètres. Un vrai conditionnement pour celui qui regardait distraitement à travers les fenêtres de la rame, et une distraction amusante pour les enfants, qui effectivement s’en souviennent encore sans jamais y avoir gouté…