Par Stéphane Montabert.
Comment détruire les maigres économies de centaines de millions de personnes parmi les plus vulnérables et saboter à long terme la prospérité de son pays d’un trait de plume ? Ce double exploit vient d’être accompli en Inde grâce à son Premier ministre Narendra Modi il y a deux semaines, prenant une décision dont la portée historique pourra se mesurer au travers de la crise que traverse désormais le pays.
Fait du prince et guerre contre le cash
Le 8 novembre, le Premier ministre Modi annonce à la surprise générale que quatre heures plus tard, l’essentiel du cash de la septième économie mondiale deviendra sans valeur. Qualifiant la manœuvre de démonétisation, il déclare que les devises les plus utilisées dans le pays, les coupures de 500 et 1000 roupies (7 et 14 euros environ) sont retirées. Ces billets avec la dénomination la plus élevée représentent 86% de la monnaie en circulation.
Les Indiens sont dès lors invités à échanger leurs devises dans les banques jusqu’à la fin décembre contre de nouvelles devises de 500 et de 2000 roupies, mais seulement à concurrence de 4500 roupies, soit environ 62 euros. Il n’y a pas de limite au montant qu’il est possible de déposer sur des comptes bancaires mais le gouvernement a averti les autorités fiscales qu’il lancerait une enquête contre tous les dépôts de plus 250000 roupies (soit 3460 euros). Dépasser ce montant oblige le dépositaire à apporter la preuve que les taxes ont été convenablement payées, au risque de se les voir infliger à nouveau assorties d’une amende de 200 % de leur montant. Dans la plupart des cas, cela revient à l’intégralité de la somme déposée.
M. Modi indiqua qu’il ne faisait que concrétiser sa promesse de campagne de « s’attaquer à la corruption et à l’évasion fiscale ». Certains journalistes occidentaux applaudirent une démarche volontariste et courageuse, mais les couches les plus pauvres de la population indienne frappées de plein fouet par cette décision, qui avaient voté pour Modi en croyant que leur situation s’améliorerait, n’ont peut-être pas le même avis.
Le désastre en pratique
Il ne fallut pas longtemps pour que la décision surprise du Premier ministre ne jette le pays dans la confusion. De longues files se formèrent devant les banques et perdurent encore aujourd’hui. Pour les centaines de millions d’Indiens touchés, entre se rendre à son travail de boulanger ou de livreur ou renoncer pour faire la queue et essayer de sauver son épargne, le choix fut vite fait, paralysant l’intégralité de l’économie.
Les veinards réussissant à atteindre le guichet d’une banque purent donc découvrir qu’il n’y avait pas une queue, mais trois.
La première permet d’obtenir un formulaire où l’on doit indiquer son nom et son adresse, les détails de sa carte d’identité, son numéro de téléphone portable éventuel et les numéros de série de tous les billets qu’il souhaite échanger.
Muni de son formulaire complété et d’une photocopie de sa carte d’identité, il peut alors se présenter au deuxième guichet où un tampon officiel est apposé sur le document après vérification.
Le document tamponné permet de se rendre à un troisième guichet où les billets indiqués sont enfin échangés. La bureaucratie dans toute sa splendeur. Hors de toute file d’attente le processus prend difficilement moins de deux heures.
Il faut quelques chiffres pour comprendre l’ampleur de la réforme lancée par Modi sans préparation ni calcul. La moitié des citoyens indiens ne dispose pas d’un compte bancaire, et un quart d’entre eux n’a même pas de carte d’identité. 38 % des adultes ne savent pas lire. Ces gens-là, les plus pauvres que compte le pays, sont frappés de plein fouet par cette réforme. Ils ne disposent d’aucun moyen de convertir leur argent, pas plus que tous ceux qui sont âgés, handicapés, malades ou incapables de se déplacer – la démarche de conversion des billets impliquant de venir en personne.
Les nouvelles devises sont évidemment en nombre insuffisant. Comme peu de gens les ont vues, de faux billets de 2000 roupies ont rapidement fait leur apparition. Les nouvelles coupures ne sont pas plus sécurisées que celles qui sont retirées et restent donc très faciles à contrefaire. Des enfants des rues et des gangs proposent déjà de « convertir » l’argent déprécié avec une grosse décote, ressuscitant d’un geste le crime organisé et la fraude que la réforme entendait combattre, au travers de billets d’une qualité douteuse.
Le secret de la réforme a été bien gardé ; il a été d’autant mieux accepté de l’administration indienne qu’elle disposait de réserves spéciales de nouvelles coupures pour convertir ses propres économies sans le moindre contrôle. En guise de lutte contre la fraude fiscale et l’argent sale, le Premier ministre a donc fermé les yeux et permis de perpétuer les agissements d’un des principaux groupes responsables de la corruption en Inde, les bureaucrates du secteur public.
Ruine à long terme
Selon les chiffres du gouvernement Modi, seul 1 % de la population s’est acquitté d’un quelconque impôt sur le revenu en 2013. Mais est-ce parce que les gens fraudent, ou parce qu’ils sont pauvres ?
97 % de l’économie indienne est basée sur le cash. Certaines familles ont, c’est vrai, l’habitude d’utiliser des espèces pour les dots dans les mariages, pour payer une partie des transactions immobilières et échapper ainsi à certaines taxes. Est-il préférable de laisser subsister une économie souterraine et les millions de gens qui en dépendent, ou vaut-il mieux stériliser le tout au nom de la lutte contre la fraude ? M. Modi a clairement fait son choix.
Utilisant des comptes bancaires et s’acquittant de ses taxes, la classe moyenne semble pour l’instant suivre le Premier ministre, moins par suivisme que par mépris des classes inférieures, considérées comme quantité négligeable, voire avec autant de mépris que des insectes. Mais sa posture de supériorité morale ne durera que tant qu’elle reste à l’abri de l’agitation. Sans nouveaux billets, impossible d’acheter, de vendre, de payer ses employés. L’économie est paralysée et les effets de la crise pourraient rapidement se propager aux couches supérieures de la société.
À plus long terme, la réforme surprise du Premier ministre vient d’avoir un effet simple : briser toute confiance dans la roupie alors que la confiance est la caractéristique la plus essentielle de toute monnaie-papier. Ceux qui le peuvent ont déjà commencé à convertir leurs économies en métal, le goût de l’or étant profondément ancré dans la culture indienne, mais aussi en devises étrangères comme le dollar ou le franc suisse qui ont l’avantage d’avoir meilleure réputation et d’être plus facilement convertibles.
Après le désastre de la « démonétisation » et la paralysie de l’économie, on peut donc s’attendre à un effondrement de la valeur de la roupie et une nouvelle vague de politiques volontaristes du gouvernement indien, comme le contrôle des devises étrangères et des achats de métaux précieux, qui finiront de jeter le pays dans le chaos.
—
Et je vous ne dis pas l’angoisse pour les touristes qui y sont actuellement. C’est le cas de ma fille qui est allée là bas pour un mois, elle me raconte la galère qu’elle vit, oui c’est bien cela, le chaos !!!
Stupéfiant
En plus, il paraît que c’est la « saison des mariages », les indiennes risquent de voir gâcher leur « plus beau jour de leur vie », apparemment TOUT se paie cash là-bas y compris les décisions politiques stupides … facile à dire mais il eût peut-être mieux valu organiser une migration vers le numérique avant d’interdire en pratique le cash …
Les prix des légumes ont chuté de 50 % à cause du manque de liquidité comme dans les années 30, du coup les agriculteurs indiens risquent de ne pas pouvoir acheter leurs semences … le pays risque d’entrer dans une déflation-dépression …
Tous les films indiens que j’ai vu, ça tournait autour des mariages, je suis curieux de voir comment va réagir la population si on lui fout en l’air ses mariages.
Pas du tout! Il est bien question de supprimer le « cash », en Europe, donc comptes bancaires, avec taux négatif sur les dépôts, en plus de la « solidarité » avec « sa » banque au cas où celle-ci aurait joué « trop gros », au « casino » et se retrouverait « à poil », pas pour longtemps puisqu’elle détient vos économies!
Achetez du bitcoin! (ou de l’or si vous y croyez, ou de « la pierre » si elle n’est pas en France, des oeuvres d’art – merci L.Fabius – ou des vins du sommet de 1855 etc …)
Et merci à M.Draghi!
Quitte à acheter de la pierre à l’étranger, autant aller y vivre. Et au passage, pour convertir son argent en or, il faut passer par votre banque, interdiction légale de l’acheter avec du cash. Ainsi, quand la faillite arrivera, qu’on viendra voir sur vos compte et qu’on y verra qu’il n’y a plus rien, on y ira chercher dans vos relevés de comptes et on vous en demandera des comptes…
Il me parait bien naïf de croire que l’on puisse échapper à l’État aussi facilement, non, vraiment, la seule solution est d’émigrer loin, très loin.
et le presse en France, elle dort ?
Oui, sur un matelas confortable confectionné à partir de vos billets de banque.
Ils ont quand même trouvé ce qu’il fallait pour acheter des rafales. Pauvre de nous
Ils les ont déjà payés? Je resterais méfiant, à votre place!
ils attendent un pret de la France commeles egyptiens. A la fin c’est M. Ducon qui va payer pardi !
En tous cas, la roupie ne se porte pas si mal que ça, puisque nous obtenons seulement 70 roupies pour 1 euro, contre 90 avant l’arrivée au pouvoir de Narendra Modi …… Visiblement, c’est plutôt notre euro qui en prend plein la figure !
L’auteur a oublier de mentionner le Bitcoin, qui se vend en inde avec un premium de 20%.