Le culte du cargo de la transformation digitale

Toutes les grandes entreprises qui, de nos jours, ne jurent que par le digital ou le big data en embauchant des milliers d’ingénieurs commettent la même erreur : elles repeignent les murs, mais le modèle reste le même.

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Le culte du cargo de la transformation digitale

Publié le 7 décembre 2016
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Par Philippe Silberzahn.

Le culte du cargo de la transformation digitale
By: EverfallingCC BY 2.0

Le logiciel dévore le monde. C’est aussi vrai dans le monde automobile. De plus en plus, une voiture va être un ordinateur sur roues. Les fabricants semblent l’avoir compris, et embauchent à tour de bras des informaticiens pour se mettre à l’heure digitale. Beaucoup de grandes entreprises dans toutes les industries sont dans la même situation. Seront-elles pour autant capables de se transformer à ce point ? On peut en douter. Embaucher plusieurs milliers d’informaticiens ne fait pas de vous une entreprise digitale…

Culte du cargo et rupture digitale

Les grandes entreprises qui font face à la grande rupture digitale sont-elles adeptes du culte du cargo ? Le culte du cargo désigne un ensemble de rites qui apparaissent à la fin du XIXe siècle et dans la première moitié du XXe siècle chez les aborigènes, notamment en Mélanésie (Océanie), en réaction à la colonisation. Il consiste à imiter les opérateurs radios américains et japonais commandant du ravitaillement (distribués par avion-cargo) et plus généralement la technologie et la culture occidentale (moyens de transports, défilés militaire, habillement, etc.), en espérant obtenir sur les mêmes effets (abondance de biens).

On ne peut s’empêcher de penser à ce culte quand on observe les grandes entreprises réagir à la rupture digitale par l’embauche massive d’informaticiens, data scientists et autres génies de la nouvelle économie. C’est ainsi que le groupe Renault-Nissan vient d’annoncer publiquement l’embauche de centaines d’informaticiens pour développer les futures voitures connectées. Clairement, le groupe reconnaît l’urgence et l’importance de réagir aux changements en cours dans l’industrie. Mais cela suffira-t-il ?

L’exemple de Nokia

Pour le savoir, faisons un retour en arrière et considérons l’expérience de Nokia, leader lui aussi confronté à l’irruption brutale du logiciel dans son industrie en 2007, et qui n’y a pas survécu. Ogi Redzic, responsable des véhicules connectés chez Renault-Nissan, indique en effet que « comme les voitures ressemblent de plus en plus à des téléphones, Renault-Nissan doit ressembler de plus en plus à une entreprise informatique. » N’est-ce pas là une illusion ?

Nokia a toujours eu un grand nombre d’ingénieurs logiciels. Mais Nokia n’a jamais été une entreprise du logiciel.

C’était avant tout une entreprise du matériel, leader d’un monde où le téléphone, c’était du matériel compliqué et où la valeur résultait d’une capacité à concevoir un appareil radio-électronique, avec une couche logicielle pour le faire fonctionner. Le lancement de l’iPhone en 2007 marque le début d’un basculement où, désormais, le téléphone mobile est avant tout une plate-forme logicielle, qui s’appuie sur un module radio-électronique. On passe d’une culture du matériel à une culture du logiciel.

L’importance de la culture

Le terme culture est important ici, car c’est un mode de pensée radicalement différent. Il n’est pas surprenant que, dès lors que le téléphone devient un objet avant tout logiciel, ce soient les grands acteurs du logiciel qui en prennent le leadership (Apple, Google). Le grand drame de Nokia n’a pas été d’ignorer l’importance du logiciel – encore une fois, le leader finlandais employait des milliers de programmeurs, mais de ne pas être une société de logiciel.

Dit autrement, recruter des milliers de programmeurs ne fait pas de vous une société informatique. Le cÅ“ur (modèle mental, modèle d’affaire, identité) ne change pas, or c’est ce qui compte. On ne peut pas « ressembler » à une société informatique ; on en est une ou on ne l’est pas !

Toutes les grandes entreprises qui de nos jours ne jurent que par le digital ou le big data en embauchant, elles aussi, des milliers d’ingénieurs, commettent la même erreur : elles repeignent les murs, mais le modèle reste le même. Elles recréent les rites informatiques (Ah le baby foot dans le hall d’accueil, je viens encore d’en voir un dans une des sociétés les moins innovantes que je connaisse !) en espérant reproduire les mêmes effets, comme les aborigènes d’Océanie il y a quarante ans.

Gérer la rupture

Quand Renault s’est lancé dans la voiture low-cost avec le projet Logan, Louis Schweitzer, PDG de l’époque, avait bien compris que le projet était disruptif. En bute à l’hostilité interne au projet, il l’avait isolé loin du siège, chez Dacia, … en Roumanie, pour qu’il se construise un modèle propre : ressources, processus, valeurs. La réussite éclatante de Dacia montre que les fabricants de voitures peuvent gérer avec succès une rupture, et que s’ils veulent réussir la rupture de la voiture-logiciel, il ont intérêt à suive l’exemple de Dacia…

… et à méditer la leçon de Nokia : la voiture autonome, la voiture-logiciel, ou connectée, quel que soit le nom qu’on lui donne, est disruptive. Elle nécessite elle aussi un modèle d’affaire différent, une approche différente, une culture différente, des valeurs différentes, des ressources, et notamment humaines, différentes. Ce n’est pas au sein des structures existantes qu’elle réussira, même si on se fera fort d’essayer.

Faute de le comprendre, les fabricants s’exposent à de mauvaises surprises, dont Tesla, capable de mettre au point une voiture radicalement nouvelle à partir de zéro ou presque en quelques années, ce que GM essayait de faire depuis vingt ans, n’est que la première.

Source Wikipedia pour le culte du cargo. L’article sur Renault-Nissan ici.

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  • Bah, le problème le plus important que le monde doit affronter: les embouteillages et les difficultés pour que le client se déplace vers un commerce.
    Le futur ,des entrepôts automatises sans clients et du numérique pour rapprocher le client et des livreurs…automatiques…la fabrication étant, bien entendu, chinoise ou autre.la fin de la voiture individuelle est pour bientot ce qui liberera de l’espace pour des villes tentaculaires et ecologiques

    • +1
      L’avenir n’est clairement pas dans cette direction, because le e-commerce, qui conduit de plus en plus au e-shopping. Y compris pour les denrées périssables, vu le développement des courses en ligne et des livraisons express auquel on peut s’attendre.
      On va avoir un boom de la logistique next-generation, avec navettes, Uber, et drones.

  • L’entreprise est dépendante du produit habituel qu’elle fabrique.
    Ce n’est pas une nouveauté. D’ailleurs, le produit n’est pas le plus important, c’est la conséquence.
    On parle maintenant de l’ADN d’une entreprise, qui survit à ses dirigeants ou cadres majeurs : Mercedes qui fabriquait des camions VS BMW, des motos, Apple, etc…

    Tout cela est finalement très proche des théories de l’évolution.

  • Anecdote. Un client amène sa voiture chez le concessionnaire, toit ouvrant bloqué en position demi-ouverte. Je vous laisse imaginer le plaisir s’il pleut ce jour là…

    La voiture est à l’atelier de carrosserie. Le carrossier examine l’organe incriminé, se gratte la tête, ne comprend pas la source du problème. Il part à la cantine pour le repas de midi.

    Passe l’électricien, auquel on rapporte le problème. Celui ci, sur le champ va chercher sa valise, la connecte au véhicule, pianote quelques commandes qui ont pour effet de réinitialiser le bidule électronique qui gère le toit ouvrant, lequel reprend sa position fermée et manoeuvre désormais correctement en réponse aux commandes dans l’habitacle. L’électricien, facétieux, ne dit rien, range sa valise et s’en va manger à son tour.

    A l’heure du café, attroupement autour du véhicule dans l’atelier. Le carrossier, de retour de la cantine, constate la disparition du problème. Perplexe, il invoque un miracle… jusqu’à ce qu’un stagiaire, mort de rire, révèle le tout de passe-passe. On s’amuse comme on peut chez les concessionnaires.

    On s’étonne que les clients achètent des voitures fabriquées en Roumanie, où les bidules électroniques sont limités au strict minimum pour assurer des fonctions impossibles à gérer aujourd’hui par de la mécanique, comme l’allumage ou l’injection !

    Et la plaisanterie va plus loin que cela, notamment sur un point particulier. Dans l’aviation, modèle déjà largement dépassé par l’automobile pour ce qui est de l’arrivée du paradigme informatique dans les appareils, on prend bien garde, en payant pour ce faire, à ce que tout connecteur transportant des signaux ait ses broches plaquées d’une fine couche d’or : ce métal ne s’oxyde pas et donc les contacts gardent éternellement leurs propriétés électriques.

    Dans l’automobile, les pannes étant moins coûteuses en vies humaines, les connecteurs sont en général dépourvus d’un tel raffinement. Donc ils s’oxydent et perdent graduellement leurs propriétés électriques : le contact devient résistant au passage des électrons et fait dériver les caractéristiques des mesures, donc des fonctions qui exploitent ces mesures. Idem pour les contacts transportant des informations numériques (bus) : des messages entre boitiers électroniques finissent par être perturbés, générant des pannes aussi imprévues que désopilantes : l’utilisateur règle le chauffage, ce qui a pour effet de faire baisser une vitre, etc.

    L’utilisateur averti, notamment celui qui a un vécu des débuts de l’informatique (j’en suis) connait la parade : systématiquement, tous les deux ans environ, déconnecter CHAQUE connecteur de son véhicule, nettoyer avec un produit adéquat, manoeuvrer en connectant et déconnectant quelque fois, et remettre en place. Ainsi la durée de vie du véhicule peut être ramenée à celle de ses organes mécaniques, c’est à dire largement doublée ou triplée !

    On nous parle des véhicules automatisés dans lequel le conducteur n’aura plus rien à faire. Je crains que les pannes de type « informatiques » ne deviennent dès lors beaucoup moins cocasses !

  • La disrupture de la voiture, ce sera 1 moteur électrique dans chaque roue, une batterie, un logiciel de gestion de charge et décharge, un GPS et et, et une carrosserie en plastique recyclable. Bien entendu, des projecteurs et autres éclairages à led et une climatisation basique mais efficace. Le tout pesant moins de 500 kg pour plaire aux économies de portefeuilles et aux bobos-écolos. Bref, quelque chose de pas cher, sans entretien couteux de spécialistes peu professionnels. et sans taxes diverses et variées comme l’on fait nos politiques depuis 40 ans.
    Et si on ne le fait pas en France, qu’on ne s’étonne pas que chez les étrangers, ils ont aussi des idées et moins, beaucoup moins de « normes asphyxiantes européennes ». Ceci étant dit, le premier qui sortira ce genre de véhicule à énergie autonome électrique, né dans son garage et dans sa petite intelligence personnelle, comme les premiers ordinateurs aux USA, se verra traduit devant un tribunal d’état et accusé de casser le marché et de mettre pleins de gens au chômage. Surtout des directeurs et des cadres ultra bien payés.

    • Il y a un problème dans cette hypothèse, c’est de considérer que le concept même de voiture doit perdurer.
      La vrai disruption est de repenser l’usage lui-même avant de vouloir améliorer l’existant,
      Tant que pour aller chercher le pain, faire les courses, amener les enfants à l’école on déplacera un truc qui fait deux tonnes, quatre mètres de long sur plus de 2 de large, oblige à trimbaler une assise pour 4 ou 6 personnes, un coffre, un gros moteur et plein d’instruments de contrôle, on ne pourra pas évoluer. Pas vraiment.

  • Je voudrais faire un commentaire sur le « culte du cargo ». Ayant vécu au Vanuatu plusieurs années, je peux affirmer que ce culte devenu une légende apparut à la fin de l’année 1942 précisément sur l’île d’Efate et dans une moindre mesure à Santo. Après l’attaque de Pearl Harbor et devant la progression des Japonais en Papouasie-Nouvelle Guinée puis aux îles Salomon, les Américains arrivèrent en masse au Vanuatu pour y créer deux grandes bases aériennes afin de protéger l’Australie et également de servir de plate-forme pour attaquer les Japonais dans les Salomon. Tout arriva par avion cargo, des B25 (de mémoire), depuis les tôles perforées pour créer les tarmacs jusqu’aux jeeps et naturellement les caisses de coca-cola, les boites de corned-beef, les cigarettes et les bouteilles de bourbon. Les Mélanésiens, réduits à l’état d’esclaves par les Français et les Anglais, le Vanuatu était alors les Nouvelles-Hébrides, condominium franco-anglais, attendirent indéfiniment le retour des avions-cargo lorsque du jour au lendemain les Américains partirent s’établir au sud des iles Salomon d’où ils finirent après d’âpres combats (cf, la bataille de Guadalcanal) à déloger les Japonais île après île. L’aéroport de Nandi situé sur l’île de Viti-Levu aux Fiji, mieux équipé (Fiji était alors une possession de la couronne d’Angleterre) servit alors de base arrière aux Américains et ces derniers abandonnèrent le Vanuatu. Encore aujourd’hui un plaisir des plongeurs est d’aller observer l’amoncellement de matériel militaire en tous genre qui fut tout simplement jeté à la mer. Seul reste terrestre notoire, la piste de la base militaire à Matarisu au nord d’Efate qui fut construite avec du corail concassé arrosé d’huile de vidange. Avec le soleil ce mélange se transforma en une sorte de béton indestructible … les seuls artefacts qui restent avec les vieilles bouteilles de coca-cola vendues à prix d’or aux touristes.

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