Par Alain Mathieu.
Avant 1987, les chemins de fer japonais connaissaient comme chez nous des grèves à répétition déclenchées par des syndicats refusant toute réforme, des effectifs pléthoriques, des avantages sociaux exorbitants, notamment pour les retraites, des pertes considérables financées par d’énormes subventions et une dette gigantesque.
Leur situation est maintenant la suivante, comparée à celle de la SNCF :
- nombre de passagers-kilomètres1 transportés par an : 260 milliards (SNCF : 84) ;
- effectifs employés : 128 000 (SNCF : 149 000) ;
- nombre de passagers-kilomètres par employé : 2 millions (SNCF : 0,6 million) ;
- trains en retard de plus de 5 minutes : 2 % (SNCF : 20 %) ;
- subventions publiques d’exploitation : 0 (SNCF : 14 milliards d’euros par an, soit 730 euros pour chacun des 19 millions de contribuables à l’impôt sur le revenu) ;
- nombre annuel moyen depuis 10 ans de jours de grève par agent : 0 (SNCF : 1,5).
Du point de vue des passagers, des contribuables et des employés, la situation de Japan Railways est meilleure qu’avant 1987, et meilleure que celle de la SNCF.
En 1987, les actifs de la compagnie JNR (Japan National Railways), gérée par l’État, ont été répartis entre sept compagnies :
- trois dans l’île principale de Honshu (JR West, au Sud-ouest d’Osaka ; JR East, au Nord de Tokyo et JR Central, qui gère le Shinkansen (TGV) entre Tokyo et Osaka) ;
- trois dans trois autres îles (Kyushu, Hokkaido, Sikoku) ;
- une chargée du fret.
Ces compagnies devenaient propriétaires des voies, des gares et du matériel roulant de leur région, à l’exception de la compagnie de fret, qui leur loue le passage de ses trains. Les sociétés d’exploitation, qui ont racheté en 1991 les lignes de Shinkansen existantes, remboursent cet achat sur une période de 60 ans. Ces compagnies ont repris 200.000 des 277 000 employés de JNR à l’époque.
Un tiers de la dette de JNR a été reprise par les trois compagnies de Honshu, les deux tiers étant conservés par l’État.
Rentables sans subventions
Les actions des trois compagnies de l’île principale de Honshu et de celle de Kyushu ont été progressivement vendues par l’État. Ces quatre compagnies, cotées en Bourse, sont rentables sans subventions. Grâce à ces ventes d’actions, l’État a pu rembourser une partie des deux tiers de la dette. L’État reste propriétaire des autres compagnies, contrôle les tarifs et les fermetures de lignes.
Pour décider la fermeture de lignes, un critère a été établi, selon lequel les compagnies peuvent envisager de fermer une ligne, dès lors qu’elle n’assure pas le transport de 2000 personnes par jour. Lorsqu’une compagnie refuse d’exploiter une ligne non rentable, trois solutions sont envisageables :
- la disparition pure et simple de la liaison ;
- le transfert à un autre mode de transport, par exemple l’autobus ;
- enfin la reprise de la ligne par la collectivité locale concernée.
Cette transformation de JNR n’était pas une privatisation, puisque les actions des compagnies, détenues par l’État, n’ont pas été vendues pendant six ans, la dernière l’étant en 2016, et que trois compagnies sont encore publiques.
En 1997, soit dix ans après cette transformation, une mission parlementaire française avait remis un rapport d’évaluation qui est toujours d’actualité. En voici quelques extraits :
La dégradation de la situation de l’entreprise publique (avant 1987) s’explique notamment par le poids de l’État dans la gestion de l’entreprise, par la réalisation d’investissements dictés par des considérations plus politiques qu’économiques, enfin par l’existence de relations sociales très détériorées au sein de l’entreprise.
Les négociations avec les syndicats étaient menées directement par le Gouvernement. Les syndicats détenaient alors des pouvoirs considérables, leur accord étant indispensable pour les changements de postes de personnel ou pour la mise en service de trains supplémentaires. De grandes grèves périodiques ponctuaient la vie du groupe JNR […].
Les performances des compagnies d’exploitation ont été sensiblement améliorées depuis la réforme de 1987, dans le domaine de la qualité de service comme dans celui de la gestion.
En ce qui concerne la qualité de service, la priorité a été donnée à la sécurité. Le nombre des accidents a diminué de 50 % et de 70 % sur les passages à niveau.
La grande qualité du service
« La compagnie JR East a doublé le montant des investissements destinés à la sécurité. Elle s’est en particulier dotée d’un nouveau système de freinage automatique (ATS-P), plus performant que celui introduit dans les années 1960 à la suite d’un grave accident […].
La qualité du service a été nettement améliorée, qu’il s’agisse de la ponctualité, de la sécurité et de la vitesse des trains, ces améliorations ayant entraîné une nette augmentation du nombre de passagers. Des investissements importants ont été effectués en matière de signalétique, de billettique et d’augmentation de la fréquence des rames […].
Le découpage du réseau en entités régionales semble avoir créé un dynamisme qui n’existait pas dans les années précédant la réforme.
En termes de tarifs, il semble que la réforme ait conduit à une grande stabilité des prix pratiqués par les sociétés. Le relèvement des tarifs est d’ailleurs l’un des derniers domaines sur lesquels l’État exerce un contrôle strict. En pratique, on n’a assisté à aucune hausse des prix depuis 1987 tout au moins sur l’île de Honshu. La société JR East a récemment annoncé qu’elle n’augmenterait pas ses tarifs au cours des dix prochaines années.
Les entreprises issues des JNR ont toutes entrepris une politique de diversification de leurs activités afin d’améliorer leur rentabilité. Ainsi, la société JR East, plus important opérateur du Japon, a développé des activités commerciales dans les gares (stands, restaurants, cinémas). Elle a également exploité les possibilités offertes par le réseau pour promouvoir des activités de loisirs (hôtellerie en particulier). Elle tire en outre une part très importante de ses bénéfices de l’exploitation des espaces publicitaires situés dans les trains, dans les gares ou sur le réseau. Elle a même créé des stations de ski, naturellement desservies par son réseau ferroviaire […].
Sur quelques lignes seulement, les sociétés du groupe JR sont concurrencées par des compagnies privées qui existaient avant la réforme, mais ces sociétés disposent de leur propre réseau, de sorte que les questions d’accès au réseau ne se posent pas […].
La réforme a entraîné néanmoins la disparition de 74.000 emplois. De nombreux salariés ont pris une retraite anticipée, certains ont fait l’objet de reclassements dans le secteur public. Enfin, 8.000 ont été confiés à l’organe chargé du règlement de la dette des chemins de fer, la JNRSC, pour recevoir une formation pendant trois ans. »
Même pour les syndicats, la réforme fut un succès
« À l’issue de cette période, la plupart ont retrouvé une activité. 1400 personnes ont néanmoins refusé toutes les solutions qui leur étaient proposées et ont été licenciées.
Les représentants des syndicats considèrent aujourd’hui que la réforme a été un succès. Ils font valoir qu’avant cette réforme, ils agissaient pour obtenir des avantages comparables à ceux dont bénéficiaient les employés des petites sociétés privées et que cet objectif a été atteint, voire dépassé aujourd’hui.
Les salariés ont perdu le bénéfice du régime spécial de retraite dont ils bénéficiaient. Les anciens employés du groupe JNR ne bénéficient du régime spécial que pour la partie de leur carrière effectuée avant 1987 et sont, comme les nouveaux recrutés, affiliés depuis au régime général. Les représentants des syndicats estiment aujourd’hui que cette évolution était inéluctable, le régime spécial de retraite étant en faillite.
Malgré l’atmosphère très passionnelle dans laquelle a été opérée la réforme du système ferroviaire japonais, les relations sociales paraissent donc apaisées aujourd’hui.
La réforme, si elle a conduit à la perte de certains avantages pour les salariés, n’en a pas moins eu des effets bénéfiques, puisque la durée du temps de travail est en cours de diminution et que les salaires ont fortement augmenté dans certaines sociétés. Au sein de la compagnie JR East, les salaires sont passés de l’indice 100 en 1987 à l’indice 147 en 1996.
En définitive, on a le sentiment que la modération des organisations syndicales aujourd’hui s’explique à la fois par une perte d’influence (même si 90 % des salariés sont syndiqués) et par les avantages qu’ont pu retirer de la réforme les employés des nouvelles sociétés. »
En septembre 2014, l’ex-président du gestionnaire des infrastructures SNCF Réseau, Jacques Rapoport, et des représentants de la SNCF se sont rendus au Japon dans le but de « chercher des idées ». Ils en ont conclu que le réseau ferroviaire japonais est « le plus performant du monde ».
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-  Le passager-kilomètre est une unité de mesure de quantité de transport correspondant au transport d’une personne sur un kilomètre. ↩
On voit bien que la vraie question n’est pas public/privé mais centralisation/décentralisation avec mille façons d’articuler privé et public.
Concernant les syndicats, plus que la posture politique qu’ils défendent, ils sont vexés de savoir qu’ils ne joueront aucun rôle. C’est grève ou crève !
Article très intéressant
Bonjour,
pour compléter, journal de français vivants au Japon : https://www.kanpai.fr/voyage-japon/japan-rail-jr-botte-train-sncf
Les syndicats sont tout à fait d’accord avec ce type de réforme . . .
sur l’augmentation des salaires, pour le reste . . .
J’ajouterai que la JR administre des centres commerciaux édifiés sur ou à côté des gares et qu’il s’agit d’une activité très lucrative. Ces centres sont très pratiques car les salary-men et les office-ladies peuvent aller faire leurs petites courses en revenant du travail. Dans ces centres il existe des supermarchés pour la nourriture et de nombreux restaurants excellents.
Il existe encore de nombreuses petites compagnies privées, je pense à la Keisei ou à la Azakusa pour ce qui est de Tokyo qui disposent de leurs propres gares et parfois de leurs propres voies qu’elles louent à d’autres compagnies ou à la JR. En réalité la réforme de l’ancienne JNR fut une privatisation déguisée … mais un tel processus géré avec une remarquable intelligence par le gouvernement japonais semble être à des années-lumière des dirigeants français.
Qu’est-ce qu’on attend pour présenter cet excellent modèle à nos super-syndicalistes ?
Peut-on comparer le Japon à la France ? Le japon est un pays hyper dense, urbain, de montagne, les gens sont obligés de prendre le train.
Contrairement à ce que sous entend l’article, l’exploitation des trains en France n’est pas déficitaire, et ce n’est pas le statut et le salaire des cheminots qui est responsable du déficit de la branche infrastructure/réseau de la SNCF :
Au contraire, c’est parce que nous avons passé tous les budgets d’investissement dans la construction des lignes TGV (les plus coûteuses à construire), au détriment du transport régional et urbain, pour faire plaisir à Paris.
Résultat, nous avons des beaux TGV comme les Japonais, sauf que ça ne répond pas du tout à nos impératifs d’aménagement du territoire, et ça coûte un pognon fou à l’investissement.
@Tigrou666
Allez-y de votre explication pour justifier pourquoi leurs trains arrivent à l’heure et pas les nôtres ?
Nos tgv sont à l’heure, nos ter ne le sont pas, parce que les lignes sont vétustes, et dans pas mal de cas ne sont même pas doublées.
Tgv à l’heure ? Mensonge éhonté.
Accusant régulièrement près de 30 mn de retard pour un trajet de 3 heures, voilà mon expérience.
Dans le texte : JR « trains en retard de plus de 5 minutes : 2 % ; SNCF : 20 % »
Oui la France est comparable au Japon, qu’elle souffre de cette comparaison n’est qu’un moindre mal.
Rendons à César ce qui appartient à César :
J’ai pu prendre le TER au sud de Toulouse pendant plusieurs mois en 2015, 2x par jour, tous les jours.
Et je n’ai connu qu’une seule annulation de train, et 3 retards significatifs.
J’ai aussi pu prendre les trains japonais. Et là bas, le seul retard que j’ai pu constater était de 10 secondes, montre en main (j’avais mesuré, par défi).
Et c’était la seule et unique fois.
La privatisation ou la décentralisation n’expliquent pas tout.
La culture est aussi importante.
Les Japonais ont une très forte culture de dévotion envers le clan/la famille/l’entreprise.
Ils travaillent dur et sont très (trop ?) obéissants.
Ça pousse parfois à l’extrême lorsque certains en vienne à se suicider pour avoir manqué à l’honneur en échouant à leur tache.
Les JR au Japon ont des organisations quasi para-militaires. Employés au garde à vous, hiérarchie stricte et indiscutable…
Nous français ne sommes pas capables de travailler de cette façon. Nous sommes plus souples, plus indisciplinés. Ce qui apporte des inconvénients mais aussi des avantages (ingéniosité, innovation, remise en question).
Le modèle du rail Japonais n’est pas transposable à la France
… sauf à confier l’intégralité du secteur à notre armée…
@ AxS
et encore, vous ne les avez pas traités de « fourmis »
La JR une « organisation para-militaire » et nos godillots syndicaux c’est quoi pour vous ? des résistants ?
L’essentialisation d’un peuple, d’une culture, c’est l’apanage des racistes.
C’est ce que vous venez de faire.
Pauvre type !