C’est en 1920, donc après la Révolution russe, que l’auteur d’avant-garde Evgueni Zamiatine écrit ce roman d’anticipation pas vraiment du goût du pouvoir soviétique, c’est le moins qu’on puisse dire. Et qui lui valut sa mort littéraire, avant qu’il ne parte en exil en 1931 et ne meure à Paris en 1937.
Le bonheur mathématiquement infaillible
Du système soviétique, on connait son annihilation de l’individu au profit du collectivisme le plus destructeur. Utopie meurtrière dont différents auteurs n’ont pas manqué d’imaginer les prolongements à travers des dystopies, à l’image de l’Anthem d’Ayn Rand, où le « Je » et les pronoms singuliers avaient disparu, au profit de ce « Nous » qui constitue le titre du roman d’Evgueni Zamiatine.
Ici, nous nous trouvons plongés dans le futur, dans la lecture du journal de D-503, qui est le concepteur d’un vaisseau spatial, l’Intégrale, dont l’objet est de chercher à convertir les civilisations extra-terrestres au « bonheur mathématiquement infaillible » que l’État Unitaire, qui règne depuis 900 ans, prétend avoir découvert (mathématiques contre l’excès desquelles les libéraux ont toujours mis en garde).
Les individus n’existent plus, mais sont remplacés par des numéros. Ils vivent dans une Cité de verre (sols, murs et plafonds) où tout le monde peut voir tout le monde et où tout est régulé, y compris l’activité sexuelle. Un monde éminemment glauque et mortifère aux visées progressistes.
C’est dans cet univers totalitaire que va se situer l’action, qui va mettre le personnage aux prises avec un sentiment nouveau, non conventionnel : l’éveil sentimental. À l’égard d’un personnage singulier, qui va l’amener progressivement à douter des bienfondés du monde dans lequel il évolue et du projet dont il est à la base. Des sentiments qu’il va avoir du mal à apprivoiser, tant la raison (celle enseignée à tous) l’amène à les combattre. Mais qui va conduire ce citoyen modèle jusqu’au sentiment de révolte…
La servitude volontaire
Comme l’écrit Laurent Dandrieu dans sa brillante présentation qui m’avait fait acheter le roman :
Plus profondément, plus qu’un roman sur l’oppression totalitaire, le livre apparaît comme une fable sur la servitude volontaire, sur le consentement des hommes à leur propre asservissement, leur renoncement à leur singularité au profit d’un unanimisme vide mais confortable.
Avant d’ajouter fort à propos :
« La dictature parfaite serait une dictature qui aurait les apparences de la démocratie, une prison sans murs dont les prisonniers ne songeraient pas à s’évader, un système d’esclavage où, grâce à la consommation et au divertissement, les esclaves auraient l’amour de leur servitude », écrira Huxley dans Retour au meilleur des mondes. Ainsi l’œuvre de Zamiatine, qui met en scène précisément cet amour des esclaves pour leur servitude, nous parle-t-elle tout autant des sociétés démocratiques avancées que des dictatures collectivistes.
Un constat que n’aurait pas dénigré un Alexis de Tocqueville dont on connaît les analyses éclairantes sur le despotisme démocratique.
Et l’on comprend mieux, par l’intermédiaire de cette citation, comment Aldous Huxley et Georges Orwell ont pu être inspirés par le roman d’Evgueni Zamiatine, dans leur écriture respective du Meilleur des mondes et de 1984.
D’où l’hommage qu’on devait bien rendre avec justice à Evgueni Zamiantine.
- Evgueni Zamiatine, Nous, Actes Sud, mars 2017, 232 pages.
Pourquoi avoir tronqué le titre ? “NOUS” ne veut rien dire, “NOUS AUTRES” a du sens.
A rapprocher de cet article qui explique l’unanimiste totalitaire des démocraties Politiquement Correctes
The economics of Political Correctness.
https://iea.org.uk/blog/the-economics-of-political-correctness
Comment le politiquement correct est un bien positionnel des prétendues-élites…
j’y vois autant la cause de scandales SJW actuels que la radicalisation des islamistes, ou des végans, ou des climato-malthusiens ou climato-totalitaires (ou de vieux systèmes comme le maoisme ou les kmers rouges).
Quand son idéologie envahit l’espace public et devient consensuelle (parfois par le harcèlement), pour se différencier il faut pousser la bien-pensance (relative à son espace), au delà de ce qui est raisonnable et sacrifier plus que ce que les autres sacrifient, et se différencier en étant un mindguard bien zélé, un taliban du Bien, un inquisiteur sanglant, et finir par saccrifier ses amis, sa famille, puis sa vie.
La fin de Brazil, le plus grand monument de ce domaine, si proche de la réalité, est à ce titre très actuelle.
@ AlainCo
Bon! Je sais bien que mon propos ne sera pas forcément approuvé!
Mais un humain reste évidemment un individu autonome, libre de ses actions si il n’oublie pas la responsabilité qui les accompagne!
Pourtant, l’humain est clairement un animal social qui a forcément besoin des autres pour “échanger”!
Il n’est donc pas raisonnable d’être “citoyen” et de refuser tout “état” ou autorité.
Les proportions resteront discutables à l’infini!
Il est important aussi de dissocier le droit (commun) et la “morale” qui n’en est pas partie prenante mais facilite la vie en société, avec des majorités ou des minorités prégnantes et actives.
Dans nos sociétés d’Europe Occidentales, il est important de savoir que les lois individuellement choisies ne seront respectées que tant que la majorité ne s’y opposera pas! L’état peut utiliser la force, pas vous! Mêmes si elles vous semblent justes, vous n’en serez pas le seul juge!
Nous ne vivons que dans cette ambiguïté où notre individualité doit céder le pas à ses opposants majoritaires. Mais je n’ai jamais dit que la vie était juste!