Série d’été « Qu’est-ce que le libéralisme ? » – Entretien avec Xavier Fontanet

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Série d’été « Qu’est-ce que le libéralisme ? » – Entretien avec Xavier Fontanet

Publié le 5 juillet 2024
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Cet été, Contrepoints vous propose une série d’entretiens sur le libéralisme avec plusieurs de nos auteurs et des invités spéciaux. Xavier Fontanet est un chef d’entreprise, ancien directeur d’Essilor et professeur associé de stratégie à HEC Paris.

 

Pourriez-vous redéfinir ce qu’il faut entendre par libéralisme ?

Le mot libéralisme a souffert de toutes les batailles dans lesquelles il a été engagé. Il n’est donc pas inutile de revenir à sa définition.

On l’a fait passer pour un système qui asservit la majorité de la population au profit d’une minorité de capitalistes (autre mot détruit) alors qu’il s’agit d’une vision de l’activité économique fondée sur la capacité de chaque personne humaine à s’assumer, prendre des décisions, innover, progresser grâce à l’action, apprendre de ses erreurs, enfin à être capable spontanément de générosité.

 

Qu’est qu’il apporte par rapport aux autres organisations de l’économie ?

La valeur pour la communauté à laisser se développer les initiatives individuelles (dans la mesure, bien sûr où celles-ci ne portent pas atteinte à la liberté de l’autre) est amplement démontrée par la faillite des économies communistes partout où elles sont ou ont été à l’œuvre.

 

Dans les économies communistes, l’État avait effectivement une place prépondérante. Quel est pour vous le rôle de l’État dans la pensée libérale ?

Dans le cadre d’une économie libérale, le rôle de l’État est clair, simple mais exigeant. Il s’agit pour lui de s’assurer que l’environnement juridique et fiscal permet à chacun de se développer, il n’est pas guide, il est arbitre.

 

On dit que le libéralisme c’est le laisser-faire, que répondez-vous ?

Les adversaires de cette forme d’organisation la décrivent comme du « laisser-faire » avec le sous-entendu « faire n’importe quoi ». C’est un jeu de mots facile, car l’idée c’est de laisser les initiatives se développer, et d’assurer la fluidité dans l’échange des ressources. Ce qui fonctionne est copié et développé, ce qui ne marche pas ne recueille ni ressources financières ni ressources humaines et s’arrête naturellement.

La liberté des agents économiques est le cœur du système, elle porte un nom : concurrence.

 

On ne peut pas faire reposer une société sur un concept comme celui de concurrence.

La concurrence a elle aussi été attaquée. On s’est ingénié à lui donner une mauvaise image, elle passe pour incarner la loi du plus fort. Quand on l’a vécue, on sait qu’elle pousse les acteurs à l’humilité parce qu’on est constamment comparé. Grâce à elle, la très grande majorité des gains de productivité est redonnée aux clients. Elle est enfin un stimulant sans pareil. Federer ne serait jamais monté si haut sans Nadal. C’est très exactement ce qui se passe entre les entreprises. Organiser une saine concurrence est donc un ressort puissant pour toute société.

 

Vous êtes très convaincant, pourquoi tout le monde n’est-il pas libéral ?

Pour bien juger le libéralisme, il faut un certain bagage économique, et notamment avoir compris deux concepts insuffisamment enseignés dans les écoles : la notion de métier et celle de l’effet d’expérience. Ceci suppose de revoir le contenu des cours d’économie dispensés en ce moment. L’économie est constituée de millions d’entreprises exerçant chacune un métier. Un métier est un ensemble de savoir-faire commerciaux et techniques destinés à la délivrance d’un produit ou d’un service spécifique. La définition d’un métier est fine, ce n’est pas parce qu’on est leader dans les yaourts qu’on saura faire des fromages, et ce n’est pas parce qu’on est leader dans les fromages frais qu’on sera efficace dans la production et la vente de fromages à pâte pressée cuite.

 

Vous ne parlez pas de travail mais de métier, c’est important ?

Oui, le métier ennoblit le travail et il concerne en fait tout un chacun. Pour en prendre conscience, il suffit de chercher à calculer le nombre de métiers dans une économie. Pour en avoir une petite idée, il suffit de recenser toutes les entreprises qui ont travaillé pour vous depuis que vous vous êtes levé. Vous dormiez dans un lit (la literie), vous vous êtes douché (les entreprises fournissent l’eau et la plomberie), vous avez pris un shampoing, avez pris un petit-déjeuner, écouté la radio, vous avez passé un coup de fil, vous vous êtes rendu au travail…  Des milliers d’entreprises spécialisées dans des métiers différents vous ont permis d’avoir votre activité.

Ces métiers s’améliorent au fur et à mesure de l’accumulation d’expérience, c’est elle qui explique pourquoi certaines entreprises sont plus rentables que d’autres.

 

Marx ne donne pas tout à fait la même explication du profit que vous…

Eh oui, dommage que Marx n’ait pas connu le concept de courbe d’expérience ! Le monde aurait pu être différent !

Les entreprises qui exercent le mieux leur métier sont en général les entreprises leaders sur leur marché, c’est-à-dire celles qui ont accumulé le plus d’expérience. Ce mécanisme est très important à comprendre parce que le profit ne s’explique pas, comme certains l’ont fait, par l’exploitation des employés (quand on traite mal les gens, ils partent à la concurrence) ou la manipulation des consommateurs (les clients ne sont pas idiots). C’est la récompense donné par les clients aux meilleurs fournisseurs.

Le monde est ainsi très bien fait, puisque ce sont les organisations les plus efficaces, celles qui ont les coûts les plus bas qui reçoivent du marché le maximum de ressources. On a donc naturellement une allocation optimum.

 

Cela va loin, parce que pour vous l’allocation des ressources est optimale ! Puisqu’on est avec les grands penseurs que dites-vous de la phrase de Milton Friedman « le but de l’entreprise est de faire du profit » ?

Friedman est un génie, mais cette communication a fait à mon humble avis du mal au libéralisme. En effet, on n’expliquera jamais assez que la raison d’être d’une entreprise n’est pas de faire du profit, mais de rendre un service, un service utile au point que le client est prêt à donner son argent pour l’acheter. Là encore, la concurrence joue un rôle analogue à celui de l’huile dans les rouages.

 

Ah oui, comment ?

Elle permet à chacun de changer facilement de fournisseur s’il n’est pas content de celui qu’il a, elle met de la fluidité dans les relations. Si, par contre, une relation dure, on a alors une situation où chacun y trouve son intérêt. La fidélité en affaires, ou la confiance qui peut s’établir entre un fournisseur et son client, entre une entreprise, ses actionnaires et ses employés permettent à l’économie de converger vers une situation qu’on ne peut nommer autrement qu’une situation où le bien commun a été atteint.

 

Pour vous le libéralisme conduit au bien commun !

Vous avez tout bon ! Ceci suppose évidemment que la concurrence soit saine. C’est pour cette raison que le rôle de l’État est important, et qu’il faut qu’il s’oppose à toute création de monopole. C’est un travail extrêmement difficile, parce qu’il faut être capable de bien définir le métier, et en particulier son champ géographique, sachant que les métiers sont de plus en plus mondialisés, et que les autorités dans les différents pays n’ont pas le même sentiment sur les équilibres entre le producteur et le consommateur.

 

On a souvent accusé le libéralisme d’être immoral…

Cette réflexion n’a aucun sens, c’est un mélange des genres complet et atterrant. Le capitalisme est par essence amoral, ce sont certains acteurs qui peuvent avoir des comportements immoraux, mais c’est leur responsabilité d’acteur. Ce n’est pas le système qui a provoqué ces comportements et qui doit être jeté avec l’eau du bain.

 

Un dernier mot ?

Tout n’est pas parfait, mais si on prend un peu de distance, il est évident que sur une longue période et partout dans le monde, le libéralisme et l’entreprise concurrentielle ont apporté une amélioration des conditions, surtout dans les dernières années. Il a permis à des centaines de millions de personnes de sortir de la pauvreté en participant au marché mondial. C’est aussi vrai pour la Chine que pour les pays qui ont rejoint le grand marché européen.

L’économie de marché est critiquée, c’est une création humaine forcément imparfaite, mais elle existe depuis 5000 ans. Elle est évidemment perfectible, et rappelons-nous que chaque fois qu’on s’en est écarté, cela a créé des cataclysmes.

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