« Apprendre des expériences étrangères » #2 : S’inspirer de l’histoire budgétaire de la Suède pour réduire les dépenses publiques en France

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« Apprendre des expériences étrangères » #2 : S’inspirer de l’histoire budgétaire de la Suède pour réduire les dépenses publiques en France

Publié le 13 août 2024
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La comparaison des ratios de dépenses publiques de la France et de la Suède est intéressante, car il s’agit de deux pays à hauts ratios de dépenses publiques par rapport à la moyenne des pays de l’OCDE, mais aux trajectoires très différentes.

 

Alors que sur la période 1995-2022, la Suède a réduit son ratio de dépenses publiques de 14 points, la France a au contraire augmenté ce même ratio de dépenses de 10 points (Figure 1). Dans le même temps, le rapport du PIB par habitant de la France sur le PIB par habitant de la Suède est passé de 1,13 à 1,4. Ce qui signifie que, désormais, le PIB par habitant suédois est 40 % plus élevé que celui de la France (Figure 1).

Cette concomitance des événements nous encourage à découvrir ce qu’ont fait les gouvernements suédois pour obtenir ces résultats.

Cet article rappelle dans ses grandes lignes la vie politique suédoise depuis 30 ans et l’histoire des finances publiques de ce pays. Il en tire quatre leçons pour la stratégie d’assainissement des finances publiques que les gouvernements français pourraient mener.

 

Figure 1

Histoire comparée du ratio dépenses publiques sur PIB de la France et de la Suède (1995-2022)

Source : OCDE. Dépenses publiques totales sur PIB en % (Government expenditure percent of GDP). Lien consulté le 03/06/2024. Pour les données PIB par habitant (GDP per capita) utilise le site de la Banque Mondiale. Lien consulté le 03/06/2024.

 

Histoire de la politique économique en Suède de 1991 à 2022

Les pays scandinaves sont entrés en récession dans les années 1980 pour le Danemark, et au début des années 1990 pour la Finlande, la Norvège et la Suède.

La crise en Suède a aussi marqué le retour au pouvoir des conservateurs qui ont gagné les élections en 1991 après 61 années de gouvernements sociaux-démocrates.

En 1991, en pleine crise économique, un gouvernement conservateur s’organise autour de Carl Bildt (1991-1994). À la suite d’un accord transpartisan il choisit de réduire les dépenses publiques et les impôts, et de privatiser en particulier l’éducation via la suppression de la carte scolaire, et la réforme des écoles privées sous contrat. Il ouvre à la concurrence de nombreux services collectifs comme 1) le trafic aérien intérieur (1er juillet 1992), 2) les taxis (1er juillet 1990), 3) la poste (1er janvier 1993) et 4) les télécoms (1er juillet 1993), les maisons de retraite (1991), les écoles maternelles (1992), et les agences pour l’emploi (1992).

À partir de cette date, l’alternance sociaux-démocrates (1994-2006) conservateur (2006-2014) ne va pas remettre en cause ce choix. L’ouverture à la concurrence dans les secteurs de l’électricité (1er janvier 1996), du fret ferroviaire (1996), du marché des pharmacies (1er juillet 2009) et du contrôle technique des automobiles (2010) va être engagée par des gouvernements sociaux-démocrates et conservateurs. La conséquence est cette baisse de 14 points du ratio de dépenses (Figure 1) via une maîtrise de la croissance des dépenses, et un retour de la croissance économique.

Entre 1996 et 2006, les sociaux-démocrates sont au pouvoir et représentés par le Premier ministre Hans Göran Persson. Ils perdent les élections en 2006 au profit des conservateurs qui s’installent de 2006 à 2014. Les conservateurs – aussi appelés nouveaux modérés – et leurs alliés libéraux – centristes et chrétiens-démocrates –, nomment F. Reinfeldt (2006-2014) Premier ministre.

Le gouvernement Reinfeldt :

  1. Supprime les droits de succession
  2. Rend plus difficiles les conditions d’accès aux allocations chômages et aux indemnités en cas d’arrêt maladie
  3. Baisse les dépenses publiques totales
  4. Privatise en grande partie le secteur de la santé à partir de 2006.

 

En 2008, les gouvernements suédois et français réagissent par une politique de soutien de la croissance par la dépense. Il s’agit d’une politique contracyclique. La différence entre les deux pays est post-crise. Les gouvernements conservateurs au pouvoir jusqu’en 2014 profitent de la stabilité retrouvée pour réduire leurs ratios de dépenses, alors que les gouvernements de la présidence Hollande maintiennent un haut niveau de dépenses publiques, ce qui maintient le ratio de dépenses de la France autour des 57 %.

En 2014, les conservateurs perdent les élections au profit des sociaux-démocrates. Le Premier ministre Stefan Löfven gouverne alors le pays de 2014 à 2021. Contrairement aux gouvernements Philippe-Castex, il a une gestion de la crise covid peu coûteuse pour les finances publiques du pays, 3 points de ratio de dépenses publiques contre 6 pour la France. Ce qui explique une nouvelle divergence des ratios et la situation de 2022.

 

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Leçons de l’histoire politique suédoise

La première leçon de l’histoire politique suédoise est que pour que la sobriété budgétaire s’installe, il faut qu’elle soit défendue par un parti politique, et que ce dernier accède au pouvoir. Le fait générateur de mouvement de baisse des ratios de dépenses publiques est le succès électoral des libéraux-conservateurs.

La seconde leçon est qu’une fois engagée, l’alternance gauche-droite peut ne pas conduire à l’arrêt des réformes. En 1991, les conservateurs engageaient la baisse des dépenses et des mesures d’ouverture à la concurrence. Ces orientations ne seront pas démenties par les alternances sociaux-démocrates / conservateurs des années 1996-2022. Cette politique a eu un double dividende. Elle a assaini les finances publiques du pays et contribué à la croissance de la productivité de sa combinaison productive. Ce sont ces gains de productivité qui expliquent le retour de la croissance.

La troisième leçon est qu’une politique contracyclique, le traitement d’une crise par les déficits et la dépense, n’est pas une raison suffisante des hausses des ratios de dépenses sur le moyen et long terme. Ce qui fait la qualité d’une politique, ce n’est pas seulement la gestion de la crise, c’est aussi la qualité des décisions à la sortie de crise. La dégradation des finances publiques françaises est la conséquence de la gestion post-crise des subprimes ou post-crise du covid. La Suède a réduit son ratio de dépenses parce qu’en période de stabilité économique elle a réussi à avoir une hausse de ses dépenses publiques inférieure à l’augmentation de sa production. C’est ce que doit viser désormais la France.

La quatrième leçon exige une présentation de l’évolution de la structure des dépenses. Elle rappelle que la baisse des ratios de dépense est d’autant plus efficiente qu’elle s’accompagne d’une politique de redéfinition des périmètres d’intervention du gouvernement. La baisse des dépenses publiques en Suède est soutenable et durable parce qu’elle est étalée dans le temps, d’une part, et accompagnée, d’autre part, par des réformes structurelles du financement de l’éducation en 1991-1994, des retraites (loi de 1998) et du système de santé.

La Figure 2 présente la différence entre les ratios de dépenses publiques par fonction dans les deux pays sur la période 1995-2022. Elle montre que la Suède a baissé quasiment tous ces postes de dépense en points de PIB, à l’exclusion de la santé et de l’environnement, alors que la France est dans la situation inverse. Elle a augmenté quasiment toutes ses dépenses à l’exclusion de l’éducation, de la défense et des services généraux.

i) La baisse relative des dépenses de services généraux s’explique essentiellement en France et en Suède par la baisse du poste charge d’intérêt de la dette, suite aux politiques de la banque centrale suédoise (hors zone euro) et de la banque centrale européenne (BCE). La baisse de ce poste est plus forte en Suède, car le montant des déficits et le stock de dette publique y sont beaucoup moins importants.

ii) La baisse des dépenses affectées aux affaires économiques est aussi un choix fondé. Car ces dépenses sont essentiellement des subventions fiscales et des subventions à l’activité économique. Deux types de dépenses qui distordent la concurrence et créent des situations de rente défavorables sur le long terme à la compétitivité prix et hors prix des entreprises.

iii) La principale source d’économie reste cependant la sécurité sociale, et en particulier les dépenses de pension pour faire face au vieillissement. Discutée à partir de 1984 par tous les partis politiques dans le cadre d’une commission du Parlement, et adoptée en juillet 1998 avec 85 % des voix des parlementaires, le régime suédois des retraites est devenu un système à financement mixte (pension minimum, répartition et capitalisation) et à cotisations définies (en 2020 le taux maximum de cotisation est de 18,5 %). À partir de l’année 2000, un principe d’ajustement par les prestations (montant des pensions) et non par les cotisations a été mis en œuvre. Ce mécanisme explique que les pensions ont baissé en 2010 du fait de la crise des subprimes et la baisse des cotisations. Le ratio dépenses de sécurité sociale sur PIB est passé de 1995 à 2022 de 25,3 % à 17,5 %. Alors que les dépenses de sécurité sociale représentent 23,5 % du PIB français en 2022. Cela a considérablement baissé le taux d’indépendance, le nombre des inactifs à la charge des actifs.

iv) Le dernier poste de dépenses qui a significativement baissé est l’éducation. En France, cette baisse s’est effectuée sans aucune réforme de structure. La conséquence est une détérioration continue depuis 20 ans des indicateurs PISA. En Suède, la baisse du ratio de dépenses publiques d’éducation s’est accompagnée d’une politique de privatisation partielle (chèque éducation en particulier) qui a réduit les coûts pour la communauté nationale de l’éducation sans dégrader la qualité des résultats académiques des élèves.

 

Figure 2
Histoire comparée de la structure des dépenses publiques en France et en Suède (1995-2022)


Source : Eurostat. COFOG. Années 1995 et 2022

 

Conclusion

Il n’est évidemment pas certain que la méthode suédoise soit totalement réplicable en France. La France de 2024 n’est pas la Suède de 1991.

Il existe toujours des facteurs non reproductibles. Au regard des difficultés françaises, il n’est pas absurde de s’inspirer des expériences des autres pays. D’autant que les réformes conduites par la Suède à partir de 1991 n’ont pas fait de ce pays un enfer social où les inégalités auraient explosé. La Suède a toujours un haut niveau de dépenses sociales et un faible niveau d’inégalités.

Il n’est pas évident non plus que la Suède soit le seul modèle à imiter. Il est possible de regarder du côté du Danemark, des Pays-Bas et évidemment de l’Irlande qui est le pays le plus prospère de l’Union européenne. Cette dernière observation explique pourquoi la France devrait peut-être plutôt s’inspirer des expériences conduites en Irlande qu’en Suède. En 2023, il faut le rappeler, l’Irlande a un PIB par habitant 2,5 fois plus élevé que le PIB par habitant français. Ce qui fait évidemment réfléchir.

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  • Il faut rappeller que l Irlande abrite de tres nombreux sièges sociaux d entreprises et a une faible population de 5 millions d habitants
    Ce qui explique très largement le haut niveau du pib par habitant un peu comme le Luxembourg

    • Et alors? Lorsque cela profite à la population c’est une bonne chose. L’idéologie ne remplit pas l’estomac. Si la France avait fait la même chose ces sièges serait en France et non en Irlande, puisqu’elle est mieux placée!

      -1
  • La Suède a aligné le statut de la FP sur celui du privé,préalable qui lui a permis de réformer. Bizarre que l article ne le mentionne pas. Le statut de nos agents de la FP, unique en OCDE empêche toute réforme. Inutile de gloser à l infini sur ce qu il faut faire, c est limpide mais ce ne sera jamais fait.

    -1
    • Curieusement vous oubliez que le plus gros budget de la nation est la dépense sociale avec 850 milliards en 2023
      Donc faisons déjà moins 30 % sur les retraites et les remboursements santé…….
      Tiens un populiste de plus qui tousse….🤣🤣🤣🤣🤣

      • En dehors de tout trait d’humour qui sur le sujet ne semble pas de circonstance , je crois nécessaire d’affirmer qu’une réduction de 30% des retraites initierait une révolution. Je présume que DO DA n’est pas retraité car sinon la perte de 45 % des ses revenus lors de la cessation d’activité aurait marqué son esprit et son jugement.
        En dehors de cela que même un non retraité peut comprendre , je regrette que ne soit pas davantage mis en avant la notion de résultats et de succès , vitales pour un entrepreneur privé , et tellement secondaire pour un entrepreneur du public.

        -1
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Entretien original paru dans La Nation le 23 août 2024. 

 

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