Quelle est l’importance du gaz pour l’avenir économique et géopolitique de Chypre ?
Un article d’Open Europe.
Au Moyen-Âge, Chypre a souvent été une position clé des batailles que se livraient des grandes puissances qui cherchaient à dominer la région. Eh bien apparemment, le pays, qui, pour rappel, ne représente que 0,2% du PIB de la zone euro, pourrait à nouveau devenir un point chaud (et il n’y a aucune raison de s’enthousiasmer à ce sujet).
Selon un journaliste grec, Gazprom a fait une offre ce week-end au gouvernement chypriote de financer la restructuration bancaire de Chypre (qui devrait coûter jusqu’à 10 milliards d’euros) en échange des droits exclusifs d’exploration des eaux territoriales chypriotes. Il est délicat de vérifier une telle histoire, mais elle a tendance à concorder avec les tensions géopolitiques que nous avions déjà observées sur place.
Gazprom est connu pour être très proche du gouvernement russe, et en dépit du fait que le Président russe, Vladimir Poutine, a ouvertement condamné la taxe sur les dépôts – l’appelant ainsi « injuste, peu professionnelle et dangereuse » – il est peu probable que cette société laisse passer ainsi une aussi belle opportunité. Heureusement, le gouvernement chypriote aurait rejeté la proposition aussi sec, mais si le mécontentement envers la zone euro et l’Union Européenne continuent de grandir, l’option russe pourrait bien redevenir intéressante.
Et donc, quelle peut être l’importance du gaz dans le futur économique et géopolitique de Chypre ? Eh bien, on ne peut pas nier que l’île pourrait bien être située juste au dessus de réserves de gaz plusieurs fois équivalentes à son PIB. Cependant, comme source de revenu, on est loin d’un fait acquis. Voici ce que nous en disions dans notre analyse rapide de Vendredi :
Les explorations récentes suggèrent que Chypre pourrait avoir entre 18,5 et 29,5 milliards d’euros (103% – 163% du PIB) sous forme de réserves de gaz stockées dans ses eaux territoriales (selon la Deutsche Bank). Des rumeurs ont circulé proposant que cette source de revenu future pourrait être utilisée pour offrir des garanties à des prêts d’aides. Bien que cette idée soit attrayante, il reste cependant une énorme incertitude autour de la valeur réelle des réserves et quand elles pourraient produire un revenu.
Pour le moment, un champ a été exploré (connu sous le nom de Block 12) et sa valeur potentielle a été estimée jusqu’à 100 milliards d’euros. Voici un petit graphique pour illustrer ceci (via Baker Tilley):
Cependant, quelques éléments doivent être rappelés lorsqu’on veut intégrer ce gaz dans les plans d’aides à Chypre :
- Les productions de ce champ gazier ne pourront pas commencer avant 2019 au plus tôt. Chypre sera à cours d’argent en Juin de cette année, et une solution de court et moyen terme est indispensable dès à présent. Exploiter les réserves au-delà du Block 12 prendra en outre encore plus de temps.
- Il faudra prévoir des investissements significatifs, pouvant aller jusqu’à 4 milliards de dollars, pour commencer à extraire le gaz – le gouvernement chypriote ne peut certainement pas payer ça. Bien qu’il y ait un intérêt certain dans les droits d’explorations, Nick Butler du Financial Times explique que Noble Energy (qui a mené l’exploration du Block 12) n’a pas enchéri pour plus de droits, ce qui ne manque pas de soulever quelques questions.
- En outre, la Turquie conteste toujours la propriété de ces eaux et de ces réserves. Bien que Chypre dispose pour le moment du soutien international, cette dispute territoriale pourrait ralentir encore le processus d’exploitation de ces réserves. Plusieurs entreprises intéressées par ces champs à Chypre ont aussi des intérêts en Turquie et ne voudront pas les mettre en danger.
Pour nous, l’offre du gouvernement chypriote de fournir aux déposants chypriotes des bons d’États liés aux revenus gaziers pourrait être une bonne idée, mais ces bons ne seront productifs que dans plusieurs années, dans le meilleur des cas.
Par ailleurs, le ministre des finances russe Anton Siluanov a émis quelques commentaires intéressants sur la taxe sur les dépôts (via Reuters) :
« Nous avions un accord avec nos collègues de la zone euro que nous coordonnerions nos actions. »
« Il s’avère que l’action des membres de la zone euro de taxer les dépôts a été proposée sans aucune discussion avec la Russie. Nous allons donc ré-étudier le problème de la restructuration du prêt bancaire russe aux Chypriotes en tenant compte des actions de l’Union Européenne pour sauver Chypre. »
Sans surprise, il semblerait que la Russie ne soit guère heureuse de l’approche choisie par l’Europe. Si elle refuse d’améliorer les termes de son prêt de 2,5 milliards d’euros de prêt d’aide qu’elle a consenti à Chypre, cela pourrait accroître les besoins de financements chypriotes, même si d’un montant pas trop substantiel. Cela pourrait cependant revenir à ce que des fonds d’aides de l’eurozone soient utilisés pour rembourser un prêt russe dans un futur proche – quelque chose qui aurait du mal à passer auprès des contribuables allemands. Encore une fois, le résultat intéressant sera de voir comment tout ceci impacte les relations entre la Russie et Chypre d’une part et l’Europe en général d’autre part.
En tout cas, tout en gardant un Å“il sur Moscou, surveillez bien cette affaire.
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Sur le web.
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N’y aurait-il pas chez quelques responsables européens la tentation de laisser Chypre dériver hors de l’euro, puis hors de l’UE vers la Russie afin de supprimer le principal point d’achoppement qui empêche d’aboutir les négociations sur l’entrée de la Turquie : la Turquie occupant une partie d’un état membre, c’est ennuyeux, la Turquie occupant une partie d’une Chypre qui aurait coupé les ponts avec l’UE, c’est beaucoup plus facilement acceptable.