Main basse des frères Koch sur le Cato Institute

Depuis quelques jours, tout Washington en parle : le Cato Institute, le plus grand laboratoire d’idées libéral et libertarien américain traverse une crise sans précédent

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Ed Crane, Président fondateur du CATO Institute.

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Main basse des frères Koch sur le Cato Institute

Publié le 15 mars 2012
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Depuis quelques jours, tout Washington en parle : le Cato Institute, le plus grand laboratoire d’idées libéral et libertarien américain traverse une crise sans précédent. Les frères Koch, qui ont aidé à la fondation puis au financement de l’Institut, tentent d’accroître leur mainmise sur l’organisation en intentant une action en justice contre sa direction.

Par Estelle Devisme.
Publié en collaboration avec l’Institut Coppet.

Ed Crane, Président fondateur du CATO Institute.

Le Cato Institute, huitième think tank le plus cité par les journalistes américains, réputé dans le monde pour sa dévotion à « la liberté individuelle, au libre marché et à la paix », est secoué par la dispute entre deux de ses actionnaires et sa direction. Au cœur du différent : le pacte d’actionnaires et notamment les parts de l’économiste libéral William Niskanen. Décédé en octobre dernier, ses actions ont été transférées à sa veuve, Kathryn Washburn. Les richissimes frères Koch estiment pourtant qu’elles devaient, selon le pacte, retourner à l’institution. Chaque actionnaire détient pour l’instant 25% du capital de cette organisation à but non lucratif – qui ne leur reverse donc pas de dividendes.

Charles (co-fondateur du Cato Institute en 1974) et David Koch, milliardaires à la tête du conglomérat d’entreprises d’énergie Koch Industries, ont apporté plusieurs millions de dollars au Cato Institute depuis sa fondation et financent de nombreuses autres organisations libertariennes ou conservatrices, notamment Americans for Prosperity. Le mouvement Tea Party aurait sans doute bien moins fait parler de lui sans leurs dons, tout comme de nombreux candidats républicains.

 

Charles Koch, Président et CEO de Koch Industries (photo: NY Times).

Sans craindre les critiques, ils se sont décidés à intenter un procès à la direction, en vue de faire appliquer les dispositions du pacte d’actionnaires et d’obtenir la possibilité d’acquérir les actions de Niskanen. Ils accroitraient ainsi leur mainmise sur le think tank, alors que leurs soutiens occupent déjà sept sièges sur seize au sein du Conseil d’administration.

Assurer que le Cato Institute reste à l’avenir fidèle à ses principes fondateurs.

Leur préoccupation est d’ « assurer que le Cato Institute reste à l’avenir fidèle à ses principes fondateurs de liberté individuelle, de liberté des marchés et de paix, et qu’il ne soit pas assujetti aux préférences personnelles d’administrateurs ou de directeurs seuls. » Un e-mail envoyé par le Charles Koch Institute à ses alumni explique que les deux frères ont tout tenté pour résoudre ce désaccord avant de le porter en justice — en l’occurrence, au tribunal du County de Johnson, dans le Kansas — mais qu’Ed Crane, le Président fondateur du Cato Institute, et Bob Levy, le Président du Conseil d’administration, ont ignoré leurs efforts et organisé sans leur accord la nomination de Kathryn Washburn comme nouvel actionnaire.

Ces derniers freinent des quatre fers, dénonçant une offensive hostile des deux frères. Dans une communication écrite, Ed Crane affirme que les frères Koch n’ont pas eu d’influence significative sur la gestion du Cato Institute et les travaux de ses chercheurs. Ils n’ont, par ailleurs, pas été les soutiens financiers les plus importants du think tank depuis sa création, et n’ont rien apporté l’année dernière. Ed Crane estime ainsi que leur action en justice révèle une volonté de leur part de « transformer le Cato Institute d’un institut de recherche indépendant, non partisan, en une entité politique qui supporterait mieux leur agenda partisan » – entendez : le parti républicain.

Jerry Taylor, Senior Fellow au Cato Institute, raconte précisément que David et Charles Koch ont profité de leurs parts pour introduire au conseil d’administration, contre l’avis de tous les autres membres, des conservateurs comme Kevin Gentry, vice-président du parti républicain de Virginie, et Nancy Pfotenauer, ex-porte-parole de John McCain, et qu’ils ont déclaré vouloir faire de l’institut l’arme intellectuelle d’Americans for Prosperity. En somme, transformer le CATO Institute en opposant direct à Barack Obama, aux dépens de l’analyse économique et politique.

 

La valeur du Cato réside dans le fait qu’elle n’est pas une entité politique mais un laboratoire d’idées.

Les soutiens du think tank libertarien, qu’ils soient internes ou externes à celui-ci, se prononcent en majorité contre l’action menée par les frères Koch. Ainsi Kevin Dowd, chercheur au Cato Institute, s’inquiète t-il de l’éviction des prises de positions du think tank pour des causes non conservatrices – telles le mariage gay, la fin de « la guerre contre les drogues » ou l’opposition à l’ « interventionnisme » américain à l’étranger – si David et Charles Koch en venaient à en prendre le contrôle. Surtout, il déplore également la perte d’indépendance et d’intégrité de l’institution, qui seraient nuisibles à sa réputation, qui fut longue à établir. D’autres chercheurs, comme Julian Sanchez, ont prévu de démissionner si la justice donnait raison aux frères Koch. Dans le Chicago Tribune, le commentateur Steve Chapman a annoncé sans détours que « les frères Koch changeront l’or en paille : la valeur du Cato réside dans le fait qu’elle n’est pas une entité politique mais un laboratoire d’idées. »

Paul Krugman, l’économiste de gauche néokeynesien, a même évoqué sur son blog une nomination (mais qui n’a pas eu lieu faute d’élection) par Charles et David Koch, qui a de quoi préoccuper les membres du Cato Institute : il s’agirait de John Hinderhaker – un « néoconservateur » selon Krugman, – fervent supporter de George Bush et partisan de l’intervention américaine en Irak.

Indéniablement, l’issue de ce conflit semble déterminante pour l’orientation future de l’institut… et l’avenir de la recherche au sein du mouvement libertarien américain.

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