Fed, BCE : l’inflation qu’on voit et celle qu’on ne voit pas

Messieurs Bernanke et Draghi sont-ils des magiciens ? Ont-ils réussi à trouver LA formule qui permet de créer de la monnaie ex-nihilo sans inflation ? Ou bien la réalité est-elle plus complexe ?

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Fed, BCE : l’inflation qu’on voit et celle qu’on ne voit pas

Publié le 29 mars 2012
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Depuis que la Fed et la BCE ont multiplié par plus de trois le total de leur bilan, les défenseurs de ces banques n’ont de cesse de noter que l’inflation, tant redoutée par les critiques, n’est que faiblement au rendez-vous. Alors, messieurs Bernanke et Draghi sont-ils des magiciens ? Ont-ils réussi à trouver LA formule qui permet de créer de la monnaie ex-nihilo sans inflation ? Ou bien la réalité est-elle plus complexe ? D’après vous ?

Par Vincent Bénard.

Ainsi, l’inflation officielle aux USA tourne entre 3 et 4 % en rythme annuel.

C’est plus que l’objectif de 2 % qui était affiché dans les années d’avant crise, mais pas de quoi hurler à l’hyper-inflation non plus.

 

Ajoutons que, selon les calculs de Mish Shedlock, si on inclut les prix de l’immobilier à l’achat et non à la location dans l’indice, l’inflation est encore plus faible, après, il est vrai, avoir été fortement sous estimée pendant les années bulle :

 

(Nb : j’ai documenté ce phénomène ici : L’expansion du crédit a diminué le pouvoir d’achat réel et Économie Bullaire et fausse création de valeur).

En France, selon l’INSEE, l’inflation 2011 est de l’ordre de 2,5 % (rythme annuel) en fin d’année. Un peu plus élevée que d’habitude, mais là encore, on est loin d’un choc inflationniste.

Alors, MM. Bernanke et Draghi sont-ils des magiciens ? Ont-ils réussi à trouver LA formule qui permet de créer de la monnaie ex-nihilo sans inflation ? Ou bien la réalité est-elle plus complexe ? Abordons rapidement plusieurs aspects actuels de l’évolution des prix.

 

Inflation du riche et du pauvre

Pourtant, certains affirment que l’inflation des prix des produits de consommation courante serait plus proche de 10 %. Que l’inflation est un composite entre le prix des carottes, du gaz pour se chauffer et de l’essence pour se déplacer, et des télés à écrans plats et des Ipad. Quand le prix de l’électronique grand public baisse, ou quand les automobiles low cost voient leur part de marché augmenter, l’indice des prix est tiré vers le bas.

De même, si le prix des viandes de luxe augmentent, les consommateurs tendent à se rabattre sur des viandes moins coûteuses, voire à diminuer leur consommation : la hausse des prix est ainsi amortie.

Que disent les statistiques officielles ? Voici la décomposition INSEE de l’inflation poste par poste (source) :

Les coûts de l’alimentation et de l’énergie sont de loin ceux qui augmentent le plus : 3,3 % et surtout 9,3 % en rythme annuel.

Naturellement, en temps de crise, les moins fortunés, ceux qui ont perdu leur emploi, ceux qui glissent vers la précarité permanente, se préoccupent davantage de la hausse du coût de leur chauffage ou de leur nourriture que de profiter de la baisse graduelle du prix des ordinateurs ou des Ipads. La situation actuelle est donc bien plus mauvaise pour les plus modestes que pour les plus aisés.

 

Prix des matières premières

Voici l’indice moyen du prix des matières premières (alimentaires et non alimentaires, hors métaux précieux et pétrole) exprimés en Euros (source euroeconomics) :

Depuis la chute consécutive à la crise de 2008, le prix des matières premières ont littéralement explosé entre 2009 et 2010, et ont consolidé à la baisse en 2011. En 2012, ils semblent repartir à la hausse.

Les prix du pétrole affichent eux aussi une courbe similaire, mais encore plus marquée : après une pointe à 140 dollars mi 2008, ils sont tombés à près de 40 dollars début 2009 pour ré-augmenter à 124 dollars maintenant.

Or, contrairement à des idées reçues, la demande de pétrole reste faible notamment aux USA et dans la zone euro, et l’offre ne souffre guère des actuels soubresauts du moyen orient (source : alt-market).

L’article lié ci-dessus affirme que la seule explication plausible de la hausse du pétrole est l’injection massive de liquidités par la fabrication de dollars par la Fed. Cette explication tient-elle la route ?

 

Dollar et euro contre monnaies gérées classiquement

Pour le savoir, comparons l’évolution du dollar et de l’euro contre des monnaies dont les banques centrales ont évité d’avoir recours au quantitative easing depuis 2009 : le Brésil (qui vient de modifier sa politique, soit dit en passant) et l’Australie :

AUD/USD, 2009-now (une courbe montante indique que l’AUD se valorise par rapport à l’USD) :

USD/BRL, 2009-now (inversement, une courbe montante indique un renchérissement du dollar américain) :

Le dollar américain a perdu pas mal de valeur entre 2009 et 2011 face à deux autres devises importantes.

Idem pour l’euro :

AUD/EUR (courbe montante = hausse du dollar australien) :

EUR/BRL (courbe montante = hausse de l’euro) :

La dépréciation relative de l’euro et du dollar américain face à des monnaies gérées de façon plus orthodoxe est de l’ordre du tiers de leur valeur : elle ne peut donc pas expliquer la totalité de la hausse des matières premières mais une bonne partie : la hausse des matières premières a été bien moins importante exprimée en AUD ou en réal brésilien, qu’en euros ou en dollar américain.

Il y a beaucoup de choses qui sont plus chères qu’elles ne le seraient, exprimées en euro ou en dollar, si la Fed et la BCE n’avaient pas chargé la finance mondiale de liquidités. Peut-on inférer que d’autres hausses de marchés ont été impactées par ces injections ? Quelle est la part des opérations d’injection de liquidités dans la bonne tenue des marchés d’actions ? Il est impossible de quantifier, en l’état actuel de la connaissance économique, l’influence de cette folie injectrice dans chaque segment de l’économie.

 

Pourquoi une inflation résultante modérée ?

Les raisons pour laquelle l’inflation globale est modérée, malgré la hausse considérable de la base monétaire fournie par la BCE et la Fed sont à rechercher dans les effets collatéraux de la crise.

D’une part, du fait de la crise, beaucoup de grandes entreprises ont fait de gros efforts de gains de productivité, ce qui se traduit par une hausse très faible des produits manufacturés (1 % en France) malgré la hausse sensible des matières premières.

D’autre part, le crédit bancaire vers le secteur non financier a cessé de croître, voire s’est contracté à certaines périodes, limitant du même coup l’expansion de la masse monétaire globale en circulation. Le graphe ci dessous (source : euroeconomics) montre la variation mensuelle du crédit en zone euro :

Cette contraction est logique : les banques ont beaucoup de créances douteuses dans leurs bilans, elles doivent donc purger ce dernier avant de pouvoir recommencer à prêter (question déjà traitée ici : Les mauvais banquiers, on les pendra !). Les injections de liquidité ont permis aux banques, essentiellement, d’assurer les roll-overs sur leurs obligations souveraines, et d’accroître leurs ratios de liquidité. Les seuls canaux de transmission des injections de liquidité à l’économie, pour l’instant, sont les États.

 

L’inflation peut-elle surgir comme au coin d’un bois ?

Mais attention : rien ne dit que l’inflation restera modérée si les banques centrales continuent à créer de la monnaie pour boucher les trous des États impécunieux. Et franchement, on ne voit pas pourquoi elles arrêteraient de le faire, puisqu’elles croient avoir trouvé la martingale de la création monétaire sans « inflation résultante ».

L’historienne de l’économie Amity Schlaes, auteur entre autres d’une excellente biographie non complaisante de Franklin Delano Roosevelt, publie sur Bloomberg d’intéressants rappels historiques sur les épisodes d’inflation passés :

– En 1972 aux USA, alors que le gouvernement venait de supprimer la convertibilité du dollar en or, et que la Fed avait relâché sa politique monétaire pour financer la politique militaire américaine, l’inflation n’était que de 3,2 %. Mais elle atteint 6 % en 1973 et 11 % en 74 (source), provoquant une décennie économique de stagnation aux USA.

– La même séquence se retrouve lors des deux guerres mondiales : malgré l’impression monétaire importante pendant les conflits, l’inflation est restée d’abord limitée, avant de dépasser largement 10 % deux ans après.

– Même dans l’Allemagne de Weimar, l’inflation est restée sage en 1922, alors que l’impression monétaire avait déjà été décidée par le gouvernement allemand pour faire face aux réparations du traité de Versailles. Dès 1923, l’inflation devint incontrôlable.

Bref, des exemples de banques centrales qui ont cru pouvoir jouer avec leur masse monétaire sans rallumer une hausse généralisée des prix et qui se sont fait dépasser par la vague inflationniste existent bel et bien.

Nous sommes actuellement dans une phase où les banques centrales essaient de combattre un choc déflationniste par l’injection monétaire. Pour l’instant, les forces déflationnistes contiennent la hausse des prix. Mais que moindrement les banques, qui se seront refaites un bilan grâce aux milliards d’aides diverses accordées par les banques centrales sous diverses formes, se remettent à prêter, et alors la vélocité de la monnaie (sa vitesse de circulation, en quelque sorte), pourrait se rapprocher de sa norme historique. Et avec une base monétaire multipliée par trois, alors l’inflation devrait cesser de se cantonner aux marchés financiers ou aux matières premières.

 

Laisser faire la déflation, une alternative raisonnable ?

La « non-inflation » actuelle n’est pas un « calme plat » sur les prix mais la résultante d’une pression haussière sur les matières brutes et d’une énorme pression baissière sur les coûts de production des biens manufacturés.

Cette pression baissière a sorti de l’économie productive de nombreux chômeurs et forcé à la baisse nombre de salaires : tous ces gens qui ont vu leurs revenus chuter de façon parfois dramatique se seraient trouvés nettement mieux dans une économie en phase de choc déflationniste assumé et rapide.

En outre, des prix en baisse généralisée auraient été générateurs d’opportunités pour tous ceux qui ont un peu d’épargne et qui auraient voulu la faire fructifier en investissant dans des entreprises. Au contraire, avoir choisi de compenser la déflation par la création monétaire non seulement réduit ces opportunités, mais favorise l’incertitude et donc l’investissement dans des valeurs refuges, comme l’or, l’immobilier haut de gamme, ou l’art, qui ne sont que des moyens de stockage de valeur spéculatifs qui ne produisent rien de tangible.

Si les États avaient assumé le choc financier de 2008 en laissant les banques mal gérées faire faillite, voire en aidant à ce que cette faillite se produise dans de bonnes conditions (thème battu et rebattu dans ces colonnes : article 1 | article 2 | article 3), le choc déflationniste initial aurait été assez brutal, et aurait, de la même façon, forcé nombre de revenus à la baisse. Mais les victimes de ces baisses auraient pu compter sur des prix en baisse pour s’en sortir. Mais en contrepartie, l’assainissement des bilans bancaires et la fermeture des mauvaises banques aurait permis aux survivantes de revenir rapidement sur le marché du crédit… En étant obligées de tenir compte des leçons de la débâcle. Conjuguée avec l’existence d’épargnants entrepreneurs et d’opportunités de création de valeur rendue possible par des prix plus bas, cette résurrection bancaire aurait permis aux économies de se sortir rapidement du marasme et de redémarrer sur un bon pied.

Mais évidemment, la déflation aurait fait souffrir ceux qui ont de la dette, au premier rang desquels les États, et les banques, qui travaillent toutes avec des ratios de fonds propres d’une faiblesse insigne. Et cela, ni les États, ni les banques, qui leurs prêtent des sommes si importantes que les États se doivent de les ménager, ne l’ont voulu.

Résultat : pour éviter une dégradation de leur endettement par décroissance temporaire du PIB, les États ont… dégradé leurs ratios d’endettement par fuite en avant dans la dette, ce qui ne vaut pas mieux, et menace de faire sortir le diable inflationniste de sa boite… Non, l’alternative déflationniste n’était pas du tout déraisonnable.

 

Si l’inflation sort de sa boîte, tous aux abris !

Lorsque la stagflation des années 1970 a pris tous les gouvernements par surprise, le chômage était faible en début de période. Le monde sortait des Trente Glorieuses d’après guerre, les États n’avaient pas encore pu profiter de la fin de l’étalon-or pour multiplier leurs dettes comme des petits pains. Les années 1970 furent difficiles pour nombre de personnes, des pays comme la Grande-Bretagne et les USA passèrent très près d’une véritable catastrophe économique, la France vit son chômage multiplié par huit, mais les économies occidentales ont fini par digérer cette décennie noire.

Mais si l’inflation sort de sa boite dans les 18-36 mois à venir, avec un chômage en début de cycle supérieur à 10 %, des États surendettés qui verront les taux d’intérêt demandés par les prêteurs bondir, et qui seront incapables de financer leurs dispositifs d’aides sociales en tout genre pour lesquels la demande politique sera au plus haut du fait de la hausse des prix, alors des troubles sociaux graves sont à prévoir.

Les manifestations de plus en plus dures que l’on observe un peu partout face à la crise n’en sont que les prémisses. À côté de ce qui nous attend, les années 1970 feront figure d’aimable péripétie.

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  • Une précision importante : la France est le seul pays occidental qui n’est jamais sorti de la crise de la décennie 70, à cause de l’expérience socialiste entamée à cette époque et jamais abandonnée depuis.

    Comme le montre l’auteur, il n’y a pas d’inflation « qu’on ne voit pas » dans les chiffres actuels. L’inflation « qu’on ne voit pas » est en revanche une inflation à venir, induite par les surcharges monétaires des BC. Mais une dose de déflation suffira pour contrarier l’inflation qui vient. La question de fond est donc de savoir qui doit la subir.

    Pour l’instant, ce sont essentiellement les secteurs privés des pays occidentaux qui assument tous les efforts, ce qui abaisse mécaniquement l’étiage de la croissance potentielle. Pour sortir de cette situation, les secteurs publics et sociaux de nos économies doivent à leur tour assumer une dose de déflation, faute de quoi la création de richesses ne pourra pas rebondir.

    La conclusion de l’auteur décrit ce qui se passera si rien ne change mais reste heureusement hypothétique. La stagflation peut encore être évitée par une baisse stricte et constante des dépenses publiques. Par exemple, une baisse uniforme de 3% de tous les budgets publics et sociaux français, aidée par une inflation de 3%, permettrait de générer plus de 30% d’économies en 5 ans. Ici, plus besoin de plan de relance ! Ces 30% qui resteraient dans l’économie privée productive suffirait à relancer la machine.

    On veut bien croire que le chemin est étroit pour les politiciens, mais il n’y a pas d’autre alternative : stricte baisse des dépenses publiques ou catastrophe économique. Demain, le personnel politique européen ne pourra plus prétendre qu’il n’avait pas été prévenu ou qu’il ne savait pas. A ce sujet, SuperMario a été parfaitement clair dans ses récentes interventions.

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