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vendredi 7 novembre 2025

Quand le métal et le baril font mentir les experts

Temps de lecture : 4 minutes

Deux nouvelles apparemment contradictoires ont dominé l’actualité financière d’octobre : la flambée spectaculaire de l’argent, et l’effondrement du pétrole. Les deux signaux sont plutôt contradictoires : d’un côté, l’euphorie spéculative du métal prétendument révélatrice de l’ampleur du désamour mondial envers le dollar; de l’autre, le constat d’une baisse de la demande d’énergie qui serait la preuve de l’intensité du refroidissement mondial en cours. En réalité, ces deux phénomènes disent exactement la même chose : la vérité du dollar et de l’état réel de la liquidité mondiale.

La plupart des observateurs continuent de raisonner comme si le dollar était une simple devise nationale gérée par la Réserve fédérale américaine. Or il est depuis longtemps bien plus que cela : une infrastructure de crédit mondiale, un système de bilans imbriqués où la confiance entre les acteurs, le collatéral et la capacité de prêt jouent un rôle plus décisif que les taux directeurs des banques centrales. Quand cette mécanique se grippe, tout vacille — et les marchés des matières premières sont généralement les premiers à le révéler.

Le pétrole, thermomètre du financement mondial

Le basculement brutal de la courbe du pétrole en  « contango » a pris tout le monde de court.  En quelques jours, la courbe s’est inversée : le prix à terme est passé au-dessus du comptant. Autrement dit, les acteurs paient plus cher pour une livraison future que pour une livraison immédiatement. Ce qui est anormal. Ceci est généralement compris comme indicateur d’un excès d’offre consécutif à une baisse de la demande, elle-même provoquée par un ralentissement, voire un arrêt de l’activité.

Il y a toutefois des circonstances où la cause est tout autre. Pour stocker du pétrole, il faut du crédit. Mais pour obtenir ce crédit il faut aussi ce que l’on appelle du « collatéral » – c’est à dire faire un dépôt de garantie en actifs sûrs (normalement des obligations, en particulier celles du Trésor). Si le demandeur n’a pas ce genre d’actifs en portefeuille, il peut les acheter, ou même les louer temporairement auprès des entreprises de courtage.

En période de croissance normale, cela ne présente aucune difficulté. Il en va différemment  si la conjoncture s’effondre. Confrontés à des perspectives incertaines (crise), les courtiers vont augmenter leurs exigences en matière de garanties. Certains actifs jusque là facilement acceptés ne le seront plus. Les emprunteurs auront de plus en plus de mal à se procurer le viatique nécessaire pour obtenir leurs prêts, ou devront le payer de plus en plus cher.

Ainsi le collatéral devient une denrée rare. Le prix des obligations explose. Ce qui, mathématiquement, réduit leur rentabilité. D’où une baisse des taux. Mais qui dit moins de collatéral disponible dit moins de crédits distribués, et, en conséquence, moins de monnaie créée par les banques et institutions financières. Ce mécanisme  débouche sur une réduction de la création de monnaie et le grippage de sa circulation.

Le secteur de l’énergie est l’un des tout premiers à être touché. De ce fait, le contango est la première confirmation tangible que le problème ne réside pas dans l’excès de liquidité (contrairement à ceux qui croient au retour de l’inflation) mais dans la pénurie de collatéral sûr. L’économie ne manque pas de pétrole, elle manque de crédit pour le financer. Le marché pétrolier devient ainsi le baromètre de la capacité mondiale des bilans bancaires (balance sheet capacity) à maintenir ou non le crédit et à faire circuler la monnaie scripturale.

L’argent, miroir de la déflation mondiale

À l’autre extrémité du spectre, le métal gris s’envole. En un mois, le cours de l’argent a bondi de près de 30 %, dépassant 53 dollars l’once. Pour les commentateurs (notamment les porte-parole de la Fed) ce serait la conséquence de la baisse des taux américains et de l’affaiblissement du dollar. En réalité, le billet vert se renforce : il monte face à l’euro, au yen et à la roupie indienne.

Cette contradiction apparente disparaît dès qu’on regarde la dynamique monétaire réelle. L’argent ne s’apprécie pas contre le dollar : il s’apprécie avec lui, dans un monde où la monnaie de crédit se raréfie. L’explosion des taux de location (leasing) du métal à Londres (plus de 30 %, parfois 100 % annualisés) traduit non pas un excès de spéculation, mais une pénurie de liquidité physique, reflet d’un stress plus profond : la contraction du financement mondial.

Par ailleurs, en Inde où la roupie chute malgré les interventions de la banque centrale, la demande de métal s’est envolée. Les ménages délaissent l’or devenu trop cher pour se reporter sur l’argent, aggravant  ainsi le déséquilibre. Comme en 2010 ou 2019, la hausse des métaux précieux n’annonce pas l’inflation mais la déflation — le repli vers les valeurs refuges dans un système monétaire qui se contracte.

Le dollar n’est pas une devise, c’est une infrastructure

Ce double mouvement — pétrole en chute, argent en flèche — résume à lui seul le malentendu de l’époque. Les analystes parlent du dollar comme d’une monnaie “forte” ou “faible”, selon les décisions de la Fed. En réalité, la banque centrale n’en contrôle qu’une fraction marginale.

Le véritable moteur du dollar, c’est le système des eurodollars : le réseau interbancaire mondial où se créent et s’échangent des créances en dollars hors du bilan de la Fed. Dans ce monde parallèle (off shore), la création monétaire ne dépend pas d’impressions de billets mais des capacités de bilan des institutions. Lorsque cette capacité se contracte – parce que, comme aujourd’hui, il y a  pénurie de collatéral –  la “masse monétaire” réelle du monde diminue. Et c’est tout l’édifice des prix, du crédit et du commerce international qui se contracte avec elle.

Ainsi, les prix des matières premières ne reflètent plus seulement la rencontre entre offre et demande physiques. Ils traduisent surtout l’état du système de financement global. Un pétrole en contango et un argent en pénurie disent la même chose : la monnaie circule de plus en plus mal, les bilans se gèlent, et le monde s’enferme en mode déflation.

Quand les prix cessent de mentir

Le métal et le baril ne font pas de politique monétaire, ils la subissent. Mais leurs mouvements contiennent plus de vérité que les communiqués officiels des banques centrales. Le pétrole en contango et l’argent en pénurie racontent la même histoire : le monde manque de liquidité.

Ce ne sont pas l’appétit des consommateurs ou la cupidité des spéculateurs qui déforment les prix . Quand l’argent s’envole et que le pétrole s’effondre, ce n’est pas un paradoxe : c’est la signature d’une déflation systémique en marche. Et ce sont les marchés eux-mêmes — les plus honnêtes des témoins — qui sont les premiers à le révéler.

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l’auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.

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3 réponses

  1. Merci pour cette éclairante description lisible par un non-expert.
    Sincères salutations et toute ma gratitude pour vos publications que je dévore avidement.
    Vive le libéralisme !

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