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dimanche 9 novembre 2025

Les libertés de l’école libre en question

Temps de lecture : 4 minutes

La cohabitation entre école publique et écoles catholiques a toujours été une histoire délicate, comme le prouvent les nombreux ajustements qu’elle a nécessités et les débats qu’elle soulève encore. Il existe pourtant une solution simple à ces dilemmes. Simple, et économique pour l’Etat.

Quand, dans sa conférence de presse de rentrée scolaire, le nouveau secrétaire général à l’enseignement catholique, Guillaume Prévost, a affiché clairement que l’enseignement catholique doit pouvoir disposer d’« un projet éducatif chrétien, fondé sur l’Évangile », un député LFI, Paul Vannier, a parlé de provocation. Pour sa part, le syndicat national de l’enseignement privé, le SNEC-CFTC, dit aussi syndicat national de l’enseignement chrétien, a exprimé sa « surprise » : « Des temps de prières peuvent être proposés, mais uniquement sur la base du volontariat, et en dehors des heures de cours. » Ce qui n’a pas empêché M. Prévost de maintenir que lorsque les parents choisissaient un établissement catholique, ils devaient en accepter et en respecter l’esprit : « Vous n’allez pas dans un resto chinois pour manger une pizza » résumait-il. Ces divergences appellent une question essentielle : comment empêcher l’Etat de s’ingérer dans les affaires des écoles libres ?

L’intrusion progressive de l’Etat

La loi Debré du 31 décembre 1959 a été intégrée dans le Code de l’éducation. Celui-ci permet toujours que les établissements d’enseignement privés qui remplissent certaines conditions (durée de fonctionnement, titres et diplômes des enseignants, effectifs scolarisés, etc.) puissent souscrire un contrat avec l’État et bénéficier d’un financement public qui couvre la rémunération des enseignants et les dépenses de fonctionnement des classes sous contrat.

En contrepartie cependant, le Code de l’éducation soumet ces établissements « au contrôle de l’Etat » (article L442-1). La mixité sociale leur est imposée (article L442-11). Ils doivent mettre en place les structures pédagogiques, les programmes et les horaires d’enseignement existant dans l’enseignement public et respecter l’orientation scolaire et professionnelle des élèves suivant des principes compatibles avec les objectifs retenus pour l’enseignement public.

En outre l’autorité de l’établissement privé sur ses enseignants est affaiblie –notamment en matière de recrutement et de licenciement – du fait que ces derniers, employés par l’Etat, sont des agents publics et peuvent opposer à l’école la liberté de leurs choix personnels (cf. article L442-5 du Code et les décisions du Conseil constitutionnel, notamment du 29 décembre 1984 (n° 84-184) et du 23 novembre 1977 (n° 77-87)).

Puis la loi « séparatisme » a soumis l’octroi de subvention à la signature d’un contrat d’engagement républicain qui impose à ces écoles de bannir toute différence de traitement fondé notamment sur une religion déterminée. Dans ce cas, l’école catholique peut-elle encore s’affirmer catholique ?

L’ambigüité du caractère propre

Façonnée par la IIIème République, l’école française est soumise à une obligation de neutralité et, pour l’école publique, de laïcité. Pour éviter d’astreindre les établissements privés à une obligation de laïcité qui aurait été contraire à la vocation des écoles catholiques, le général De Gaule a imaginé de leur reconnaître un « caractère propre ».

Les écoles catholiques ne sont guère gênées par l’obligation d’accueillir « tous les enfants sans distinction d’origine, d’opinion ou de croyances » (article L442-1). Mais dans quelle mesure peuvent-elles ouvrir ces enfants à la religion chrétienne qui relève de leur caractère propre ?

Certes, le droit prévoit encore que « L’instruction religieuse peut être dispensée soit aux heures non occupées par l’emploi du temps des classes, soit à la première ou à la dernière heure de l’emploi du temps de la matinée ou de l’après-midi » (article R 442-36). Et l’article L 142-5 du Code précise que « Les établissements organisent librement toutes les activités extérieures au secteur sous contrat ». Mais au titre de l’obligation de respecter le programme public, l’enseignement privé doit pourtant présenter aux enfants le programme d’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle (Evars) dont la teneur va très au-delà de ce que nombre de parents souhaitent pour leurs enfants.

Les moyens d’une liberté retrouvée

Ces débats soulignent la difficulté de faire vivre cet équilibre précaire entre un Etat laïc financeur et des établissements religieux, car la vielle règle « qui paye commande » finit généralement par s’imposer. Il n’y a de vraie liberté que par la maîtrise de ses financements. D’une certaine manière la loi Debré a sauvé l’école libre en l’assujettissant.

Le moyen de sortir de cette ambiguïté serait de financer l’enseignement, public ou privé, via un système de bon scolaire.

Les parents recevraient de l’Etat un bon scolaire d’un montant égal au coût moyen d’un élève (selon la classe) et le remettrait à l’école qu’ils auraient choisie. Les écoles privées auraient la liberté de recruter et payer leurs enseignants. L’école publique soumise à une vraie concurrence serait forcée de s’améliorer. Divers pays (Suède, certains Etats américains…) pratiquent ce système avec succès. Les Pays-Bas, qui en sont précurseurs, ont de bien meilleurs résultats Pisa et des dépenses publiques pour l’école de 3,1% de leur PIB tandis que la France dépense à ce titre 3,5% de son PIB, une différence, qui pourrait être une économie, de 12 Md€ par an.

C’est l’économie que fait déjà l’Etat du fait de l’existence de l’enseignement privé sous contrat, presque exclusivement catholique, qui représente 2 097 526 élèves (base 2023/2024), soit environ 17% des élèves en France, pour lesquels le projet de loi de finances 2025 a prévu une prise en charge totale de 8 938 183 839 € , soit 4 261€ par élève et par an. Par comparaison l’Etat, via le budget de l’Education nationale, dépense en moyenne 10 470 euros par élève. Les élèves de l’école privée coûtent donc aujourd’hui 12 md€ de moins à l’Etat que s’ils étaient dans l’enseignement public. Cette économie mérite sans doute le respect de l’école privée et les libertés qu’elle revendique légitimement. Si le nombre d’élèves dans le privé doublait, l’économie pourrait être de 12Md€ supplémentaires. Et l’enseignement de tous s’améliorerait.

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12 réponses

  1. « Il n’y a de vraie liberté que par la maîtrise de ses financements. »
    Voilà pourquoi l’état s’immisce partout et ne changera jamais ce système stupide et dispendieux : prélèvements de cotisations, taxes et impôts contre versements d’allocations et chèques-ceci-cela. Voilà pourquoi il ne sera jamais pour la capitalisation ni la mise en concurrence de la sécurité sociale.
    Ce qui permet à un Bayrou ou un Macron de dire : les Français sont responsables de tous les maux du pays car ce sont eux qui dépensent l’argent, eux qui plébiscitent le koikilenkoute. Et permet de continuer d’arroser les copains planqués dans les ministères ou les agences.
    Rien ne changera, sauf…

  2. Effectivement, la suppression de la carte scolaire et la mise en place d’un « bon scolaire » ou « chèque éducation » au montant décorrellé des revenus seraient des mesures intelligentes et efficaces pour faire bouger les lignes.

    1. Une partie de la différence provient des cotisations retraites dans le public, qui sont attribuées au budget de l’éducation nationale.

  3. Le problème de l éducation est complexe : – l État n est pas neutre , il exige des autres une laïcité qu il ne pratique pas. L État entend que sa puissance et son culte soit omniprésent. – la plupart des gens de gauche sont rétifs à une quelconque subvention vers le privé, ils voient cela comme un coût, voire un vol , – celui qui paye est le maître comme vous le dites, – sans, seuls les plus riches auraient accès à une alternative et donc aucune concurrence publi/privé ne serait possible. Je suis d accord le chèque éducation serait une solution. Aucune chance que cela se produise à horizon constant. Mais bon l exercice intellectuel est toujours fécond.

  4. Tant que l’essor démographique remplissait les écoles publiques, il n’y avait pas trop de problèmes de cohabitation.
    Avec la baisse de la natalité et l’évolution désastreuse de la qualité de l’enseignement public sous couvert d’égalitarisme, les parents adoptent des mesures d’évitement pour envoyer leurs enfants dans le privé.
    Et là, c’est inacceptable pour l’État qui met en Å“uvre tout son pouvoir de nuisance contre les écoles privées.
    Notez la hargne des médias par exemple contre Saint Stan’ à Paris. La raison principale est que cette école est désormais devant Henri IV, aux concours des grandes écoles. On observe les mêmes phénomènes en province: attaques tout azimut contre les lycées privés, coupables d’être tout simplement meilleurs que les lycées publics.

  5. L’école privée prétendue libre économise donc bien plus au budget de l’État que tous les projets de surtaxation des « riches ». Cet exemple suggère que la privatisation d’un maximum de « services » publics ainsi rendus compétitifs serait une excellente piste pour réduire enfin notre dette abyssale.

  6. Essayer de faire entendre ce point de vue à une personne de gauche est une mission ardue. Leur vision : l école privée coûte à l État et fermez le ban. Aucun argument ne vient à bout de leur vision. De leur point de vue l État ferait des économies en cessant de subventionner le privé, point barre. Pour eux l État fait mieux et moins cher , rien ne peut les faire bouger de ce principe. Ils sont inoxydables aux arguments.

  7. Cher Monsieur, et si je puis me permettre depuis le temps, Cher Jean-Philippe,
    Pourquoi ce projet ne ferait-il pas l’objet d’une discussion à l’Assemblée sur présentation par le ministre concerné ?
    L’idée à priori farfelue n’est ni plus ni moins excellente et pour un gouvernement qui cherche partout des milliards ( à dépenser comme à ponctionner) ce serait lui apporter sur un plateau une parfaite illustration de ce que peut faire l’Intelligence non Artificielle. Mais là je crois que je rêve , le gouvernement et l’assemblée seraient capables de ne pas comprendre , c’exst le côté artificiel de leur intelligence peut-être.

  8. Bonjour, tenez-vous compte, dans le chiffre de 10470 € d,es dépenses engagées par les collectivités locales ?
    Cordialement Michel Lenoir

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