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mercredi 19 novembre 2025

L’intelligence artificielle contre l’intelligence du marché libre

Temps de lecture : 4 minutes

Pour mieux gouverner un pays, certains « experts » verraient bien l’IA prendre le pouvoir. Ne pourrait-elle pas aussi remplacer le libre marché qui, chaque jour, fait la preuve de son imperfection ? Émettre cette idée, c’est vraiment ne rien avoir compris ni du marché, ni de l’IA.

Et si Emmanuel Macron nommait une intelligence artificielle (IA) à Matignon plutôt que de se fatiguer à trouver un Premier ministre qui dure ? Après tout le gouvernement albanais ne vient-il pas de faire entrer une IA en son sein ? Diella – c’est son nom – a été nommée ministre des Marchés publics dans le but de lutter contre la corruption. Elle serait, en effet, la meilleure pour analyser les appels d’offres, repérer les conflits d’intérêts et garantir l’impartialité des décisions publiques.

L’IA dans l’administration ou le cauchemar des citoyens

Au même moment, l’OCDE publiait un rapport intitulé « Gouverner avec l’intelligence artificielle » dans lequel il est question des « possibilités considérables » qu’elle offre aux administrations publiques. Elle peut, selon l’institution du château de la Muette, « permettre d’automatiser et de personnaliser les services publics, d’améliorer la prise de décision, de détecter les tentatives de fraude et d’enrichir le travail et l’apprentissage des agents publics ».

Quant au cabinet de consulting Roland Berger, il soutient qu’un tiers des emplois publics mondiaux pourraient être exposé à des changements importants avec l’IA : 22% pourraient être « augmentés » – par exemple, elle pourrait aider les agents des impôts à mieux détecter la fraude – et 7,5%, entièrement automatisés.

Nous serions certes heureux que l’IA rende l’administration plus performante, avec des effectifs réduits, des processus simplifiés, des règlements enfin lisibles, des délais de traitement raccourcis, etc., mais nous craignons surtout qu’elle ne fasse qu’ajouter de la complexité à la complexité. Comme nous l’avons déjà souligné, il est probable que l’IA, dans l’administration, sera au service des fonctionnaires et nullement à celui des citoyens-contribuables. Utilisée à grande échelle par l’État, elle risque même de se transformer en véritable cauchemar pour les Français. En effet, à quoi bon simplifier les procédures si l’IA facilite le travail des fonctionnaires qui instruisent les dossiers ? À quoi bon réduire les normes si l’IA les aide à mieux se repérer dans le maquis ? À quoi bon instaurer un impôt simple si l’IA permet de complexifier à loisir ?

Certains envisagent même la possibilité qu’elle contrôle toute l’économie, éradiquant ainsi  « l’irrationnalité » et les « défaillances » du marché. C’est en substance ce qu’ont proposé récemment Ted Parson, Spyridon Samothrakis et Leo Schlichter.

Le marché remplacé par l’IA ?

Le premier, professeur de droit, a mis au point Max, une IA qui permet de jouer habilement sur les taxes et les subventions dans le but de neutraliser toutes les externalités négatives. Le deuxième, informaticien, propose un réseau de centres de données et de programmes d’apprentissage pour guider la coordination économique, l’allocation des ressources et la production. Le troisième, économiste, veut utiliser l’IA pour réduire la production, assurer le respect des « limites écologiques » et répondre à tous les besoins humains.

Tous les trois prétendent que l’IA est capable d’augmenter, voire de remplacer, la fonction des prix et le marché libre qui les génère. Et tous les trois se fourvoient.

Car la coordination économique n’est pas un problème à résoudre en cherchant la réponse optimale. Elle résulte des décisions décentralisées et des ajustements effectués par des milliards d’acteurs économiques, chacun ayant ses propres projets, préférences et connaissances, dans le cadre d’un processus évolutif continu. Comme l’écrivent Marian L. Tupy et Peter Boettke dans un article publié par le Cato Institute, « Certaines règles et institutions sont essentielles pour transformer la prise de décision décentralisée en résultats ordonnés et socialement bénéfiques. Les trois P (droits de propriété, prix, profits et pertes) fournissent les trois I (information, incitations et innovation). »

Ces deux économistes rappellent que les prix permettent aux individus de procéder à des calculs économiques, qui constituent la base d’une allocation rationnelle des ressources rares entre différentes fins, et qu’ils fonctionnent comme des boucles de rétroaction décentralisées. Ce double signal communique des informations sur les raretés relatives et encourage simultanément les acteurs économiques à ajuster leurs plans en conséquence. Par exemple, quand le prix du lithium flambe, les producteurs et les consommateurs économisent, recyclent, innovent et cherchent des solutions autres.

Le marché ou l’intelligence collective en action

Croire que l’IA puisse obtenir des résultats comparables à ceux des marchés libres, voire les surpasser, reflète une confiance mal placée dans le calcul et une mauvaise compréhension du système des prix.

Les prix ne sont pas des données existantes qu’il suffirait de collecter puis de traiter. « Ils résultent d’une enchère concurrentielle sur des ressources rares et sont indissociables des échanges réels sur le marché », écrivent Tupy et Boettke. De plus, ils sont continuellement découverts et formés par des entrepreneurs qui testent des idées sur les besoins futurs des consommateurs et les contraintes en matière de ressources.

Si l’IA peut traiter de grandes quantités de données, elle se nourrit exclusivement de celles qui sont issues des expériences passées. Or, l’action économique est tournée vers l’avenir. Un algorithme peut extrapoler des tendances, mais il ne peut pas anticiper l’innovation et l’évolution des goûts. « Il ne peut pas découvrir ce qui n’a pas été imaginé », insistent Tupy et Boettke.

De plus, les dirigeants influençant constamment les prix avec la réglementation et la fiscalité, l’IA, aussi performante soit-elle, ne pourra que se tromper si elle est alimentée par des données faussées !

Qu’elle soit réalisée par des bureaucrates ou par des algorithmes sophistiqués, la planification centralisée ne pourra jamais remplacer le processus de découverte qu’offre le système des prix dans un marché libre. Comme l’a observé Hayek, « la valeur de la liberté repose sur les opportunités qu’elle offre pour des actions imprévues et imprévisibles ».

Plutôt que de ressusciter la planification centrale avec l’IA, Tupy et Boettke suggèrent que les décideurs politiques se concentrent « sur le renforcement des fondements institutionnels » (les trois P) qui rendent possible une véritable coordination du marché.

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6 réponses

  1. D’un certain côté , remplacer une intelligence artificielle par une autre ne pourrait probablement pas apporter plus de désagréments peut être même les réduire , qui sait ?

  2. L’IA est un outil technique très utile… mais, comme d’habitude, les socialo-dirigistes en tous genres ne peuvent pas s’empêcher d’essayer de transformer un progrès technique en un horizon eschatologique plus ou moins délirant (substitut inconscient à leurs angoisses religieuses refoulées)… les socialo-dirigistes oscillent en permanence entre rejet du progrès technique (écolos) et totalitarisme technique (socialo-globalistes). Ces gens manquent de simplicité, et sont incapables de voir que le progrès technique est un outil de plus entre les mains du libre-arbitre humain, et rien de plus. Que le bolchévisme soit piloté par le soviet suprême ou par l’intelligence artificielle, le résultat sera le même : catastrophique. L’économie n’a pas pour vocation d’être abstraitement « optimale » mais de répondre aux besoins réels exprimés par les agents économiques. Voilà tout ! Le libre-marché est le meilleur outil pour répondre aux besoins des humains réels en temps réel.

    1. @Lys Angoisse religieuses refoulées : sans doute , ou divergentes . Je crains que le socialisme dirigiste n’ait que faire du libre arbitre. Ceci vient du fait que dans leur credo égalité prime sur liberté . C’est ce dogme qui diverge frontalement avec le christianisme. L’autre divergence majeure provient de leur culte pour l Etat. Quant au marché ,ils ont désormais compris qu’il était un mal (de leur point de vue) nécessaire , alors leur objectif est d’en tirer le profit maximal. L’IA leur semble un outils intéressant.

  3. Il est utile de regarder : quelle est la visée ? Et qui fixe cette visée . Or dans ce qui est présenté, celui qui fixe la visée est l Etat et il y a fort à parier que ce dernier ait pour visée de maximiser ses gains. Il ne s’agit pas de « remplacer » le marché mais de maximiser les gains de l Etat en le contrôlant. C’est tout simplement l’usage de l IA à son profit , un pas de plus vers 1984.

  4. Vous pensez que l’on va pouvoir augmenter l’utilisation de L’IA comme ça? Rien qu’une réponse d’une question de chat GPT, c’est 1 gigawatt. ( besoin en énergie de 220 familles par an ).

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