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dimanche 9 novembre 2025

Non, la vérité n’est pas en soi du côté des chercheurs, des universitaires ou des journalistes

Temps de lecture : 3 minutes

Le journal Libération s’apprête à organiser le 8 novembre 2025 à la Cité de la musique à Paris une journée de débats, de rencontres et de spectacles sur le thème de la vérité, baptisée « Les 24h de Libé ». À cette occasion, le média donne la parole, dans son édition du week-end du 18 et 19 octobre, à des auteurs, journalistes, enseignants-chercheurs et acteurs pour répondre à la question : la vérité a-t-elle encore un avenir ?

Salomé Saqué, auteur d’un ouvrage intitulé Résister (Payot), a affirmé qu’il existe aujourd’hui « un mouvement de délégitimation et de mise en danger de ceux dont le métier consiste à produire du savoir : universitaires, chercheurs ou journalistes ». Elle se lamente de ce que désormais, d’un côté de l’Atlantique comme de l’autre, « les producteurs ou diffuseurs d’information sont accusés d’être des ‘idéologues’ ». Parler de « journalisme woke » ou de « chercheurs d’extrême gauche » ne serait pour elle que le signe… d’un combat d’extrême droite, dont le but serait ni plus ni moins de… « détruire le savoir ». Elle déplore par exemple le fait que J.D. Vance, vice-président de Trump, ait déclaré en 2021 : « Les universités sont l’ennemi ». Or on sait bien que depuis des décennies, nombre d’universités américaines sont devenues des repaires du progressisme parfois gauchiste, alors qu’elles sont censées être des temples du savoir, de l’innovation et de la transmission des idées. Épicentre du « politiquement correct » ou PC dans les années 1980 et 1990, elles ont été suivies dans cette même mouvance par des pans entiers de la société, tels Hollywood et plusieurs médias dits « mainstream ». On ne saurait ainsi accepter l’idée que la vérité de l’information puisse être confondue avec les présupposés progressistes de la bien-pensance idéologique, commune à une grande partie des médias et de l’université, en particulier dans le domaine des « sciences humaines ».

L’existence précède l’essence comme les faits précèdent toute interprétation

Salomé Saqué stigmatise certes avec raison « cet océan de relativisme » qui serait caractéristique de notre temps, « où chacun revendique ‘sa vérité’ ». D’où la défiance croissante à notre époque à l’égard des scientifiques ou des journalistes qui « répondent à une déontologie ». Elle rappelle, également à juste titre, que la science, comme le journalisme (on pourrait aussi dire l’histoire) impliquent le recours à la méthode scientifique. « La méthode scientifique, universitaire ou journalistique, souligne-t-elle, ne garantit pas la vérité ; elle rend possible l’existence du vrai ». Elle ajoute que « Ce qui distingue le savoir de l’opinion ou de la propagande n’est pas la vertu de celles et ceux qui le produisent, mais le régime de contrainte dans lequel ils s’inscrivent ! » En effet, le métier de chercheur et de journaliste a (ou plutôt devrait avoir) pour fondement l’établissement de l’exactitude des faits, la confrontation des sources, et l’obligation de ne tenir pour vrai que ce qui a été dûment prouvé et constaté, quand bien même ses propres opinions se trouveraient être infirmées par la réalité mise au jour.

Tout cela est très vrai. Mais notre auteur oublie un peu vite que la probité intellectuelle n’est pas davantage inhérente à la profession de chercheur, d’universitaire ou de journaliste que, pour recourir à un peu de jargon philosophique, l’existence n’est contenue dans l’essence. Suggérons-lui de lire ou relire Jean-François Revel, et notamment son magistral ouvrage La Connaissance inutile (Grasset, 1988), en particulier le chapitre 10, « La puissance adultère » – où Revel, pourtant journaliste lui-même, et fort de son expérience dans ce domaine, n’hésitait pas à asséner des coups qui n’avaient rien de gratuits.

La qualité d’un travail universitaire ou journalistique dépend de la probité de son auteur

Voici par exemple ce que Revel écrivait (p. 260) : « Même les organes d’information qui jouissent de la meilleure réputation professionnelle et du plus grand prestige international se laissent aller à déformer la simple relation des faits. » (p. 257) Il rappelle ainsi que « pour plusieurs responsables américains des médias, il fallait que la politique économique de Reagan fût un échec. » « Aussi longtemps, ajoute-t-il, que cette thèse resta tenable contre le témoignage des chiffres, ils la soutinrent, mais surtout, ce qui est plus grave, la travestirent en information ». « Malheureusement, conclut Revel au terme d’un minutieux examen des faits qui lui était coutumier, le pouvoir (des médias) ne milite pas toujours au seul service de la vérité, tant s’en faut » (p. 261).

Dans ses Mémoires, Le Voleur dans la maison vide (Plon, 1997), Revel écrivait d’ailleurs qu’il faudrait faire prononcer aux journalistes un serment de Socrate, comme on demande aux médecins de prononcer un serment d’Hippocrate. Contrairement donc à ce que dit ici Salomé Saqué, tout dépend de la probité intellectuelle du journaliste, de l’historien ou du chercheur, probité qu’impose certes, ou devrait imposer, la méthode expérimentale : la vérification des faits, de tous les faits, et leur interprétation non tendancieuse, fût-elle contraire à la « ligne éditoriale » du média.

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l’auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.

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4 réponses

  1. En ex URSS « La Pravda » voulait dire la vérité… C’est quoi cette obsession qu’ont les menteurs pour « la vérité »?

  2. Produire « du » savoir, ça n’est pas produire « le » savoir. Personne ne sait, ni ne saurait savoir tout ce qui se présente en ce monde comme savoir possible. Peu de professionnels d’une seule science, je pense, croient encore à la marche du savoir structuré vers la connaissance complète et finale de ce que contient l’univers. D’ailleurs, combien de journalistes et d’universitaires s’en remettent à l’IA -dont ils seraient personnellement incapables de décrire valablement les algorithmes-? Parmi mes relations, j’ai quelques artisans, villageois, agriculteurs,… Croient-on, eux qui ne sont pas des « professionnels du savoir », qu’ils ne comprennent jamais ce qui nous arrive? D’autre part, est-ce qu’une « valeur » est un savoir? Or, c ‘est bien au nom des « valeurs » que s’étale la pire malhonnêteté intellectuelle dans les médias assommants de nos sociétés. Pense-t-on que c’est l’intense souci de la vérité qui guide tout ce qu’on peut entendre actuellement autour de la vaccination, de l’Ukraine et du reste? Non, c’est autre chose qui est en jeu, de très fondamental: l’ordre de la société, l’organisation des autorités de tous ordres, l’identité des clercs, l’architecture idéalisée des moyens collectifs par lesquels la société des Hommes cherche à sauver sa condition, la représentation qu’on se fait des masses, la détermination de qui paiera pour quoi et pour qui, la course aux fonctions les plus confortables,…

  3. Toute vérité n’est pas bonne à dire .
    En 1917 Luigi Pirandello écrivait la pièce « a chacun sa vérité ».
    Il y a plus de cent ans donc dans une époque marquée entre autres par l’absence des technologies modernes, la simplicite des rapports entre êtres humains et assez peu de rapports interétatiques .
    Aujourd’hui en 2025, les économies s’imbriquent les unes dans les autres avec la mondialisation, les états disposent d’organisations internationales pour échanger ; et les technologies , sans cesse en évolution, guident notre mode de vie.
    Malgré cela, des personnalités de tous bords qui se définissent elles mêmes comme des savants ou des intellectuels prétendent entendre connaitre la vérité à venir.
    Ceci afin de s’assurer une vie agréable financée en bonne partie par des fonds publics.
    Que les simples citoyens qui laissent prospérer , en les écoutant/regardant bouche bée comme des écoliers, cette pseudo intelligentsia ne se gaussent donc pas des tribus qui organisaient des danses pour faire tomber la pluie en période de sécheresse.
    Les hommes et femmes de ces tribus n’avaient reçu aucune éducation et s’efforçaient de Survivre au jour le jour.
    Ce n’est pas le cas de la plupart des personnes qui habitent en France ou dans d’autres pays occidentaux, n’est ce pas ?
    Qui est en dessous de la réalité?

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